Au théâtre du Nord, avant de s’envoler pour le festival du TNB à Rennes, la comédienne, lauréate du prix de la révélation théâtrale du Syndicat de la Critique l’an passé, propose une immersion caustique, lucide et tendre, dans les coulisses du concours Miss France.

Suzanne de Baecque a clairement une gueule, un physique. Elle est unique en son genre. Silhouette longiligne et dégingandée, sourire ingénue, démarche un peu gauche, ses canons de beauté sont hors cadre et c’est tant mieux. Elle a une fraicheur, une présence désarmante. En lui confiant le rôle de Lisette, l’an passé, dans La Seconde surprise de l’amour de Marivaux, Alain Françon a eu le nez creux. Elle irradie la scène, brûle les planches et vole gentiment la vedette à ses camarades de jeu. Sortie en 2020 de l’École du Nord, alors dirigée par Christophe Rauck, la comédienne trace sa route, avec une belle candeur et une jolie innocence qui fait son charme, sa force, sa capacité à passer d’un rôle à l’autre en un clin d’œil. 

Un croquis de voyage devenu spectacle

Dans le cadre de sa dernière année de formation théâtrale, la jeune artiste a un projet particulier et personnel à mettre en route. Initiés par Cécile Garcia Fogel, les croquis de voyage ont pour objectif de confronter les artistes en devenir au monde qui les entoure, de sortir du confort de l’école et d’affirmer leur vision d’artiste et de développer leur propre point de vue. Mais voilà, on est en 2020. Le monde est à l’arrêt. La pandémie est passée par là. Les frontières sont fermées. Retournée en Poitou-Charentes, chez sa mère, Suzanne repense à une remarque de son beau-père, un jour de courses au supermarché du coin : « Si tu rates les concours d’entrée aux écoles de théâtre, tu peux toujours tenter celui de Miss France… » Un peu indignée par cette proposition, méprisante pour les comédiennes mais aussi pour les jeunes filles rêvant un jour d’arborer fièrement la célèbre écharpe et de ceindre la scintillante couronne, elle voit là matière à réflexion, à imaginer l’ébauche d’un spectacle. Ni une, ni deux, elle envoie sa candidature, bien décidée à croquer les coulisses de ce monde paillettes qui lui est totalement étranger. 

De vraies gens derrière le glam’

Maquillée, coiffée, apprêtée, Suzanne de Baecque se rend au centre hippique de la Tourette, où le premier tour de pistes est organisé. C’est le début d’une formation accélérée. Mesurée comme une bête de concours, observée sous toutes les coutures, la comédienne doit apprendre à défiler, à danser, à retenir l’attention, etc. Mais, et c’est toute la force du spectacle, avec un humour tendre, une bienveillance rare, elle s’amuse à démonter les clichés, à découvrir l’envers du décor, à voir différemment ce monde de la superficialité, à faire sauter le vernis scintillant, à voir enfin les êtres derrière les miss en puissance. Passant du potache, du trivial à l’intime, elle rend à ces jeunes femmes, dignité et humanité. C’est drôle, survolté et totalement troublant. 

Ouvrir les yeux, voir enfin le monde « des sans dents »

Avec sa complice l’excellente et punchy Raphaëlle Rousseau, Suzanne de Baecque casse les codes, les règles, démonte les préjugés et rend justice à Lolita, Chloé, Laurine, Kiara ou Siham. Loin des strass, du gloss et du ricil, elle s’amuse caustique, mordante, pour mieux glisser vers l’intime, et esquisser des portraits de jeunes filles en fleur, rêvant d’ailleurs, de s’affirmer, d’exister dans une société où elles ont l’impression de n’être que miettes. Bouleversante, touchante, poignante, la comédienne crève la scène dans ce spectacle cousu main, qui doit beaucoup à la volonté de Séverine Chavrier, directrice du CDN d’Orléans, de faire de ce qui n’était qu’une ébauche une première œuvre prometteuse. Encore fragile et très frais aux jointures, aux articulations, Tenir Debout n’en est pas moins un bel ouvrage, qui libère une parole trop souvent oubliée, voire inaudible, et révèle derrière les rires, les faux semblants et une certaine naïveté un manifeste féminin et féministe qui touche juste. 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Lille

Tenir debout de Suzanne de Baecque
Reprise les 16 et 17 octobre 2023 à la Ménagerie de verre
Durée 1h20

Tournée
jusqu’au 22 octobre 2022 au Théâtre du Nord
du 23 au 26 novembre 2022, dans le cadre du Festival TNB 2022, au TNB – Théâtre National de Bretagne
du 30 novembre au 2 décembre 2022 au CDN Orléans / Centre-Val de Loire
le 7 mars 2023 au Théâtre Angoulême, Scène Nationale
les 17 et 18 mars 2023 au Méta, CDN de Poitiers Nouvelle-Aquitaine
le 20 mars 2023 au NEST – CDN transfrontalier de Thionville-Grand Est

Avec Suzanne de Baecque et Raphaëlle Rousseau
Conception et chorégraphie de Raphaëlle Rousseau 
Création vidéo de Manon Sabatier
Création lumière de Thomas Cottereau
Costume de Marie La Rocca
Création lumière de Zélie Champereau

Crédit photos © Jean-Louis Fernandez