À Biarritz, la 32e édition du festival le Temps d’aimer la danse bat son plein. Dirigée depuis par Thierry Malandain, la manifestation ouvre comme chaque année la saison chorégraphique. Au programme, un savant mélange entre valeurs sûres, émergences et artistes venus d’ailleurs.
Malgré quelques nuages, annonciateurs d’ondées, le soleil brille sur la côte basque. Ses rayons traversent les grandes baies vitrées du casino municipal, éclairant le bâtiment art déco d’une belle lumière dorée. Alors que sur la grande plage, baigneurs et badauds profitent de ces derniers jours estivaux, les aficionados biarrots s’installent par petits groupes dans la salle de spectacle, alléchés par la proposition du chorégraphe brésilo-néerlandais Samir Calixto de revisiter le chef d’œuvre de Purcell, Didon et Énée, en un duo charnel.
Un corps à corps en quête de soufre
Imperceptiblement, le plateau sombre dans l’obscurité. Les conversations s’interrompent. Dans un silence assourdissant, les premières notes enveloppantes, envoûtantes du compositeur londonien résonnent. Profondément baroques, elles happent le spectateur dans une autre dimension, celle des rêves et des songes. En guise de prologue, les mots composants le titre de l’œuvre à venir, projetés sur un mur de gaze noire, semblent danser, voler. Dans la pénombre, deux silhouettes se distinguent. Elles hantent les coulisses avant d’apparaître, tout de noir vêtues, en pleine lumière. Comme traversés par la musique de Purcell, le corps de la femme, puis celui de l’homme, s’animent, suivent les envolées lyriques. À travers une gestuelle, faite de mouvements larges, de jambes tendues et de bras courbés, Samir Calixto et sa danseuse Erika Poletto tentent de donner vie aux amours contrariées de la reine de Carthage et du prince déchu de Troie. Bien qu’investis dans leurs rôles, les deux artistes, certainement prisonniers de la sublime musique de Purcell, que crache troppo forte les baffles, ont bien du mal à incarner cette folle passion qui les entraîne inexorablement vers leur funeste destinée. Seules les partitions en duo, centrées sur de sensuels portés, ravivent sur scène la flamme des deux célèbres amants rendus immortels sous la plume de Virgile. L’ensemble manque encore de souffle, mais la chorégraphie de l’artiste brésilo-néerlandais n’a pas encore livré toutes ses promesses. Resserrée et affinée, elle pourrait bien faire palpiter les cœurs.
Le jour après la nuit
Autre lieu, autre histoire. Un peu plus tard dans la soirée, à la Gare du midi, fief du CCN biarrot, Xenia Wiest, lauréate en 2016 de la première édition du concours de jeunes chorégraphes de Ballet organisé par le Malandain ballet Biarritz et le ballet de l’Opéra national de Bordeaux, et nouvellement nommée à la tête du Ballett X Schwerin, propose une relecture au temps présent de L’Apocalypse de Jean et invite au plateau les quatre cavaliers – la guerre, la maladie, la faim, la mort – dans l’espoir d’un avenir plus lumineux. Dans un écrin noir, éclairé de manière diffuse par les lumières de Hannes Ruschbaschan, les musiques antinomiques de Philip Glass, de Camille Saint-Saëns et de Patrick Soluri se chevauchent, s’entrechoquent, s’entrecroisent donnant à l’ensemble une impression voulue de chaos, de fin du monde. S’appuyant sur ces dissonances, ces discordances, la chorégraphe russe signe une œuvre tout en contraste, un ballet viscéral où se conjuguent maîtrise, technicité et virtuosité. En imaginant l’histoire d’un migrant (extraordinaire Stefano Pietragalla) confronté aux quatre fléaux de l’humanité, elle donne à travers une partition particulièrement ciselée le pouls du monde actuel. Rien n’est laissé au hasard, ni la fusion parfaite entre danse classique et contemporaine, ni le choix des danseurs pour incarner les cavaliers. Se dégage du plateau violence, drame et un vent d’espérance prêt à tout emporter avec lui, tristesse, morosité et angoisse. Une pièce chorégraphique, dédiée aux Afghans, aux ukrainiens, à tous ceux qui sont oppressés, à tous ceux qui luttent pour survivre dans l’attente de jours meilleurs, qui fait du bien en ces temps troublés.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Biarritz
Festival Le Temps d’aimer
Dido Æneas Us & All de Samir Calixto
Théâtre du Casino Municipal
1 Av. Edouard VII
64200 Biarritz
Durée 1H20 environ
Conception, chorégraphie, costumes de Samir Calixto
avec Samir Calixto & Erika Poletto
Lumières de Pavla Beranov
Musique de Dido and Æneas – Henry Purcell
Nacht ohne Morgen (la nuit sans matin) du Ballett X Schwerin
Gare du Midi
23 Av. du Maréchal Foch
64200 Biarritz
durée 1h00 environ
Chorégraphie de Xenia Wiest
Musique de Philip Glass, Camille Saint-Saëns, Patrick Soluri
avec Eleonora Peperoni, Eliza Kalcheva, Laura Cristea, Lorenzo Alberti, Margaux Pages, Maria Mazzotti, Philip Sergeychuk, Stefano Pietragalla, Vasco Ventura, Honoka Mizuno, Benjamin Wilson, etc.
Lumières de Hannes Ruschbaschan
Costumes de Melanie Jane Frost
Dramaturgie de Patricia Stöckemann
Décor de Sarah-Katharina Karl
Crédit photos © Olivier Houeix & © Stéphane Bellocq