Gérald Sibleyras © DR

Gérald Sibleyras, la comédie au bout de la plume

Rencontre avec Gérald Sibleyras, dramaturge et adaptateur, plusieurs fois nominé et récompensé aux Molières, qui aime la comédie et ses subtilités.

La saison dernière, il a connu trois beaux succès avec Berlin Berlin, pièce co-écrite avec Patrick Haudecoeur, Une situation délicate, adaptée d’Alan Ayckbourn, et en collaboration avec sa compagne Sylvie Perez, Un voyageur inattendu d’Agatha Christie. Rencontre avec un homme de lettres et d’esprit.

Berlin Berlin est votre deuxième collaboration avec Patrick Haudecoeur…

Gérald Sibleyras : En fait, ce n’est pas ma deuxième mais ma troisième.

Ah ! Aurais-je loupé quelque chose ?

Gérald Sibleyras : Non, parce que c’est une pièce qu’on a écrite mais qui n’est pas encore montée.

Comment a eu lieu cette rencontre ?

Gérald Sibleyras : Avec toute sa bande du « Haudecoeur Circus », il était venu assister à une lecture d’une de mes pièces au La Bruyère. Il m’a demandé ensuite si je voulais bien échanger avec lui deux, trois idées. Comme j’adore tout ce qu’il fait, j’ai répondu que cela serait avec grand plaisir. Je ne savais pas qu’il suivait de loin tout ce que je faisais. Et l’on a, tout simplement, sympathisé.

Et vous vous mettez à travailler ensemble…

Gérald Sibleyras : On a passé plusieurs mois à échanger des idées, à dire des bêtises, à parler, sans grands résultats. Jusqu’au moment où il est arrivé avec l’idée de Silence on tourne ! Qui est un objet assez « haudecoeurien », avec du théâtre dans le théâtre, même si ici, c’est plutôt le cinéma dans le théâtre, ou inversement ! On a écrit ça ensemble. N’ayant ni l’un ni l’autre besoin de prouver  quoique ce soit à l’autre, ayant chacun fait des choses chacun de notre côté, ayant eu des succès et des échecs, notre collaboration s’est bien passée. Et donc, on a continué et on va continuer à travailler ensemble, j’espère.

Comment vous est venue cette idée folle de Berlin Berlin ?
Berlin, Berlin e Patrick Haudecœur et Gérald Sibleyras. Mise en scène de José Paul © Bernard Richebé

Gérald Sibleyras : Ma mère était allemande. Toute sa famille vit à Berlin-Est. Je suis né avec le mur, en 1961. Quand j’étais enfant, on passait le mur lorsqu’on allait les voir. J’ai des souvenirs assez forts de Berlin-Est et de la vie là-bas. J’en ai gardé une méfiance assez soutenue des communistes. J’avais eu cette idée toute simple d’un couple qui veut creuser un tunnel pour passer à l’Ouest, mais je ne savais pas trop quoi en faire. Ensuite, il y a eu au cinéma des films comme La mort de Staline, Goodbye Lenin et La vie des autres. J’en ai parlé à Patrick et on s’est dit qu’on devrait en faire une comédie.

Comment met-on en place une mécanique du rire sur le mur de Berlin, la séparation entre l’Est et l’Ouest ?

Gérald Sibleyras : Tous les ingrédients sont réunis dans cette situation. On a beaucoup pensé à Lubitsch, bien sûr, To be or not to be ! On s’est lancé dans cette aventure sans se soucier de savoir si les gens se souvenaient encore du mur, de la guerre froide, etc. Un des éléments d’une comédie est le danger. C’est pour ça qu’il y a des comédies avec des nazis, enfin, pas tellement, mais il y en a. Quand on voit un nazi, on sait que c’est un méchant. C’est encore plus menaçant qu’un amant dans le placard. Les VoPos (Volkspolizei, police de la R.D.A) n’étaient pas gentils du tout, et je peux en témoigner ! La Stasi, la police politique, tout cela fait frémir.

La pièce est divisée en deux. La première, quand ils sont dans l’appartement à tenter de creuser leur passage, est très comédie légère, et la deuxième, quand ils sont à la Stasi, plus noire…

Gérald Sibleyras : Oui mais c’est de l’humour noir ! Dans une comédie, c’est bien d’avoir deux actes, avec une mise en place dans le premier et une résolution dans le second. C’est une lecture à la Feydeau, qui met en place, des personnages qui ne devraient pas se rencontrer mais qui se croiseront malgré tout au deuxième acte ! Donc, la Stasi, pourquoi pas ! Mais la pièce finit presque comme un vaudeville. En fait, Berlin Berlin, c’est Feydeau à la Stasi ! L’action dans Berlin Berlin l’emporte sur tout, et elle tourne autour de ce pauvre garçon, joué par Patrick, qui s’enfonce dans la catastrophe avec une belle régularité.

