En cette fin d’août encore calme, nous nous retrouvons à la terrasse de chez Ginette, café situé juste en bas de l’avenue Junot. Nous avons une bonne heure avant qu’elle ne rejoigne le théâtre Lepic où elle incarne Violette, l’héroïne de Changer l’eau des fleurs. Voici, l’itinéraire insensé d’une jeune femme aux multiples talents.
Ce qui marque, la première fois que l’on rencontre Caroline Rochefort, en dehors de sa grande silhouette longiligne, de son sourire éclatant, de ses yeux noirs profonds, de sa chevelure toute bouclée, c’est son accent. Il sent bon son Sud-Ouest natal. Elle le promène en ville, mais sait le perdre, le gommer ou le changer selon les personnages. Elle vient d’un petit village de 552 habitants, Fontcouverte, situé dans l’Aude. Elle y a appris l’art des bonnes choses. Rien ne prédestinait cette petite Fontcouvertoise, douée pour les études, à prendre le chemin des planches.
Tous les chemins mènent à Rome
Sa première passion fut la danse, qu’elle démarra très tôt. Elle nous raconte alors une histoire extraordinaire qui, à son écoute, nous fait dire que ce n’est pas si mal de vivre dans une petite bourgade. Car ce n’est pas à Paris que cela aurait pu se passer. Le village est doté d’une MJC. Des parents intelligents ont décidé de monter une association qui permettrait aux mômes de s’occuper les mercredis et les samedis, leur donnant les clefs de la maison et la liberté de création. Donc, durant ses deux dernières années d’école élémentaire, la petite fille va donner des « petits cours de danse » aux copains. Vous avez bien lu : aucun encadrement d’adulte, les enfants s’autogéraient. « On faisait des chorégraphies pour le spectacle de fin d’année. Ensuite, il y a eu le théâtre. C’était des textes de Pagnol, des choses comme ça. On jouait des scènes. On chantait. » Avec son ami Benjamin, fidèle compagnon, ils en sont les fers de lance. « On faisait tout. On créait le spectacle qu’on jouait à la salle des fêtes. On faisait les programmes que l’on vendait 1F. Les places étaient à 3F. Les parents préparaient les gâteaux que l’on vendait. Et tout le village venait. C’était super ». Et on veut bien la croire. Même si cela se passe dans les années 1990, cela prouve que ces Maisons des Jeunes et de la Culture ne doivent pas disparaître.
Mais ce n’est pas là qu’elle attrape la vocation. « Cela viendra plus tard ! » Quand elle rentre au collège, toute à ses études, par manque de temps, elle quitte l’émulsion de la MJC. C’est au lycée de « Carca » (Carcassonne pour les novices) que le théâtre va la rattraper. Elle s’inscrit au club théâtre mais elle n’est pas sélectionnée. Qu’importe : avec d’autres refusés, elle décide de monter un spectacle. « Et je ne sais plus comment, mais on a eu le droit de le jouer trois fois uniquement pour les internes. » Et comme elle le dit tout simplement, cela lui a plu. Alors lorsqu’elle entre en fac de lettres pour devenir professeur, c’est tout naturellement qu’elle prend le théâtre en option. « Parce que cela me plaisait, et je n’avais pas l’idée d’en faire mon métier. »
La psychologie comme fondement
Elle choisit également de suivre des cours de psychologie. Cela lui plaît tant qu’elle abandonne son rêve d’enfance d’être prof et repique une année en choisissant cette nouvelle voie. La psychologie la passionne. Elle va même faire un DU de criminologie. « Je voulais travailler dans le soutien aux victimes, ou dans l’accompagnement des auteurs d’agression car ces derniers ne deviennent pas ce qu’ils sont sans une faille qui vienne de quelque part. » On souligne que cela pourrait lui servir un jour pour jouer dans une série policière. Le théâtre est toujours là, mais comme une récréation dans ses études. Une fois celles-ci terminées, alors que la jeune femme enchaîne les stages, elle se rend compte qu’elle n’est pas prête à affronter son métier. « J’avais 23 ans, c’était difficile de me projeter. Je ne me trouvais pas légitime pour aider quelqu’un à sortir d’un drame, d’une dépression, de quelque chose de lourd. J’avais le sentiment d’avoir à peine vécu ! »
La révélation
Alors, elle décide de s’octroyer du temps pour se construire et monte à Paris. « C’était un rêve ! Cela devait durer un an ou deux. » Elle s’inscrit au cours Florent. Elle a choisi ce cours parce que du haut de sa province, il lui semble le plus connu. « Je ne désirais pas devenir professionnelle, je voulais faire une bonne école juste pour mon plaisir ! » Elle commence par un stage. « J’ai mis les pieds sur la scène et là j’ai eu l’impression que j’étais chez moi ! » Elle va y rester trois ans, ses professeurs sont Marc Voisin, Dimitri Rataud et Régine Menauge-Cendre. Quand je lui souligne qu’ils me semblent bien jeunes à l’époque, elle me rassure en louant leurs talents de pédagogue. « Avec Marc, j’ai appris les bases, avec Dimitri, la poésie, et avec Régine, pourquoi on est sur un plateau de théâtre, une pensée plus politique. » Après les trois ans d’études, elle intègre les fameux T.F.E. (Travaux de Fin d’Étude) de l’école ainsi que le Prix Olga Horstig. Elle sort de chez Florent en 2009, avec cette certitude que cela sera son métier.
