La Trilogie de la villégiature, Claudia Stavisky © Simon Gosselin

La Trilogie de la villégiature, crépuscule des cœurs

Après Giorgio Strehler ou Alain Françon à la Comédie-Française, Claudia Stavinsky s'empare de la Trilogie de la Villégiature de Carlo Goldoni pour sa dernière mise en scène en tant que directrice du théâtre des Célestins, à Lyon. Une comédie crépusculaire pensée comme un jeu de couleurs allant du clair au sombre et servie par une troupe généreuse.

Livourne, en Toscane. Leonardo et sa sœur Vittorina, bourgeois célibataires aux goûts onéreux, préparent leur voyage estival à la villégiature de Montenero, rendez-vous immanquable de la vie mondaine de cette région d’Italie. L’une attend une robe que le tailleur tarde à livrer tandis que l’autre reçoit les mises en garde de l’ami Fulgenzio, qui lui reproche de lui emprunter chaque été de l’argent pour le brûler dans des frivolités estivales. Dans l’intérieur à hauts plafonds de son père Filippo, la jeune Giacinta, promise à Leonardo, se réjouit à l’idée de faire le trajet aux côtés du charmant Guglielmo, ce qui ne tarde à déclencher le courroux du fiancé. Voilà le point de départ de la Trilogie de la villégiature, où germent déjà les vicissitudes qui remueront cette partie de campagne jusqu’au retour à Livourne.

La Trilogie de la villégiature, Claudia Stavisky © Simon Gosselin
Aventure feuilletonnesque

Si cette classe aisée du XVIIIe siècle, obnubilée par ses résidences secondaires, rappelle volontiers les préoccupations bourgeoises du présent depuis que l’exode urbain a le vent en poupe, Claudia Stavisky choisit de situer la pièce dans un décor d’années cinquante, indiqué par les nombreux et luxuriants changements de costumes. Sur cette toile de fond, qui rappelle plus la sitcom que le théâtre settecento, la trilogie déploie un étonnant éventail de registres comiques. La première des trois pièces est un vaudeville chronométré autour du départ retardé des voitures vers Montenero ; le deuxième volet déploie un entrelacement touffu de situations et de relations croisées, avec au centre le nœud amoureux qui contraint Leonardo, Vittoria, Guglielmo et Giacinta. La partie finale, elle, se resserre autour de l’intérieur spartiate de Costanza et prend une tonalité cruelle, cheminement implacable vers une conclusion frustrée et mélancolique où les jeunes bourgeois, aux ordres des échanges financiers matérialisés par la dot, finissent par se marier sans amour.

La Trilogie de la villégiature, Claudia Stavisky © Simon Gosselin
Nuances

Claudia Stavisky se tient, sans y déroger, à une mise en scène épurée, rythmée par les modulations du décor et les variations chromatiques de motifs picturaux abstraits en projection sur les murs blancs (limpide travail scénographique du regretté Christian Fenouillat, dont les lumières filtrée par les fenêtres rendent quelques très beaux tableaux). Et si une monotonie un peu rigide s’y installe au long des neuf actes, ce canevas a néanmoins le mérite de rester à l’entière écoute d’un ensemble de comédiens talentueux jouant pour beaucoup sur des registres différents. De Benjamin Jungers, qui campe un Leonardo sévère, corseté par les dettes et sa jalousie aveugle, à une Christiane Cohendy aussi drôle que pathétique en Sabina, en passant par l’incarnation très contemporaine de Giacinta par Savannah Rol, les comédiens donnent corps à une approche assez nuancée de cette pièce ouverte à différentes lectures, farce cruelle ou critique crépusculaire d’une socialité bourgeoise téléguidée par l’argent souverain. On saluera également Anne de Boissy, amère et vulnérable Constanza, sans oublier l’épatante Pauline Cheviller, dont la Vittoria est un bijou comique mené sur le fil de torsions musculaires et de cassures vocales, à mi-chemin entre Sophia Loren et Renée Zwelleger, faisant cohabiter une féminité glamour à l’italienne et des élans burlesques très américains.

Joliment rythmée, La Trilogie de la villégiature fait résonner le texte de Goldoni dans ses complexités et ses nuances — voir comment la lecture de la lettre de Sabina, à la fin de la pièce, cristallise autour d’elle un éventail de réactions possibles, de la moquerie méchante à la commisération sourde. Et si la machine infernale du dramaturge vénitien mène ses personnages vers une redescente sèche au bout de quelques jours d’une fête pervertie par la jalousie et la convoitise, cette mise en scène lui donne un vrai souffle comique, sans pour autant détourner le regard de la misère existentielle bourgeoise qu’elle dépeint dans le même temps.

Samuel Gleyze-Esteban – Envoyé spécial à Lyon

La Trilogie de la villégiature de Carlo Goldoni
Célestins – Théâtre de Lyon
4 Rue Charles Dullin
69002 Lyon

Jusqu’au 8 octobre 2022
Durée 3h45 avec entracte

Mise en scène Claudia Stavisky
Traduction et version française : Myriam Tanant, adaptation par Claudia Stavisky
Scénographie Christian Fenouillat
Costumes Graciela Galan assistée de Bruno Torres
Lumière Franck Thévenon
Son Aline Loustalot, Jean-Louis Imbert
Vidéo Étienne Guiol
Assistanat à la mise en scène Alexandre Paradis
Construction décor Atelier Prélud
Construction mécanique Atelier Sumo
Toiles imprimées Atelier Devineau
Draperie scénique Atelier Azur ScenicTeviloj
Accessoiristes Virginie Azario, Juliette Dubernet
Responsable couture, habillage et coiffure Bruno Torres

Régisseur général Laurent Patissier
Régisseurs plateau Fabien Barbot, Juliette Dubernet, Éléonore Larue, Mattia Lercari, Bertrand Pinot

Régisseurs lumière Frédéric Donche, Daniel Rousset, Jérôme Simonet
Régisseurs audiovisuel Barbe Chloé, Cédric Chaumeron, Pierre XuclaCintriers Gilles Demarle, Damien Felten
Costumiers réalisateurs Marie-Bénédicte Betemps, Natacha Costechareire, Nathalie Jambon, Marion Mercier, Marion Thouroude, Béatrice Vermande, Fabienne Guidon, Samy Douib
Couturiers Florian Emma, Julie Mathys
Habilleurs Natacha Costechareire, Florian Emma
Machiniste Noël Demoux
Maquillage et coiffure Kim Ducreux
Avec Frédéric Borie, Éric Caruso, Pauline Cheviller, Maxime Coggio, Christiane Cohendy, Anne de Boissy, Benjamin Jungers, Lise Lomi, Daniel Martin, Marin Moreau, Bruno Rafaelli, Julie Recoing, Savannah Rol

Crédit photos © Simon Gosselin

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