Chloé Réjon © Benjamin Chelly

Chloé Réjon, flamme de théâtre

À l’affiche de l’Odéon, dans Jours de joie d’Arne Lygre, avant de reprendre la tournée de Comme tu me veux de Pirandello, Chloé Réjon trace sa route à son rythme, entre art, émotion et passion.

Gestes ronds, aériens, voix douce, Chloé Réjon a la générosité communicative, la bienveillance en bandoulière. Souriante, épanouie, décontractée en pantalon noir et peignoir à fleurs chamarrées, elle propose un café, une de ses boissons favorites, puis invite à pénétrer dans sa loge. Au premier coup d’œil, le cocon de la comédienne, juste éclairé par un œil de bœuf, dit beaucoup de sa personnalité, à la fois rigoureuse, ardente et curieuse. Les costumes, parfaitement repassés, sont bien rangés sur des cintres. Quelques livres traînent autour d’un matelas de repos. Sur la coiffeuse, non loin du manuscrit de Jours de joie, fards à lèvres, fond de teint, mascaras et autres poudriers sont bien alignés. Au mur, sont accrochés les schémas et dessins pour faciliter le maquillage du soir. 

Comédienne par essence
Macbeth de Shakespeare - Mise en scène de Stéphane Braunschweig © Thierry Dépanne

Avec spontanéité et naturel, regard sombre, pétillant, scrutant chaque réaction, elle évoque à bâtons rompus sa carrière, ses goûts artistiques, le théâtre, bien sûr, les rencontres qui l’ont nourrie, les textes qui l’ont touchée, émue, qui ont construit son identité, alimenté sa créativité, sa manière d’aborder les rôles. « J’ai, depuis toute petite, se souvient-elle, toujours eu le goût du théâtre et de la littérature. Mes parents étaient séparés. Un peu solitaire, je me réfugiais dans la fiction, m’épanouissais dans un imaginaire qui se nourrissait de mes lectures. Puis, plus tard, Avec mes demi-sœurs, du côté de mon père, nous passions une partie de nos vacances, dans le château du XIIIe siècle de leur grand-père. C’était le lieu idéal pour inventer des histoires, se glisser dans la peau de nos héroïnes. On s’amusait beaucoup. On a même monté un été, les Malheurs de Sophie. » Des images flottent devant ses yeux noirs, perçants, pétillants, quelques réminiscences, qui ont scellé imperceptiblement, sa destinée, une photo de son père et sa mère sur un plateau de théâtre à Nanterre jouant la quatrième journée du Soulier de satin de Claudel, à la fin des années 1970. 

Comédienne, une évidence
Au-delà des ténèbres, un diptyque de Simon Abkarian © Antoine Goudjian

Née à Paris, formée au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris, Chloé Réjon intègre en 1992 la troupe que Christian Schiaretti forme à la Comédie de Reims, dont il est le directeur. Passant de Pirandello à Vinaver, à Bertolt Brecht ou Vitrac, elle multiplie les expériences. Des planches du Vieux-Colombier à celles de du Festival d’Avignon, elle se laisse porter par son goût des textes, mais aussi par le travail méticuleux du metteur en scène. « Je crois qu’on se construit en tant que comédienne, explique-t-elle, à travers non seulement le désir de l’autre, en l’occurrence, le metteur en scène, mais aussi par nos rêves d’actrices, par des rôles, des caractères. Nous sommes avant tout interprètes. Quand je lis une pièce, je me demande toujours, si tel ou tel personnage a besoin d’un corps, d’une voix, ce que je peux mettre de moi dans cet être de papier, comment je peux lui donner vie au plateau. » Toujours en mouvement, cherchant à dépasser ses limites, à tenter d’autres champs théâtraux et lexicaux, elle travaille Koltès avec Catherine MarnasTchekhov avec Philippe CalvarioIbsen avec Sandrine Anglade. « Tous m’ont apporté quelque chose, m’ont fait grandir, confesse-t-elle. Je me souviens d’une conversation avec Bernard Sobel. Nous répétions Troïlus et Cressida de Shakespeare et il me disait : « Chloé, ne ramène pas le personnage à toi, mais va à lui, car il est dix fois plus exceptionnel. C’est une des plus belles leçons de théâtre qu’on m’ait donné. Il a tellement raison. » Passant d’Ibsen à Simon Abkarian, la comédienne aime à changer de peau, d’histoire, se glisser dans les secrets, les errances, les énergies, des personnages qu’elle incarne. « C’est pour moi très régénérant, explique-t-elle. »

Le rôle de sa vie
Comme tu me veux de Luigi Pirdandello - Mise en scène de Stéphane Braunschweig © Juliette Parisot

