Chaque nouvelle mise en scène ou interprétation donne l’occasion de redécouvrir l’œuvre de Molière. La version de L’Avare de Jérôme Deschamps, créée au TNP de Villeurbanne, ne déroge pas à la règle. Un régal.
Dans le cadre des fêtes joyeuses données en l’honneur des 400 ans de l’illustre Molière, le spectacle de Jérôme Deschamps était attendu. On garde en mémoire ses fameuses Précieuses ridicules, mises en scène à quatre mains avec Macha Makeïeff et sa formidable bande des Deschiens, ou sa version haute en couleur de Monsieur Jourdain dans le Bourgeois Gentilhomme. Ces deux comédies allaient comme un gant à ce grand monsieur du théâtre qui, depuis 1978, ne cesse de nous émerveiller par ses créations. Je suis entrée dans le fan-club en 1990 avec Les Frères Zénith, et n’ai alors presque manqué aucune création, de Lapin-Chasseur à C’est Magnifique. C’est si bon de se laisser surprendre et de rire aux éclats !
La peste soit de l’avarice et des avaricieux
Plantons le décor de suite, il n’y en a pas ! Enfin si, mais des plus minimalistes. Au fond, une toile peinte, dans les tons sombres, sur laquelle est suggérée la lune, sur les côtés des pendrillons ! Très bel ouvrage de Félix Deschamps Mak, habillé des fines lumières de Bertrand Couderc. La nudité du plateau est un choix qui fonctionne très bien. En montrant moins pour en dire plus, comme le soulignait son oncle Jacques Tati, Deschamps laisse notre imaginaire s’approprier l’espace et surtout nous permet de nous concentrer totalement sur le texte et les personnages.
Le noir sied bien à Harpagon et à son habit. Il est ici dans la plus pure tradition, presque usé jusqu’à la corde. Ce noir est soulagé par les couleurs des vêtements des autres personnages, et surtout par la jeunesse qui aime la beauté. Les costumes, comme les accessoires, sont bien évidemment signés par Macha Makeïeff !
C’est une étrange entreprise que celle de faire rire…
L’Avare est une farce noire. Selon les versions, la pièce prend des allures de franche comédie ou de drame grinçant : c’est donc le ton de la comédie grinçante qu’a choisi Jérôme Deschamps. Avec sa bonne bouille d’andouille, ses yeux tout ronds, son sourire malicieux, sa stature rondouillette, il campe un Harpagon assez surprenant. Il a choisi la sobriété, ne tirant jamais le trait. La seule part de caricature réside dans cette silhouette à la Daumier qu’il s’est dessinée.
Même si nous ne sommes pas dans l’empathie, nous n’arrivons pas à détester ce grippe-sou mesquin. Le bonhomme s’est exclu du monde. C’est un fourbe, et il manipule son entourage pour le plaisir de ne pas dépenser un denier et d’engranger le plus possible. La fameuse tirade de la cassette, que nous attendons tous, est ici dite sans emphase, et cette simplicité choisie donne des accents pathétiques à son amour de l’argent.
Une troupe digne de Molière
Dans cette mise en scène, on entend vraiment bien les tourments dans lesquels l’avarice du père plonge sa progéniture et ses gens de maison. Les intrigues entre Élise (délicieuse Flore Babled) et Valère (désopilant Geert Van Herwijnen), Cléante (formidable Stanislas Roquette) et Marianne (délicate Louise Legendre) deviennent ainsi le centre névralgique de la pièce. Refusant le mariage forcé, désirant vivre leur bonheur comme ils l’entendent, ouvert vers l’avenir et la liberté, ces personnages sont toujours d’actualité.
Vincent Debost est un Maître Jacques très touchant. Hervé Lassïnce incarne le roublard personnage de la Flèche d’une main de maître ! Fred Épaud passe du pauvre Brindavoine au riche seigneur Anselme avec dextérité. Dans les personnages de Maître Simon et du commissaire, on retrouve Yves Robin. Ce dernier interprète également Dame Claude et il y est impayable. Lorella Cravotta est Frosine, grande figure de la pièce. La comédienne, sociétaire des Deschamps, s’y révèle exceptionnelle. Même ses silences sont éloquents.
Au salut, le public, sans aucune avarice, applaudit à tout rompre la prestation de la troupe. Et c’est bien mérité ! Après sa création au TNP de Jean Bellorini à Villeurbanne, le spectacle passera par Versailles, Paris, et d’autres belles villes de Province, alors n’hésitez pas, réservez !
Marie-Céline Nivière
L’Avare de Molière.
Théâtre National Populaire
8 place du Dr Lazare Goujon
69100 Villeurbanne.
Du 6 au 21 octobre 2022.
Mardi, mercredi, vendredi et samedi à 20h, jeudi à 19h30, dimanche à 15h30.
Durée 2h15.
Tournée
Du 15 au 20 novembre 2022 au Théâtre Montansier, Versailles (78),
du 2 au 3 février 2023 à la Scène nationale Grand Narbonne (11),
du 4 au 5 mars 2023 au Théâtre de l’Olivier, Istres (13),
du 5 au 29 avril 2023 au Théâtre de la Ville (Abbesses), Paris (75),
du 10 au 11 mai 2023 au Théâtre de Chartres (28),
et du 28 au 31 décembre 2023 au Théâtre de Caen (14).
Mise en scène de Jérôme Deschamps.
avec Flore Babled ou Bénédicte Choisnet, Lorella Cravotta,Vincent Debost, Jérôme Deschamps, Fred Épaud, Hervé Lassïnce, Louise Legendre, Yves Robin, Stanislas Roquette, Geert Van Herwijnen.
Décor de Félix Deschamps Mak.
Costumes et accessoires de Macha Makeïeff.
lumières de Bertrand Couderc.
Assistanat à la mise en scène Damien Lefèvre
Régie générale de Lionel Thomas.
Assistant décor Anton Grandcoin.
Assistant peinture Alessandro Lanzillotti.
Assistante costumes Laura Garnier.
Perruques et maquillage d’Emmanuelle Flisseau.
Son de Nicolas Rouleau.
Construction du décor et confection des costumes les ateliers du TNP.
Crédit photos © JParisot