L’écrivaine française est la 17^ème femme à obtenir ce prix prestigieux et surtout, la première française. Son œuvre touche au plus profond, car nous avons toutes et tous en nous quelque chose d’Annie Ernaux. Et c’est en cela qu’elle trouve toute sa place au théâtre.

Le jury du Nobel a récompensé cette grande dame de la littérature française pour : le courage et l’acuité clinique avec laquelle elle découvre les racines, les éloignements et les contraintes collectives de la mémoire personnelle. Depuis 1974, à travers ses romans d’auto-fiction, elle explore ce que signifie être femme dans notre société. Entre récit et sociologie, féminisme et engagement social, l’écrivaine s’est attachée à exprimer ce qui construit, détruit et reconstruit une identité. Mêlant l’expérience individuelle et historique, elle touche notre mémoire collective. Elle est une voix pour dire les maux intimes qui se reflètent en miroir dans l’universel.

Des mots pour être lus et entendus

Elle n’a jamais cherché, « à prendre le parti de l’art, ni de chercher à faire quelque chose de passionnant ou d’émouvant » (La place). Et pourtant son écriture ciselée, dépouillée dans sa structure, acquiert sur une scène de théâtre, une grande force dramatique. Ainsi, ses mots, portées en spectacle où en lecture, trouvent une belle résonance. Les metteuses en scène Micheline Uzan (avec Une femme), Jeanne Champagne (avec La femme gelée, Passion simple, Les années) et Panchika Velez (avec Se perdre et de Passion simple) sont les premières à avoir visité ses œuvres. Le premier homme fut Dominique Lurcel en 1994 avec Passion simple.

Des maux sublimés par les comédiennes

Ces portraits de femmes, traversant notre époque, sont de véritables réceptacles à ces émotions qui sont au cœur de l’art dramatique. Ils offrent aux comédiennes une matière forte pour exprimer leur talent. Par les thèmes abordés, ces textes sont des devoirs de mémoire. Françoise Gillard au Studio de la Comédie-Française, dans L’événement, évoquait l’avortement. Dans la version scénique de Cécile Backès de Mémoire de jeune fille, Pauline Belle, Jules Churin, Judith Henry, Simon Pineau et Adeline Vesse abordaient les premiers pas dans la sexualité.

En 2018, au théâtre de l’Œuvre, puis en 2022, en Avignon au Théâtre des Halles, L’exceptionnelle Romane Bohringer, mise en scène par Pierre Pradinas, vibra de tout son talent dans L’Occupation. Ce magnifique spectacle qui traite de la passion amoureuse et de cette jalousie qui pousse à la folie, repartira en tournée, à partir de 2024, à travers toute la France.

Après l’avoir déjà jouée au Déchargeurs à Paris en 2019, à la Reine Blanche à Avignon en 2022, Marianne Basler a repris depuis la rentrée, dans la petite salle du théâtre des Mathurins, L’autre fille. Dans ce spectacle, co-mis en scène en scène avec Jean-Philippe Puymartin, la comédienne évoque l’absence envahissante d’une sœur morte bien avant qu’elle ne vienne au monde. Dans ce texte, Annie Ernaux se demande si ce n’est pas le fantôme de cette aînée qui lui a permis de devenir écrivaine. Certainement et on l’en remercie, car grâce à elle, une femme sensible nous a, littérairement, nourris et réparés.

Marie-Céline Nivière

Crédit photos portrait © Francesca_Man Tovani ® Editions_Gallimard ; Romane Bohringer dans Occupée ; © Marianne Basler dans L’autre fille © Julien Piffaut