Dans le cadre du 22e festival Actoral, à Marseille, l’artiste suisso-espagnole La Ribot présente sa Pièce distinguée nº55 : Amore Mio, une pièce courte pour deux interprètes qui embrasse l’horizon dans un geste à la fois amoureux et ironique.
Il fait encore chaud à Marseille quand La Ribot présente Amore Mio, la cinquante-cinquième de ses « Pièces distinguées », un ensemble regroupé en six séries. La collection Distinguished anyways, dont est issue cette pièce, résulte d’une commande de l’Académie d’Espagne à Rome pour une présentation in situ, en dialogue avec l’architecture de l’institution. C’est donc une transposition d’Amore Mio pour le fort Saint-Jean qui est présentée pour la vingt-deuxième édition du festival Actoral, dont la riche programmation court jusqu’au 9 octobre.
Peinture, sculpture, architecture
Piera Bellato et Juan Loriente forment une sorte d’extrapolation du couple aristo, avec leurs belles étoffes et leur port altier. Ils s’avancent sur l’esplanade, l’une porte des lunettes de soleil réfléchissant l’horizon marin, l’autre est en habits de mariage, un seau de peinture blanche à la main. Ils s’arrêtent sur une bâche qui jonche le sol, elle entame une série d’aphorismes sur les grands principes de l’art dans une suite de poses sculpturales, tandis que lui la peinturlure à grands coups de pinceau, récoltant les éclaboussures jusqu’à ce que tous deux finissent par ressembler à des marbres.
Revendiquée « sans électricité », Amore Mio organise, dans l’absence d’appareillage, l’union de l’humain non pas avec la nature, mais avec l’architecture. Soit, ici, le surplomb offert par la surface plate du toit du fort, donnant directement sur l’horizon de la mer Méditerranée ou de Notre-Dame-de-la-Garde, selon où l’on se place pour observer la pièce. Le cadre et son histoire provoquent les élucubrations en langue italienne, espagnole et française. La cérémonie devient l’expression d’un désir né de l’architecture, de la pierre et de l’idée d’œuvre.
Précieuse et ridicule
Amore Mio est la mise en actes d’un éthos esthète qu’elle fait remonter, par des grands écarts allusifs, à Vitruve et à la grande histoire artistique et civilisationnelle de l’Europe. Marseille, cité antique, en est une étape évidente — comme elle l’était, par exemple, au cinéma dans Un film parlé de Manoel de Oliveira, qui charriait la même ambition de dessiner une fresque allégorique de l’Occident par un itinéraire en bateau passant également par le Portugal et l’Italie.
Distinguée, la pièce l’est aussi au sens bourdieusien, à travers l’exposition d’apparats bourgeois dans les mots et sur les corps. Une pièce sophistiquée, donc, ou plutôt mise en scène d’une sophistication dandy et artiste. Mais il ne faudrait pas prendre trop au sérieux les grandes déclarations qui viennent habiter les protagonistes d’Amore Mio : l’emphase déclamatoire, le caractère emprunté des gestes et des poses classent la performance du côté de la farce. En cela, cette pièce distinguée fait aussi la critique des archétypes qu’elle titille, jusque dans le rapport artiste-muse brutal qu’elle moque et transforme en un jeu partagé par les deux performeurs. Et fait cohabiter, dans un même mouvement, l’amour des belles choses et un usage corrosif du ridicule.
Samuel Gleyze-Esteban
Pièce distinguée nº55 : Amore Mio de La Ribot
Mucem
7 promenade Robert Laffont (esplanade du J4)
13002 Marseille
Festival Actoral
Jusqu’au 9 octobre 2022
3 impasse Montévidéo
13006 Marseille
Direction et concept La Ribot
Danse et chorégraphie créées avec Piera Bellato et Juan Loriente
Dramaturgie Jaime Conde Salazar
Costumes La Ribot
Réalisation des costumes et des accessoires Coralie Chauvin
Avec Piera Bellato et Juan Loriente
Crédit photo © Christian Lutz