Construite avec une belle intelligence, la pièce d’Ivan Calbérac est passionnante. C’est avant tout un drame familial que son auteur juge, et il n’a pas tort, presque shakespearien. À travers le destin hors norme du pianiste canadien, l’auteur cherche à comprendre comment l’artiste et l’homme se sont construits. On le sait maintenant, Glenn Gould n’était pas qu’un excentrique qui interprétait à sa manière les partitions de certains grands compositeurs. Qu’il n’était pas non plus un névrosé. Quoique ! Le mot a été posé, il était certainement atteint du syndrome d’Asperger. Ce qui faisait de lui un être étrange et insondable. Il suffit de le regarder en vidéo pour voir sa tenue étrange devant son clavier, chaise basse, corps plongé sur les touches, fredonnant les notes.
L’éternel adolescent
Glenn est enfermé dès l’enfance dans une tour d’ivoire faite de notes et de musique. C’est un extraterrestre incapable de comprendre les codes du monde extérieur. Même en pleine canicule, il entasse sur lui les vêtements, ne quittant que rarement pulls et gants. Incapable de se comporter normalement en société, il restera un éternel adolescent, alternant les crises de paniques et les caprices. Pas facile d’être un génie. Thomas Gendronneau est exceptionnel dans ce rôle pas si facile à incarner. Car il ne faut jamais tomber dans le cliché. Tout en nuances, comme il y en a tant dans les Variations Goldberg de Bach, il joue sa partition avec maestria.
Un douloureux chemin
Comme on le sait, les parents ont pour tâche d’élever et d’éduquer leurs enfants pour les préparer à leur vie d’adultes, et on peut dire à ce titre que le jeune Glenn n’a pas été gâté. Elle est terrible, cette mère fusionnante, trop aimante, presque incestueuse. Une véritable héroïne de tragédie grecque. L’interprétation de Josiane Stoleru est saisissante. Elle est une symphonie de maux, de douleurs et d’excès ! Dans un tempo tempéré, Bernard Malaka, toujours aussi remarquable et très émouvant, incarne le père aimant qui a baissé les armes.
Calbérac a eu la bonne idée d’intégrer dans l’histoire le personnage de la cousine. Elle représente l’inaccessibilité au bonheur et à l’amour. C’est un beau personnage, à qui Lison Pennec prête sa douceur, sa candeur et sa force de caractère. Elle est parfaite dans cette Ophélie du XXe siècle qui saura se préserver. Benoît Tachoires est épatant dans les rondeurs et les tonalités de l’imprésario débonnaire, compréhensif mais intraitable. Stéphane Roux apporte tout son talent à divers personnages, ce qui n’est jamais chose aisée.
Une mise en scène toute en accords
La mise en scène de Calbérac est rythmée comme une œuvre de Gould. Sous les lumières d’Alban Sauvé, dans les décors mouvant et astucieux de Juliette Azoppardi et Jean-Benoît Thibaud, les scènes s’enchaînent, les époques et les lieux s’harmonisent avec fluidité. Il y a comme quelque chose dans l’esthétisme qui fait songer aux tableaux d’Edward Hopper. Après L’étudiante et Monsieur Henri, Venise n’est pas en Italie et La dégustation, on peut dire qu’Ivan Calbérac est vraiment entré dans le sérail des auteurs de théâtre sur lesquels on peut compter.
Marie-Céline Nivière
Glenn Gould, naissance d’un prodige, texte et mise en scène d’Ivan Calbérac
Théâtre Montparnasse
31 rue de la Gaîté
75014 Paris
Du 20 septembre au 22 décembre 2024
Durée 1h30
Splendid
48 rue du Faubourg Saint Martin
75010 Paris
Jusqu’au 30 septembre 2023
Petit Montparnasse
31 rue de la Gaîté
75014 Paris
Du 7 septembre au 31 décembre 2022
Avec Josiane Stoleru, Bernard Malaka, Thomas Gendronneau, Lison Pennec, Benoît Tachoires ou Michel Scotto Di Carlo, Stéphane Roux.
Scénographie de Juliette Azoppardi et Jean-Benoît Thibaud.
Lumières d’Alban Sauvé.
Vidéo de Nathalie Cabrol.
Costumes de Bérengère Roland.
Assistante à la mise en scène Florence Mato.
Crédit photos © Fabienne Rappeneau