Une odeur délicate de vanille flotte dans l’air. Volubile, passionnée, Chloé Réjon évoque son aventure mexicaine avec Catherine Marnas, sa rencontre avec une autre culture, une autre manière d’aborder le théâtre. « C’était au début des années 2000, se souvient-elle. J’ai failli ne pas revenir. L’aventure était passionnante et enrichissante. Il y avait une forme de liberté, qui m’a permis de m’essayer notamment à la mise en scène. En France, je crois que je n’oserais pas le faire, pas encore en tout cas. » Finalement le théâtre la rappelle à Paris, mais elle garde de forts liens avec le pays et y retourne régulièrement pour se ressourcer. Le temps défile à vive allure. La comédienne se remémore les rôles qui l’ont marquée, les metteurs et metteuses en scène avec qui elle a travaillé. Mais c’est le personnage qu’elle incarne dans Comme tu me veux de Luigi Pirandello, pièce créée en 2021 à l’Odéon, qui retient le plus son attention. « C’est un rôle tellement riche, tellement intense, confie-t-elle. Je crois que je n’ai pas encore fini de l’explorer, de dialoguer avec cette femme qui a perdu son identité, cette « Inconnue » qui va endosser l’identité d’une autre pour tenter de se reconstruire, mais dont le rêve d’une nouvelle vie idéale va se fracasser sur la réalité. Elle m’oblige à faire l’expérience radicale de devoir exister complètement dans le désir de l’autre, mais sans baisser la garde de sa propre exigence aiguisée par le fait qu’elle n’a plus rien à perdre. C’est magnifique, vertigineux. 

Dans les mots d’Arne Lygre
Jours de joie d'Arne Lygre - Mise en scène de Stéphane Braunschweig © Simon Gosselin

Travaillant régulièrement avec Stéphane BraunschweigChloé Réjon connaît bien l’univers du dramaturge norvégien. « C’est un long compagnonnage qui unit ces deux artistes, raconte-t-elle. Depuis dix ans, Stéphane se plaît, s’attache, je dirais même, avec une grande fidélité à traduire son œuvre, à la mettre en scène. Il aime la manière dont les textes se répondent, la manière dont chaque pièce fait écho à la précédente. Il y a des fils invisibles qui se tissent. C’est fascinant à suivre. » Après Je disparais et Tage unter en 2011, Rien de moi en 2014 et Nous pour un moment aux Ateliers Berthier en 2019, le directeur de l’Odéon s’attaque à la toute dernière création d’Arne Lygre, une pièce plus lumineuse que les précédentes. « Ce qui est beau dans ses textes, souligne la comédienne, c’est sa manière d’aborder dans toute leur ambivalence les relations humaines, familiales, amoureuses, amicales… À sa manière très minimaliste mais aussi très ludique, et je pense que c’est ce qui plait à Stéphane (Braunschweig), il prend le pouls du monde, et nous renvoie à une sorte d’état psychique du monde dans lequel nous vivons. Dans Jours de joie, on voit en filigrane comment la crise sanitaire que nous venons de traverser, et que nous traversons toujours, a impacté notre manière d’appréhender la vie. Loin des tragédies, il parle de notre aptitude au bonheur, de notre faculté à pardonner, à aller vers l’autre. » Rayonnante, Chloé Réjon se glisse dans les mots du dramaturge et donne vie à deux femmes très différentes mais qui ont pour point commun de croire possible une vie heureuse. En tout cas, elles se battent dans leur quotidien pour cela. Elles convoquent cette chose impalpable qui est la gaité, l’enchantement, le bien-être. « C’est passionnant à jouer, s’amuse-t-elle, car très différent du double personnage plutôt tragique que j’incarnais dans Nous pour un moment. »

L’après- midi s’achève, le soleil décline. Il est temps de nous séparer. Chloé Réjon doit se préparer. Ce soir, aux côtés de Virginie ColemynCécile CoustillacAlexandre PalluPierric Plathier, Lamya Regragui MuzioGrégoire TachnakianJean-Philippe Vidal, elle montera sur les planches, sera autre. Le théâtre viscéralement ancré dans sa peau, dans son cœur, la comédienne habitera les mots d’Arne Lygre, la joie de jouer encore et toujours.

Olivie Frégaville-Gratian d’Amore

Jours de joie d’Arne Lygre
Odéon – Théâtre de l’europe
Jusqu’au 14 octobre 2022
Tournée 
25 novembre 2022 au Festival Interférences de Cluj, Roumanie
les 11 et 12 janvier 2023 au CDN de Besançon

Comme tu me veux de Luigi pirandello
Création Odéon-Théâtre de l’Europe 2021-2022

Tournée
le 5 et 6 janvier 2023 à la Comédie de Saint-Étienne
du 2 au 9 février 2023 au TNB-Rennes
lu 27 février au 4 avril 2023 au TNS

Crédit portrait ©
Crédit photos © Thierry Depagne, © Antoine Goudjian, © Juliette Parisot & © Simon Gosselin

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