Je reprendrai les mots que j’avais déjà utilisés lorsque Michel Fau avait monté Un amour qui ne finit pas d’André Roussin, parce qu’ils sont toujours à-propos : Monsieur Fau, votre travail m’enchante une nouvelle fois. Vous avez un style indicible. Merci de sortir une nouvelle fois ce grand auteur dit « de boulevard » du purgatoire dans lequel d’aucuns s’étaient empressés de le jeter.
Quand passent les cigognes !
L’histoire est assez originale. Un sous-secrétaire d’état à la famille, anti-avortement et pour la fermeture des maisons closes, apprend coup sur coup que sa femme, son fils, sa fille et même sa bonne attendent un enfant ! Le problème est que sa femme ne devait plus être en âge de procréer, que son fils à couché avec sa propre secrétaire et sa fille avec son fiancé, avant le mariage. Pour éviter que le qu’en-dira-t-on aille bon train, ce bon père de famille va se démener pour trouver des solutions. Et on ne va pas s’en plaindre !
Un grand succès du boulevard
Lorsque l’enfant paraît a été créée en 1951, dans une mise en scène de Louis Ducreux, l’adorable papi d’Un dimanche à la campagne de Tavernier, avec deux grandes vedettes de l’époque, André Luguet et Gaby Morlay. Contre toute attente, vu son sujet, la pièce fit un triomphe. Elle ne sera remontée que trois fois, en 1964, en 1967 pour l’émission au théâtre ce soir et en 1980 au théâtre des Variétés, avec Guy Tréjan et Marthe Mercadier. Ma mémoire étant encore bonne, je me souviens que le metteur en scène Jean-Marie Rouzière avait situé l’action à notre époque : cela ne fonctionnait pas.
Michel Fau a choisi de laisser la pièce dans son jus, celui du début des années 1950. Nous sommes à l’époque de cette France qui se relève de la guerre et qui se trouve encore très attachée à certaines vieilles valeurs. Si le monde a changé aujourd’hui, que des lois sont enfin passées par là, l’être humain, lui, tend à garder toujours d’actualité ses petits et grands travers. Ce qui donne une intemporalité au propos de l’auteur.
Une scénographie bien pensée
Qu’il est impressionnant, ce décor de Citronelle Dufay, sublimé par les lumières d’Antoine Le Cointe ! Il est beau le symbole du cocon familial retrouvé, exprimé par ces murs qui se referment. Les costumes de David Belugou et les coiffures de Véronique Soulier sont magnifiques ! C’est donc avec élégance et intelligence que Michel Fau dessine l’univers de cette comédie réjouissante. Tout est pensé et rien n’est laissé au hasard ! Chaque acte est accompagné d’une chanson et ce n’est pas gratuit ! On vous laisse le plaisir de les découvrir.
Un duo de choc
Michel Fau s’est distribué dans le rôle de Charles Jacquet, homme politique qui sait naviguer dans les sphères du pouvoir. Il est impayable dans ce rôle de père de famille dépassé par les événements. Sans jamais tirer le trait, il campe un bon bougre, aimant et compréhensif. On craque devant ses mimiques et ses effarements. Il a offert à Catherine Frot, sa complice de Fleur de Cactus, le rôle de l’épouse. Une excellente idée !
Car la vedette de la pièce, c’est elle, Olympe Jacquet. Une grande bourgeoise qui ne comprend rien à rien et qui voit en quelques instants toutes ses convictions naïves en prendre un coup ! Ce rôle est génialement écrit et la Frot y excelle ! Pas besoin d’en faire des tonnes, la sobriété du jeu et la sincérité suffisent pour faire ressortir tout le comique de ce personnage. Ils forment un couple vraiment délicieux.
Une troupe au diapason
Dans les rôles des enfants terribles, il y a le garçon, un brin zazou et asperger (impayable Quentin Dolmaire) et la fille, une petite snobe malicieuse (charmante Agathe Bonitzer). Ils représentent cette jeunesse qui va faire bouger les choses et la société. Ajoutons à la famille, le grand-père, charitable (ineffable Maxime Lombard), la tante mutique et rieuse et un souvenir de jeunesse élégante (délicieuse Hélène Babu). Et n’oublions pas la bonne (subtile Sanda Codreanu) qui s’est fait avoir. La mise en scène, comme toutes celles que Fau signe, est impeccable. Aucun temps mort et toutes les ruptures nécessaires à la comédie sont là. Ce spectacle d’une belle facture, qui procure beaucoup de joie et de plaisir, reçoit chaque soir les ovations du public. Et c’est bien mérité !
Marie-Céline Nivière
Lorsque l’enfant paraît d’André Roussin
Théâtre Marigny
Carré Marigny
75008 Paris
Du 18 septembre au 9 novembre 2024
Durée 2h
Théâtre de la Michodière
4 bis, rue de la Michodière
75002 Paris
Du 16 septembre au 30 décembre 2022
Mise en scène de Michel Fau
Avec à la création Catherine Fort, Michel Fau, Agathe Bonitzer, Quentin Dolmaire, Hélène Babu, Sanda Codreanu, Maxime Lombard, à la reprise de 2024 Catherine Frot, Michel Fau, Laure-Lucile Simon, Baptiste Gonthier, Julie Pouillon, Jeanne-Marie Ducarré et Maxime Lombard
Décor de Citronelle Dufay
Costumes de David Belugou
Lumière d’Antoine Le Cointe
Maquillage et coiffure de Véronique Soulier
Assistant à la mise en scène Quantin Amiot
Crédit photos © Marcel Hartmann