La Bâtie 2022 © DR

Le Festival La Bâtie, une 46e édition sous le signe de la reprise

Ouvrant la saison théâtrale genevoise, Le festival de la Bâtie a investi durant plus de trois semaines, de fin août à début septembre, pas moins d’une quarantaine de lieux en Suisse et en France.Rencontre.

La Bâtie 2022 © DR

Ouvrant la saison théâtrale genevoise, Le festival de la Bâtie a investi durant plus de trois semaines, de fin août à début septembre, pas moins d’une quarantaine de lieux en Suisse et en France. Portée par Claude Ratzé, à la direction, et Simone Toendury, à la programmation, cette 46e édition a tenu toutes ses promesses, proposer une saison éclectique, pluridisciplinaire qui conjugue habilement émergence et valeurs sûres. Rencontre.

Qu’est l’origine de La Bâtie qui ouvre chaque année depuis 1981 la saison culturelle genevoise ? 

Claude Ratzé : Aujourd’hui, nous en sommes à la 46e édition. Né à la fin des années 1970, dans le bois de la Bâtie, sous l’impulsion d’un certain nombre d’associations et d’acteurs culturels locaux, dont il porte le nom, le festival a connu au cours du temps plusieurs formes, plusieurs vies, mais a toujours gardé une identité assez similaire, une manifestation de musique, théâtre et danse. Au début, les spectacles étaient tous gratuits et en plein air. Et très rapidement, la Bâtie est devenu l’événement genevois associé à l’émergence, notamment en accompagnant le mouvement des squattes, en présentant des artistes inconnus, des formes hybrides, innovantes. Dans les années 1990, les organisateurs de l’époque ont eu la volonté de descendre en ville, d’entrer dans les théâtres dont un grand nombre, comme le Grütli, le Saint-Gervais, ouvrent leurs portes. Il a fallu un peu de temps pour que tout se mette en place, pour trouver des lieux et en faire le coup d’envoi de la saison culturelle genevoise. Petit à petit, le festival a tissé sa toile, investissant le territoire de la ville et des communes proches. Un nouveau cap est franchi, quant à la recherche de grandes salles, une denrée rare dans les parages, il devient en 2000 transfrontalier et propose aux spectateurs d’aller découvrir des spectacles au théâtre Château rouge à Annemasse.  

Avant il n’y avait pas de grandes formes ? 
Claude Ratzé © DR

Claude Ratzé : Il y en avait, bien sûr, maisil était compliqué de trouver des lieux pour les accueillir. Assez rapidement, le festival a su dans sa programmation, mixer les artistes confirmés, tel Alain Platel, ou Lia Rodrigues, qui a présenté cette année son Encantado, et les émergents, comme Kayije Kagame Mais clairement à la fin des années 1990 et au début des années 2000 de grandes productions, notamment en danse, font leur apparition. Nous avons dû nous adapter et tisser de nouveaux partenariats.

Quelles sont les particularités du festival ? 

Claude Ratzé : C’est avant tout une manifestation culturelle pluridisciplinaire qui conjugue, danse, théâtre, musique et plus récemment, sous l’impulsion notamment de Simone Toendury, de cirque contemporain. Suivant l’émergence depuis longtemps, il était logique que des formes hybrides nouvelles s’invitent dans la programmation, que nous soyons l’écho des tendances actuelles qui parcourent l’art vivant. Par ailleurs, si c’est avant tout un festival de création genevoise, il était essentiel pour nous de nous ouvrir à l’international, de permettre à certains artistes mal connus en suisse de présenter leur travail.  Enfin, et cela fait vraiment parti de son ADN, c’est un festival compact dans le temps, en moyenne 17 jours. De ce fait, nous devons chaque année, imaginer des parcours très intensif, un programme très concentré, très éclectique. Nous essayons toujours de revenir sur le métier, de faire en sorte que les spectacles que nous présentons questionnent le monde, invitent au débat, 

Comment faites-vous la programmation ? 
Simone Toendury © DR

Simone Toendury : Avant de rentrer dans le vif du sujet, il est important de rappeler que depuis peu nous avons décidé de recatégoriser les spectacles, de les étiqueter en fonction des disciplines auxquelles ils se rapportent. Cela permet aux festivaliers de se repérer. Après, avec Claude, nous essayons de trouver un chemin, de raconter une histoire à travers les spectacles que nous programmons. Cela peut paraître ardu. Clairement, ça l’est parfois. Mais étonnement, plus on a l’impression de nous perdre, plus on se rend compte, que nos choix ont un sens, que tout fini par s’emboîter. Souvent, tout se clarifie d’un coup. Comme nous n’avons pas vocation à être un festival à thèmes, nous nous efforçons, tant faire que cela se peut d’imaginer plusieurs fils rouges, plusieurs grilles de lecture, de faire en sorte que des spectacles se répondent ou se reflètent. L’important pour nous est vraiment de proposer des choses peu ou rarement vues, d’offrir aux spectateurs des œuvres singulières, d’inviter des artistes qui ne sont jamais venus en Suisse, comme nous l’avons fait cette année avec Vimala Pons. Après, nous mixons entre des formes populaires et d’autres plus abstraites, plus intellectuelles, entre des formes intimistes et d’autres plus imposantes.