Avec Patrick Haudecoeur, c’est toujours le théâtre de catastrophe…

Gérald Sibleyras : C’est ça, la comédie ! C’est la catastrophe ! Il faut à chaque fois que le public pense que le personnage ne va pas s’en sortir et c’est à nous, les auteurs, de le sortir de cette mouise épouvantable. Maxime d’Aboville dit que la comédie, c’est une tragédie vue de dos. C’est exactement ça ! Et n’oublions pas qu’il n’y a pas de comédie sans danger. On en a un peu marre des amants et des maîtresses dans le placard. Encore que dans Berlin Berlin, on le fait un peu !

Quelle sensation avez-vous ressentie lorsque dès les premières représentations vous avez entendu les éclats de rire ?

Gérald Sibleyras : On est toujours content, lorsque l’on écrit une comédie, d’entendre les gens rire. C’est pour ça qu’on l’a écrite. Patrick a ses aficionados, Ils connaissent tout et vont avoir tendance à comparer. Les premiers commentaires sont alors du genre : « J’ai préféré Silence on tourne ! Je regrette Frou-Frou les bains ! » Ou, tout simplement, « J’adore ! » Patrick a un vrai public, ce qui est rare de nos jours. Ce noyau de fidèles remplit la salle dès le début. Ils sont là pour le voir faire l’imbécile. Mais ensuite, on sait que le spectacle va marcher quand on dépasse ce public particulier. Ce qui s’est passé avec Silence on tourne !, puisqu’elle s’est jouée deux ans, et ce qui se passe avec Berlin Berlin. Maintenant, c’est la pièce qui est la vedette.

Pour la pièce Une situation délicate, vous avez repris votre casquette d’adaptateur. Racontez-nous le projet…
Une situation délicate ©Bernard Richebé

Gérald Sibleyras : Cela part d’une initiative personnelle. Avec le comédien Philippe Uchan, on cherchait quelque chose à monter. L’actrice, Linda Massoz a fait lire la pièce d’Ayckbourn à Philippe qui me l’a passée et j’ai adoré. J’ai acheté les droits, ce que je n’avais jamais fait avant, puis, je l’ai adaptée. Ensuite, on a fait des lectures, avec des acteurs qui ne sont pas ceux de la distribution actuelle. Le confinement, la Covid passent par là et cela ne s’est pas fait. Et puis, un jour, Ladislas Chollat suggère au producteur Pascal Legros que ce serait bien de filmer une pièce d’Ayckbourn. Legros décide, alors de la monter pour le théâtre et non pour la télévision. Ce qui était d’autant plus facile parce que Gérard Darmon avait dit oui. Un des grands talents de Chollat est d’arriver à trouver des têtes d’affiche. Ce qui rend tout de suite les choses plus faciles.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette pièce ?

Gérald Sibleyras : C’est une de ses premières pièces. Elle possède une situation comique extrêmement ténue, basée sur un quiproquo, qu’il tient jusqu’au bout. C’est terriblement anglais ! Il faut comprendre qu’en réalité les Anglais ne disent jamais les choses frontalement. Ce qui a des avantages et des inconvénients. Ce n’est pas totalement absurde pour des Anglais de parler une heure avec quelqu’un sans savoir qui il est — et, surtout, sans jamais lui demander qui il est ! Par retenue, par timidité. Alors ils parlent de jardinage, du temps… Quelqu’un vient chez toi, tu lui dis bonjour, tu vas parler de tout sauf de la question essentielle qui est : « Qu’est-ce que vous foutez chez moi ? » Donc la situation de la pièce tient en Angleterre. En France, ce n’est pas exactement ça et pourtant cela a marché sur le public français.

Il y a quand même une histoire de mari et de maîtresse !

Gérald Sibleyras : Cette situation est simple et marche très bien. Ce qui est génial dans cette pièce, c’est que Ayckbourn arrive à la faire tenir 1h30, sans que personne ne demande à l’autre qui il est. J’aime beaucoup cet auteur, mais reconnaissons qu’il a écrit d’autres pièces plus bavardes, plus posées, plus subtiles dans les rapports. Ce n’est pas toujours facile à monter. L’amour est un enfant de salaud, adapté par Michel Blanc, mis en scène par José Paul, avec Isabelle Gélinas et Bruno Madinier était très réussi. Mais IL faut savoir qu’ils avaient coupé 1h de la pièce originale ! Là aussi, ils avaient privilégié le côté Feydeau.