Première expérience
A la sortie du cours, l’agente Catherine Davray la prend dans son écurie et l’envoie passer un casting pour un petit rôle dans la prochaine pièce que monte Stéphane Hillel, Un été avec lui. Elle en repartira avec un autre, plus important. Cette première expérience professionnelle va être fondamentale dans son parcours. La pièce se joue au Théâtre de la Tête d’Or pendant trois mois, puis part six mois en tournée. Elle a beaucoup appris auprès d’Hillel, dont elle a aimé l’humanité, et de ses camarades de jeu, Jérôme Anger, Axelle Abadie, Charles Schneider. Ce projet m’a permis d’y croire. C’est une graine qui a été plantée. Sans cela, je ne sais pas si j’aurais continué.
Lorsqu’elle est chez Florent, elle réalise des courts métrages et adhère à la Maison du Film. Parce qu’elle est curieuse de tout, qu’elle souhaite comprendre comment se gère une association, elle va entrer au Conseil d’Administration et en sera même présidente. « Cela m’a appris plein de choses sur la gestion, sur l’organisation, et cela m’a servi pour ma compagnie et mon travail chez Matrioshka. » Elle y rencontre Mélanie Cellier et intègre sa compagnie nommée Ça ne se peut pas, spécialisée en spectacle jeune public sur des thématiques environnementales. Elle y fait la connaissance du comédien et metteur en scène Stéphane Duclot avec qui elle va partager l’affiche dans le spectacle qui va la lancer.
Quand souffle le vent du Nord
Si je connaissais son partenaire, elle m’était inconnue. J’ai tout de suite été séduite par la qualité et la ferveur de son jeu. C’est son amie, depuis les années cours Florent, Judith Wille, metteuse en scène et assistante au Berliner Ensemble, qui a lui parlé de ce spectacle, tiré du roman de Daniel Glattauer, qui cartonnait alors en Allemagne. « Le rôle est pour toi, tu trouves l’acteur, l’argent et moi je te fais la mise en scène ! » A la lecture du texte, Caroline est emballée. Elle acquiert les droits, casse son PEL. Ils feront cinq fois le festival Off d’Avignon, dont trois à la Condition des Soies, puis à Paris, au Ciné XIII et au Lucernaire, sans parler des tournées. « C’est le spectacle qui m’a donné le goût de la production, de porter des projets, de me dépasser. »
Salomé Lelouch et les Matrioshka
Il lui a permis de rencontrer Salomé Lelouch. « Elle voulait monter ce texte avec Mikaël Chirinian. Et voilà qu’en arrivant à Avignon, elle découvre que quelqu’un l’a fait. Elle annule son déjeuner et file nous voir ! Elle a un coup de cœur pour notre travail, décide de nous prendre en diffusion et de nous produire pendant 3 mois au Ciné XIII (Le Lepic aujourd’hui). » C’est comme ça qu’elles commencent à travailler ensemble. Au bout d’un an, la voilà engagée pour développer la partie diffusion de Matrioshka production. Comme elle a « le sens de la vente », elle devient auprès de Salomé Lelouch et Ludivine de Chastenet la troisième poupée des Matrioshka.
