Il est un défenseur passionné de la création étrangère en langue française. Nous avons rencontré Hassane Kassi Kouyaté, directeur des Francophonies, dont le festival des Zébrures d’automne s’ouvre aujourd’hui à Limoges.
Dans une brasserie typique du cœur de la capitale, à deux pas de la Cité internationale des arts, où il a ses habitudes lors de ses haltes parisiennes, nous retrouvons Hassane Kassi Kouyaté. Avant de s’envoler pour les Canaries pour le marché des arts de la scène de l’Atlantique sud, le directeur des Francophonies, l’association qui organise les Zébrures d’Automne et du Printemps dans la capitale limousine, a pris le temps de prendre un café, d’évoquer son projet, ses évolutions et surtout de mettre en exergue son engagement pour défendre l’un des derniers bastions hexagonaux de la création étrangère en langue française et réclamer les moyens nécessaires à sa survie.
Pouvez-vous nous parler du focus sur les insularités décidé pour cette nouvelle édition des Zébrures d’automne ?
Hassane Kassi Kouyaté : J’ai décidé de faire chaque année un focus, donc une discussion, une réflexion sur certaines parties du monde. J’ai pensé aux Outre-Mer et à l’insularité, en incluant Haïti ou les Comores. Il m’a semblé intéressant de questionner ces territoires du point de vue de la création. Lors de ma première année, on avait fait une grand-messe autour des outre-mer. Après ça, il y a eu des dispositifs pour encourager la circulation des artistes ultramarins et de leur œuvres. Mais aujourd’hui, je repose la question : où en est-on réellement ? Le focus est un moyen de questionner ça.
Depuis votre arrivée en 2019, les Francophonies sont sous-titrées « des écritures à la scène ». Que recouvre cette formule ?
Hassane Kassi Kouyaté : Pour moi, le processus est plus intéressant que le résultat. Parce que c’est ça qui va créer d’autres choses, des choses peut-être inédites, ou avec une plus-value. Je ne chercherai pas à plaire et à avoir des grands titres de journaux. Les « spectacles merveilleux », je ne sais pas ce que ça veut dire. Ce qui m’importe, c’est que ça génère quelque chose, qu’on reparte de la salle en disant « oui, il y a des doutes, mais il y a de la matière ». Dans mon éducation, on m’a toujours dit : « Surtout, ne réussis pas, sinon tu es foutu. Mais continue à faire, continue à chercher, continue à avancer. »
Les francophonies font de Limoges l’un des trois pôles de création francophone dans l’hexagone, avec la Cité internationale des Arts à Paris et la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon. Est-ce un lieu de luttes ?
Hassane Kassi Kouyaté : Combien de jeunes français d’origine étrangère sont artistes associés ? Quels sont les metteurs en scène d’origine francophone qui sont conventionnés, subventionnés ? Il y en a combien ? On ne peut plus se taire sur ces choses. Le théâtre est un espace de colonisation. C’est pour cela qu’on lutte pour garder Limoges.
C’était une nécessité, à cet égard, de dire : « cette année, on est une année centrée sur la création, on revendique à nouveau la diversité des formes » ?
Hassane Kassi Kouyaté : Utiliser de l’argent public pour montrer que tu sais faire de la mise en scène, c’est très bien, mais après, on fait quoi ? C’est ça, ma question. Quand tu as prouvé que tu sais faire, que tu as monté Shakespeare, Beckett, Molière, et des auteurs contemporains… après, que se passe-t-il ? On l’a indiqué sur l’affiche même : « Festival des créations théâtrales ». Cela recouvre des choses désignées par certains comme des risques, mais qui, pour moi, n’en sont pas du tout. Avec tout le respect que je dois aux gens, je pense que le « moyen » occupe presque 80%, 90% de la création. Essayons donc d’augmenter un peu le pourcentage de l’autre côté. Faisons peut-être moins, et prenons le temps pour bien faire les choses. Ne poussons pas les gens à faire absolument des créations pour pouvoir vivre. Ce que je souhaite, c’est que des artistes d’origines et de formations différentes qui se rencontrent, à Limoges ou ailleurs, et qui ont envie d’essayer des choses ensemble, aient un espace pour cela. Sans avoir à chercher ce qu’on appelle le « résultat ».