Cette année, y-t-il des tendances qui sont dégagées ? 
Intérieur vie / Intérieur nuit de Kayije Kagame © Dorothée Thébert

Simone Toendury : Clairement. L’empêchement de travailler, dû à la crise de la Covid, a impacté fortement les propositions. Les artistes ont beaucoup questionné la société, le lien avec les autres, les rapports sociaux. Face aux enjeux climatiques, beaucoup se sont penchés sur les enjeux environnementaux, sur la manière dont l’humanité observe la nature, comment elle la traite. D’autres se sont intéressés, ont interrogé la place des femmes, de leur corps, dans un monde qui a dû mal à lâcher prise avec le patriarcat. Dans l’ensemble, tous se nourrissent du climat actuel, de la morosité des temps. D’ailleurs, il est passionnant de voir que le sujet de la décolonisation s’est invité au théâtre. Dans la quête d’identité, que traversent de jeunes auteurs, de jeunes artistes, l’appropriation culturelle, le retour aux sources, l’impact de la colonisation et de la décolonisation sur le monde d’aujourd’hui, a irrigué un certain nombre d’œuvres. C’est d’autant plus passionnant que longtemps, la Suisse s’est crue en dehors, n’ayant jamais eu de colonies. Mais par ses implications économiques dans les autres pays, nous y avons d’une manière indirecte participé. À un moment nous avions un peu peur que le festival soit très « dark », très négatif. Nous avons dû faire plus attention, procéder à des ajustements pour permettre des respirations, des temps plus joyeux. De ce fait, d’autres chemins ont vu le jour, se sont construits en parallèle des premiers. Le week-end d’ouverture était par exemple, très axé sur les solos, sur la manière qu’un individu a la capacité d’habiter un espace et d’y faire résonner une histoire. 

Comment choisissez les artistes, les œuvres ? 
Glottis de Flora Détraz - La Bâtie © Paulo Pacheco

Claude Ratzé : Nous sommes un lieu de création. Nous travaillons donc beaucoup sur dossier, sur la rencontre avec les artistes, et portons une grande attention à la manière dont ils présentent leurs projets. Pour les accueils, nous aimons connaître ce que nous programmons et si ces deux dernières années nous voyageons moins, nous visionnons en ligne beaucoup de propositions.  Après, La Bâtie est devenue au fil des ans une institution. Le Festival ouvre la saison théâtrale genevoise et exploite, pour cette raison notamment, beaucoup de lieux sur le territoire. Dans de nombreux cas, les spectacles présentés sont des coréalisations. Nous travaillons donc en bonne intelligence et faisons les choix ensemble. Et j’avoue, j’aime beaucoup l’idée de co-programmer, de faire ensemble. Cela permet un échange et de porter à plusieurs certains projets. Cela oblige à un consensus. C’est très suisse (rires !). Toutefois, avec Simone, nous n’oublions pas la finalité, qui est de proposer une programmation cohérente. Nous avons toujours dans un coin de notre tête qu’il faut que nous construisions une dramaturgie au Festival. 

Simone Toendury : Ce qui est aussi important pour nous, c’est de sortir des sentiers battus, d’aller à la rencontre de nouveaux récits, de nouvelles façons de raconter des histoires. Mais comme l’évoquait Claude, si nous suivons des artistes sur le long terme, c’est surtout le projet, le sujet qui est abordé, qui priment sur nos choix. Nous essayons d’être le plus éclectique possible afin de donner envie aux genevoises et genevois d’aller autant vers des terrains connus que d’autres plus surprenants. C’est, je crois la grande force, du festival.  

Que peut-on vous souhaiter pour les années à venir ?

Claude Ratzé : De pouvoir continuer à développer notre projet, de rester éveillé et attentif au transformation culturel et artistique et à rester pertinent dans nos choix pour marquer l’imaginaire collectif et l’ouverture de la saison culturelle genevoise.

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial en Suisse

Festival La Bâtie

Crédit photos © DR, © Dorothée Thébert & © Paulo Pacheco

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