Toujours en quête de sens, soucieux du travail de soutien aux jeunes artistes et de transmission, il évoque, dans un entretien à bâtons rompus, la Belle troupe, sa programmation éclectique, son métier, son parcours.
Quelle est l’essence du projet que vous défendez aux Amandiers ?
Christophe Rauck : Quand j’ai candidaté, je me suis surtout interrogé sur la question des artistes invités, sur leur place dans la maison et dans la manière de construire la programmation. J’avais envie de changer, de travailler autrement la saison en les impliquant dans nos processus créatifs. L’idée n’était pas tant qu’ils nous aident à programmer mais bien que l’on partage avec eux des pistes, des idées. Après, nous avons dû nous confronter à une réalité toute prosaïque : le théâtre étant en travaux jusqu’en 2024-2025, nous devons faire avec des contraintes de lieux importantes, une seule salle à Nanterre, et une saison hors les murs, qui demande de collaborer avec d’autres lieux. Nous attendons donc de récupérer fin 2024 notre nouvel outil, qui sera constitué de trois salles, les deux déjà existantes, plus une plus petite de 200 places, pour mettre en œuvre ce projet de « saisons partagées » avec Joël Pommerat, Tiphaine Raffier, Anne-Cécile Vandalem et Julien Gosselin.
Les travaux ont commencé juste après votre arrivée…
Christophe Rauck : Oui, les grandes lignes ainsi que le cahier des charges pour transformer le théâtre étaient déjà définis. La troisième salle ainsi que les salles de répétition faisaient partie du projet. L’ensemble des modifications qui ont été demandées vont faire des Amandiers un bel instrument de travail, adapté au temps présent.
Qu’entendez-vous par là ?
Christophe Rauck : Nous ne vivons plus dans la même temporalité de création qu’à l’époque de Patrice Chéreau ou de Jean-Pierre Vincent. Le métier a changé. Avant les spectacles restaient à l’affiche près d’un mois et demi, maintenant tout s’est accéléré. Le plus souvent, le temps d’exploitation est de deux à trois semaines. Et ça dans le meilleur des cas. Il fallait donc inclure ces nouvelles donnes – salle plus petite et lieux de répétitions – dans le projet de rénovation du théâtre.
Votre deuxième saison en tant que directeur et programmateur de Nanterre-Amandiers vient de démarrer. Comment l’avez-vous construite ?
Christophe Rauck : Je trouvais intéressant de poursuivre l’ouverture vers l’étranger, la danse et les arts plastiques qu’avait initiée Philippe Quesne. Certes, les disciplines composant les arts vivants sont fort différentes, mais elles s’accordent, se nourrissent les unes les autres. Je suis toujours atterré d’entendre que tel art se meurt, qu’un autre est à son firmament, alors qu’à mon sens ils se complètent. Pour moi, une programmation est un voyage, où l’on va d’un pays à l’autre, entendre d’autres langues, se confronter à d’autres cultures. C’est aussi pour cela que j’ai tenu à ce qu’il y ait un volet international, qu’il soit possible de voir les œuvres du Sud-Africain Brett Bailey, de l’Argentin Mariano Pensotti et du Russe Ivan Viripaev. Ensuite, il était important pour moi qu’aux Amandiers, nous continuions à soutenir des artistes que nous avions accompagnés à Lille et dont j’avais envie de suivre le travail. C’est le cas notamment de Tiphaine Raffier et de Simon Falguières.
Il y a une fidélité dans votre approche…
Christophe Rauck : Je ne prends pas la fidélité comme une volonté absolue, morale et inconditionnelle. Mais quand on croit en quelqu’un, il faut le suivre jusqu’à son envol. J’aime pouvoir rester libre et laisser les gens libres de leurs choix. Le théâtre doit être un lieu de vie, qui questionne, fait réagir, avancer, rebondir. Il doit se faire l’écho du monde, du temps présent, rendre compte des formes d’aujourd’hui, sans se mettre de barrières.
Vous ouvrez la saison avec Richard II de Shakespeare, pièce que vous avez présentée cet été à Avignon. Qu’est-ce qui vous a donné envie de monter ce texte ?