Changer l’eau des fleurs
« Ce projet a vu le jour d’une manière assez amusante. C’est parti d’un projet que j’ai proposé, mais voilà, mes deux associés n’ont pas eu le même ressenti que moi. Or, il a toujours été entendu que nous devions être toutes les trois d’accord pour mener un projet à terme. Quelque temps plus tard, Salomé m’a dit : ton prochain coup de cœur, on le monte ! » Elle le trouve par hasard à la gare de Lyon, en partance pour Avignon. « Je le dévore dans le train, et à chaque page que je tournais une petite voix me disait : Violette est un personnage de théâtre. J’en parle à Salomé, qui me regarde toute surprise. J’ai alors craint qu’elle refuse comme pour Bojangles… Mais elle me demande juste si je savais qui était l’auteur ! » C’est ainsi que naïvement, Caroline apprend que Valérie Perrin est la femme de Claude Lelouch. « Si ça, ce n’est pas une sacrée coïncidence ! » Mikaël Chirinian, que l’autrice adore, se joint à Caroline pour adapter le best-seller et rejoint également Salomé Lelouch pour co-signer la mise en scène. Le succès arrive dès les premiers jours. Le personnage de Violette va comme un gant à la comédienne. « C’est une belle rencontre entre nous deux. Je ne savais pas que c’était possible d’aimer à ce point un personnage ! »
Comme un songe
Sa prestation lui vaut d’être nominée dans la catégorie Révélation féminine aux Molières. Sa surprise est grande. Son but était de vivre de ce métier et voilà qu’il lui reconnaît sa légitimité. Si elle n’obtient pas le trophée, c’est déjà en soi une consécration pour cette fille de viticulteur. Elle raconte, amusée, comment le village, le soir des Molières, a organisé une retransmission en direct dans la salle polyvalente où elle a fait ses débuts. Ce village, qui prend un car pour venir l’applaudir à Avignon. « C’était génial, ils étaient une soixantaine, il y avait même la doyenne, Mauricette, 90 ans ! » Faire le festival Off d’Avignon était un désir de la troupe, parce qu’ils en aiment l’ambiance, l’émulsion. La production les a suivis et les installe au Chêne noir. Un lieu mythique dans lequel elle avait toujours espéré jouer un jour. « C’est fou, avec L’eau des fleurs, je réalise un peu tous mes rêves ! » Dès le 14 juillet, la pièce affiche complet jusqu’à la fin du festival. La reprise au Théâtre Lepic s’annonce tout aussi bien. Comme elle le dit, dans ce magnifique sourire qui la caractérise, elle ne va pas se plaindre.
Et demain
Entre les représentations du spectacle et son activité chez les Matrioshka, son emploi du temps est bien rempli. Pourtant, elle ne manque pas d’idées et d’envie. C’est son moteur. Il y a un profond désir de travailler pour le cinéma ou la télé, d’aborder cet autre aspect du métier. Après sa première confrontation avec l’écriture qu’a été l’adaptation du roman de Valérie Perrin, elle a très envie de se lancer dans l’écriture d’un spectacle. Elle a trouvé l’inspiration durant le premier confinement en regardant un documentaire sur « une femme extraordinaire » à qui elle voudrait rendre hommage. On la sait assez studieuse, têtue et douée pour mener à bien ce projet qui lui tient à cœur. En tout cas, la belle Caroline a de quoi encore nous surprendre.
Marie-Céline Nivière
Changer l’eau des fleurs d’après le roman de Valérie Perrin
Théâtre Lepic
1 avenue Junot
75018 Paris
Jusqu’au 17 décembre 2022
Du mercredi au samedi à 21h, dimanche 17h30.
Durée 1h15.
Adaptation de Caroline Rochefort et Mikaël Chirinian
Mise en scène de Salomé Lelouch et Mikaël Chirinian assistés de Jessica Berthe
Avec Caroline Rochefort, Morgan Perez et Mikaël Chirinian et les voix de Céline Monsarrat et Thibault de Montalembert.
Scénographie de Delphine Brouard
Création sonore et musicale de Pierre-Antoine Durand.
Création lumières de François Leneveu.
Vidéo de Mathias Delfay
Crédits photos © Olivier Allard (portrait), © Fabienne Rappeneau (Changer l’eau des fleurs) © DR (Quand souffle le vent du nord), © DR (Photos Molières, site Théâtre Actuel).