Seule-en-scène, la comédienne met ses pas dans ceux de Valérie Bacot et plonge dans l’enfer d’une vie de sévices, de violences conjugales physiques autant que verbales. S’emparant du livre-témoignage Tout le monde savait, paru en 2021 aux Éditions Fayard, la dramaturge Élodie Wallace tire une pièce glaçante à la crudité rare. Sans pathos ni empathie, elle donne à entendre l’histoire vraie de cette jeune femme violée dès l’âge de douze ans par un beau-père, qui finit par la mettre enceinte, l’épouser et la prostituer sans que l’entourage, pourtant au courant, ne trouve à redire.
Mise en scène avec finesse et délicatesse par Anne Bouvier dans un décor gris rappelant de manière stylisée les différents lieux de vie de la victime, Sylvie Testud habite le plateau d’une présence lunaire, presque détachée, comme si les propos dont elle se fait l’écho la laissaient K.O. Non qu’elle soit indifférente, bien au contraire, mais tout comme le personnage qu’elle incarne, elle ne peut qu’accepter cette destinée, ce calvaire.
Déroulant le fil mémoriel de Valérie Bacot, la comédienne raconte un père démissionnaire, une mère alcoolique, un beau-père pervers narcissique, pédophile, sadique et abuseur, un frère aîné pas si net, des viols à répétitions, la première grossesse, l’amour inconditionnel pour ses enfants, la mise à disposition de son corps à l’arrière du monospace familial, les coups, la déconsidération d’elle-même. Chaque nouvelle révélation est un uppercut dans le ventre. L’effarement est total face à la barbarie, la violence subie, face au silence coupable des parents, des amis, des enseignants, des voisins et des gendarmes. L’écœurement au bord des lèvres, la coupe déborde. Saisissant sa chance porté par l’énergie du désespoir, une arme laissée entre deux sièges, elle tire et tue son bourreau.
Sans jamais chercher à émouvoir ou à tirer les larmes, Tout le monde savait est un spectacle-choc qui révèle l’impensable et livre les faits de manière brute. À voir pour ne pas oublier, pour que jamais l’on ne s’habitue et pour qu’enfin, nous arrêtions de nous mettre des œillères !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Tout le monde savait d’Élodie Wallace
Adaptée du livre de Valérie Bacot avec Clémence de Blasi
Avec la participation de Maître Nathalie Tomasini et Maître Janine Bonaggiunta
Éditions Fayard
Théâtre de l’Œuvre
55 rue de Clichy
75009 Paris
Jusqu’au 30 décembre 2022
durée 1h10 environ
Mise en scène d’Anne Bouvier
avec Sylvie Testud
Collaboration artistique Anne Poirier-Busson
Scénographie de Jean-Michel Adam
Lumières de Denis Koransky
Musique de Sylvain Jacques
Stylisme de Julia allègre
crédit photos © Lisa Lesourd