Christophe Rauck : J’avais très envie de retravailler avec Micha Lescot. Lors d’une de nos conversations après Départ volontaire de Rémi de Vos, je lui avais demandé quel rôle il aimerait jouer. Il a assez rapidement évoqué Richard II. Venant du Théâtre du Soleil, cette tragédie shakespearienne, montée en 1982, fait partie des spectacles très emblématiques de la troupe. Quand je suis arrivé chez Ariane Mnouchkine en 1991, son fantôme planait encore dans les murs. Costumes et décors étaient dans les réserves. Je ne l’avais pas vu, mais il était si présent. Il a donc fallu que je fasse un petit travail sur moi et que je me confronte à cette pièce. Après, c’est allé assez vite. La distribution a été comme une évidence. J’ai tout de suite pensé à Thierry (Bosc), Éric (Challier), Murielle (Colvez), Emmanuel (Noblet) et à Cécile (Garcia Fogel). Il en a été de même pour les jeunes de la troupe, Louis (Albertosi), Pierre-Thomas (Jourdan), issus de la dernière promotion de l’École du Nord et Adrien (Rouyard) de la précédente. Ils sont très talentueux. J’aime à dire qu’ils ont été très bien formés (rires).
Comment aborde-t-on une telle partition ?
Christophe Rauck : Comme souvent chez Shakespeare, les premières scènes posent la situation et sont souvent complexes. Elles abordent des pans de l’histoire anglaise, des questions de généalogie, qui souvent nous sont étrangères. Il faut trouver un chemin dramaturgique qui permette d’entrer dans le récit, de passer de l’explicatif à la fiction. Il y a un fil à dérouler, un travail à faire avec les acteurs, pour que cela fasse sens. Ensuite, il y a la question de la forme, du décor. Je voulais quelque chose d’esthétique, d’épuré, mais qui ne vienne pas perturber la lecture, qui en souligne les grandes lignes, en sublime la langue. Après, il faut faire confiance à ces grands acteurs et actrices pour qu’ils et elles voyagent dans les courants de pensées shakespeariennes. Puis on avance ensemble. Je me souviens d’un acteur – quand j’étais tout jeune – qui me disait : « Quand l’on joue Shakespeare pendant un an, on en sort meilleur que quand on y est entré ». Je trouve cela assez juste. Ces textes nous habitent, nous font grandir. Plus je vois le spectacle, plus je comprends mes choix de mise en scènes et de dramaturgie. J’ai besoin de suivre l’évolution du spectacle, de le voir s’épanouir pour mieux entendre les questions qu’il me/m’a posé et passer à autre chose.
Comme vous le disiez, il y a dans la distribution de Richard II des comédiens qui ont été formés à l’École du Nord, quand vous en étiez directeur. Depuis un an, vous avez mis en place la Belle troupe, qui est un atelier de professionnalisation pour jeunes artistes. C’était important pour vous de poursuivre cette transmission ?
Christophe Rauck : Je pense même que c’est essentiel. Après tout le travail que nous avons fourni à Lille, je trouvais dommage de s’arrêter en si bon chemin, que tout ce que nous avions construit avec Cécile (Garcia Fogel) et l’équipe de L’École du Nord soit perdu. Il n’était bien sûr pas question de créer une nouvelle école, mais bien de mettre en place un projet pédagogique permettant à des jeunes acteurs et actrices d’acquérir un certain nombre d’outils de jeu en vue d’une professionnalisation.
Vous reprenez dans ce cadre Les Croquis de voyage ?
Christophe Rauck : Oui, Les Croquis de Nanterre et d’ailleurs, car je crois que pour les élèves et pour l’équipe pédagogiquecela a fait partie des grandes réussites de ce projet. À la base Cécile (Garcia Fogel) avait pensé cela pour le Conservatoire de Paris. L’idée n’avait pas été retenue à l’époque, je trouvais qu’il y avait derrière ce projet qui consiste à offrir la possibilité aux comédiens et comédiennes en devenir de se confronter, trois semaines durant, sans téléphone, sans connexion au monde qui les entoure, avec l’idée de sortir du confort de la formation et d’affirmer leurs visions d’artistes, leurs propres points de vue, une inventivité pédagogique. J’ai souhaité qu’on le mette en pratique à Lille et aujourd’hui aux Amandiers. Devant le succès rencontré – sous l’impulsion de Séverine Chavrier, Suzanne de Baecque (de la promo 6) a transformé l’essai en pièce (Tenir debout) qu’elle présente cette saison dans différents théâtres – je souhaitais poursuivre dans cette voie. Nous avons donc mis en place Les Croquis de Nanterre et d’ailleurs, dont les maquettes seront présentées le 22 et 23 octobre à Nanterre-Amandiers.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Richard II de William Shakespeare
Mise en scène de Christophe Rauck
Théâtre Nanterre-amandiers
7 avenue Pablo-Picasso
92022 Nanterre
Du 20 septembre au 15 octobre 2022
Crédit portrait © Géraldine Aresteanu
Crédit photos © Géraldine Aresteanu, © Christophe Raynaud de Lage, © Jean-Louis Fernandez