Au Théâtre du Châtelet, dans le cadre de la saison Hors les murs du Théâtre de la Ville, le chorégraphe aixois, très imprégné de la pensée de Roland Barthes, confronte avec virtuosité les rites d’aujourd’hui à ceux relatés dans les grands récits des mythologies antiques.
Une immense toile très graphique cache la scène. Jouant des illusions d’optique, elle invite à plonger dans les courbes anthracite, dans les lignes blanches, à la découverte de quelques animaux fantastiques, hybrides au museau de mouton, aux airs de lapin, à la musculature de taureaux. Tout dépend de l’imaginaire bestiaire de chacun. De la fosses quelques notes s’échappent. L’orchestre s’échauffe. La salle plonge dans le noir, le spectacle peut commencer.
Fresque kaléidoscopique
Le rideau se lève, découvrant une scène des plus lascives. Face au public, les corps des danseurs, disséminés sur la scène, semblent comme endormis, languides. Sur un écran géant, les paires d’yeux des interprètes, filmées de très près, défilent, scrutent la salle, observent le monde de haut, de loin. Un bras levé, une jambe tendue, le tableau s’anime. Chacun suit son parcours, son épopée. Parfois les chemins vont se croiser. Zeus va rencontrer sa Danaé, Persée combattre les Gorgones, Alexandre le Grand s’accoupler avec Thalestris, la reine des Amazones, Arès faire la cour à Aphrodite. Puis, sans fils narratifs explicites, les histoires s’enchaînent, s’ancrent l’une dans l’autre. De manière très cinématographique, fait de fondus enchaînés, Angelin Preljocaj s’empare des mythes fondateurs de l’antiquité, les revisite à travers le prisme de la pensée de Roland Barthes et les fait entrer en résonnance avec nos mythologies contemporaines.
Une partition sur mesure
De ces contes et légendes ancestraux, de cette matière romanesque remaniée par le chorégraphe, Thomas Bangalter, ex-Daft Punk, imagine une symphonie tout en envolées lyriques, en légèreté mélodique. S’éloignant des sons électro, le musicien signe une partition baroque qui conjugue sons minimalistes et rythmiques courtes, fait chanter violons, violoncelles et instruments à vent. Propices aux rêves, aux fables, la musique s’accorde à la grammaire néo-classique, teintée a minima de contemporain d’Angelin Preljocaj. Elle enveloppe les duos, enrobe les grands ensembles, souligne chaque geste, chaque mouvement. Loin d’être accessoire, elle joue à part égale avec la chorégraphique, l’une soutenant l’autre, sans que jamais elles ne deviennent illustratives. L’union est parfaite.
Un ballet tout en délicatesse
Plastiquement,la dernière création du chorégraphe aixois est une réussite. Tout s’accorde à la perfection. S’appuyant sur la scénographie très visuelle d’Adrien Chalgart et les vidéos esthétisantes de Nicolas Claus, il signe un ballet tout en grâce et élégance, qui convoque le passé pour dire les inquiétudes du présent. La grammaire n’est certes pas révolutionnaire et manque certainement d’un brin d’audace dans la forme, mais c’est ailleurs qu’Angelin Preljocaj place Mythologies, vers un ailleurs ambitieux et réflectif. En esquissant un voyage philosophique fragmenté et fragmentaire, il dépasse le simple cadre du beau pour ancrer cette œuvre envoûtante au cœur du monde d’aujourd’hui, où la folie des hommes et le chaos endeuillent tristement la toile de fond.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Mythologies d’Angelin Preljocaj
Dans le cadre de la saison Théâtre de la Ville – hors les murs
Théâtre du Châtelet
Place du Châtelet
75001 Paris
Jusqu’au 5 novembre 2022
Durée 1h30
Tournée
les 12 et 13 novembre 2022 à l’Opéra de Limoges
du 14 au 18 décembre 2022 à l’Opéra Royal de Versailles
Chorégraphie d’Angelin Preljocaj
Musique originale de Thomas Bangalter
Direction musicale de Romain Dumas
Scénographie d’Adrien Chalgard
Lumières d’Éric Soyer
Costumes d’Adeline André
Vidéo de Nicolas Clauss
avec le Ballet Preljocaj – Baptiste Coissieu, Mirea Delogu , Antoine Dubois , Chloé Fagot , Clara Freschel , Véronique Giasson , Verity Jacobsen , Yu-Hua Lin , Tommaso Marchignoli , Emma Perez Sequeda , Mireia Reyes Valenciano , Khevyn Sigismondi
& le Ballet de l’Opéra national de Bordeaux – Marini Da Silva Ianna , Vanessa Feuillatte , Anna Guého , Ryota Hasegawa , Alice Leloup , Riku Ota , Ahyun Shin , Clara Spitz , Tangui Trévinal
Avec l’orchestre de chambre de Paris
Crédit photos © Jean-Claude Carbonne