Justement, le festival est en recherche d’un domicile, maintenant que vous a été retirée la caserne Marceau…
Hassane Kassi Kouyaté : C’est en train de prendre forme avec la future création d’un lieu financé avec la région, le département et l’état : une ancienne école d’infirmière qui sera transformée en lieu de travail pour nous et la cinémathèque. À un moment donné, quand j’ai plus eu la caserne, j’ai dit : si ça continue comme ça, ça ne m’intéresse pas ! [Hassane sort son téléphone et nous montre une photo] J’étais dans ce lieu, c’était un festival de théâtre, ça s’appelle Dol’En Scène, dans une ville qui s’appelle Dolisie [au sud du Congo, ndlr]. C’est Abdon Fortuné Koumbha, un de mes anciens élèves, qui a créé son théâtre. Il joue dehors, sur la scène, avec quatre projecteurs ! La scène est là : ils en tracent les limites, et ils allument des feux le soir pour jouer. C’est également comme ça qu’on a trouvé Sony Labou-Tansi, un jour : il était prof dans son village, il écrivait éclairé à la bougie. Je sais de quoi je parle, car je vois comment le théâtre vit ailleurs. Mais il faut que nous puissions accueillir ces artistes. Et si on ne fait pas ce travail, l’avenir en France ça va être difficile. C’est pour cela que nous avons besoin de ce lieu.
Le bâtiment va entrer en rénovation ?
Hassane Kassi Kouyaté : On est parti pour trois ans. Si j’arrive à livrer ça pendant mon mandat, c’est bon. Un temps, les gens venaient, ils s’asseyaient, ils voyaient les spectacles québécois, suisses, belges et quelques spectacles africains et disaient : « on a découvert la francophonie ». Je ne veux pas cracher sur le travail des autres, mais à un moment donné… Le public s’est dit « les spectacles africains ne sont pas aboutis ». Alors oui : ils répètent et jouent dans la rue, et on vient les mettre dans les conditions du théâtre, au même titre que des Belges ou des Québécois. Mais à l’arrivée, les gens ne comprennent pas d’où ça vient, où les gens créent. C’est pour cela qu’on essaie de suivre les artistes dès l’écriture, et ensuite de les faire venir entre deux et trois semaines ici, pour que tous puissent travailler dans les mêmes conditions. Mais ça coûte de l’argent !
Qu’ attendez-vous de cette édition des Zébrures d’automne ?
Hassane Kassi Kouyaté : J’attends qu’elle soit comme les autres : que l’on découvre des artistes. Que l’on prenne conscience, certes, de la richesse des possibilités, mais de leurs limites aussi, et que l’on réfléchisse, à partir de là, à ce qu’il est possible de faire. Que l’on se parle, que l’on se découvre, que l’on se rencontre… C’est suffisant, pour moi. Comme je dis, Limoges est aussi un lieu de formation de la pensée. Je dis toujours : si je n’avais pas le théâtre, je ferais de la politique. Pour réfléchir à comment améliorer le quotidien des gens. Ce festival, les Zébrures d’automne, c’est comment on peut améliorer la vie des gens avec l’outil qu’est le théâtre. C’est tout. On essaie aussi de remplir notre mission de pluralité des écritures. On a la musique, la musique classique ; il y aura du théâtre d’objets, du théâtre de gestes, du théâtre de texte, de la danse… C’est enfin plusieurs générations d’artistes qui se mélangeront.
Il y aura un hommage à Monique Blin, cofondatrice du festival et directrice artistique de 1984 à 2000…
Hassane Kassi Kouyaté : Aucun hommage ne sera à la dimension de ce qu’elle aurait mérité. On le fera avec nos moyens, avec nos cœurs, c’est le plus important. Pour moi, Monique aurait mérité un hommage national. Peut-être que ça se fera un jour. Je n’ai pas de mots pour qualifier ce qu’elle a fait : le nombre de personnes qui vivent aujourd’hui parce qu’elle a cru en quoi . c’est extraordinaire.
Comment se déroulera le festival ?
Hassane Kassi Kouyaté : On sera au cœur de la rue, place de la République. Il y aura des spectacles à l’Opéra. Tous les après-midis, il y aura des événements ouverts au public, puis à 18h30 des concerts, et tout cela gratuit. Il faut savoir que maintenant, on a inversé la tendance : on a 70% de propositions en accès libre, pour donner la chance du partage : de la musique, des pièces, etc. Aujourd’hui, on travaille avec l’Éducation nationale, l’université, le Secours populaire, les quartiers. On n’a pas d’actions culturelles ponctuelles, mais des actions menées sur deux, trois, quatre ans, des vrais parcours avec les gens. On grandit ensemble, on se questionne ensemble, on se forme, on pérennise et on développe ensemble. Après, on le fait aussi dans la fête, mais qui dit fête ne dit pas distraction inutile. L’amusement ne tue jamais le sérieux.
Propos recueillis par Samuel Gleyze-Esteban
Les Zébrures d’Automne – Festival des créations théâtrales
Du 21 septembre au 1er octobre 2022
87000 Limoges
Crédit portrait © Christophe Péan
crédit photos © Fabrice Ducrest, © Josué Azor, © Christophe Péan, © Thierry Laporte