Vous aviez également à l’affiche la saison dernière l’adaptation écrite avec Sylvie Perez, Un visiteur inattendu, d’Agatha Christie. Comment aborde-t-on la reine du crime ?
Un visiteur inattendu © Marion Duhamel

Gérald Sibleyras : Agatha Christie a écrit nombre de pièces, en plus de tous ses romans. Elle a connu, là aussi, des succès magnifiques. Nous en avons traduit huit, à la demande de la Fondation AC (Agatha Christie). Certaines pièces datent un peu, souvent un peu longues (il y a un entracte) et souvent un peu explicatives. Mais la psychologie des personnages est toujours parfaitement analysée et montrée, au-delà de l’intrigue policière. Cette femme était, à n’en pas douter, d’une grande intelligence et d’une grande finesse.

Qu’est-ce que le travail d’un adaptateur ?

Gérald Sibleyras : Les Anglais ne disent pas « adapter par » mais « traduite par »… Si on prend un roman et qu’on l’adapte au théâtre, c’est une véritable adaptation, puisqu’il va falloir reconstruire pour en faire un objet de théâtre. Pour La Garçonnière, qui est un film, il a fallu trouver des astuces pour que cela soit faisable au théâtre. Si vous prenez une pièce, même si vous y changez deux trois trucs, cela reste quand même plus proche d’une traduction que d’une adaptation. Il est vrai que c’est beaucoup plus facile de prendre une pièce existante que d’en écrire une originale. On peut décider de rester au plus près du texte original, parce que cela marche très bien, où de le mettre au code ou au goût du public. C’est vaste. Il y a 100 façons d’adapter. On peut y mettre beaucoup de soi ou pas ! Et ça, c’est toi qui le vois ! En tout cas, moi j’adore ça !

Que pensez-vous du fait que l’Académie des Molières ait enlevé cette catégorie ?
Gérald Sibleyras, Patrick Haudecœur Molières 2022 © DR

Gérald Sibleyras : J’ai reçu l’avant-dernière pour Les 39 marches, qui est sans doute la pièce que j’ai le moins adaptée ! Oui, c’est assez curieux, parce que c’est un vrai travail. En France, une fois qu’il a donné sa pièce, l’auteur, surtout d’une comédie, est souvent considéré comme la cinquième roue du carrosse. Alors un adaptateur, c’est encore pire ! Ce qui est payant, c’est d’obtenir le Molière du meilleur spectacle ou de la meilleure comédie, comme on l’a eu pour Berlin Berlin. En plus, nous sommes passés les premiers le soir de la cérémonie, les gens étaient encore devant leur écran. Les locations ont triplé !

Et les projets ?

Gérald Sibleyras : La troisième pièce avec Patrick. Pour le moment, on ne sait pas quand, pas où et pas avec qui, mais cela va se faire !

Propos recueillis par Marie-Céline Nivière

Berlin, Berlin de Patrick Haudecœur et Gérald Sibleyras
Théâtre Fontaine
10 rue Pierre Fontaine

75009 Paris
Jusqu’au 31 décembre 2022.
Du mardi au vendredi à 21h, samedi à 16h30 et 21h, dimanche à 16h
Durée 1h30

Mise en scène de José Paul assistée de Guillaume Rubeaud
Avec Maxime d’Aboville, Lysiane Meis, Patrick Haudecœur, Loïc Legendre, Guilhem Pellegrin, Marie Lanchas, Claude Guyonnet, Gino Lazzerini 
Décor d’Édouard Laug
Costumes de Juliette Chanaud
Lumière de Laurent Béal
Musique de Michel Winogradoff.

Une situation délicate d’Alan Ayckbourn
Théâtre Edouard VII
10 place Edouard VII
75009 Paris
Jusqu’au 31 décembre 2022.

Du mardi au vendredi à 21h, samedi à 16h30 et 21h, dimanche à 16h

Durée 1h30

Adaptation française de Gérald Sibleyras
Mise en scène de Ladislas Chollat  
Avec Gérard Darmon, Clotilde Courau, Max Boublil, Elodie Navarre
Assistant à la mise en scène Eric Supply
Décors d’Emmanuelle Roy
Lumières d’Alban Sauvé
Costumes de Jean-Daniel Vuillermoz
Musique de Frédéric Norel
Réalisatrice vidéos de Nathalie Cabrol

Crédit photos © DR (portrait et photo Molières) © Bernard Richebé (pour Berlin Berlin et Une situation délicate), © Marion Duhamel (Un visiteur inattendu).

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