Au Rond-point, avec Harvey, la comédie de Mary Chase, Agathe Mélinand, à l’adaptation, et Laurent Pelly à la mise en scène, ainsi que toute la troupe, nous offre un immense moment de bonheur !
Quelle belle idée d’avoir sorti Harvey de son placard ! Ce beau film, des années 1950, en noir et blanc, réalisé par Henry Koster, avec l’exquis James Stewart. Une œuvre, non pas majeure mais marquante ! Son scénario est tiré de la pièce de Mary Chase, succès à Broadway dès sa création en 1944. Pourtant, le thème n’est pas des plus légers, et derrière la machine à rire, se dresse le portrait d’une petite bourgeoisie conformiste perdant ses repères face à l’excentricité d’un doux rêveur. Il ne faudrait pas omettre la réflexion sur les soins psychiatriques de cette époque-là.
Avoir un bon copain, il n’y a rien de mieux au monde
Elwood (Jacques Gamblin) et un être lunaire, bien inoffensif. Toujours courtois et attentionné, il adore lier de srelations avec les gens et aime distribuer ses cartes de visite. Si vous la perdez, ce n’est pas grave, j’en ai d’autres. Il n’est pas dans le moule ! Prenant au pied de la lettre les mots de sa mère : dans ce monde pour réussir, tu dois être ou très malin ou très gentil. Après avoir été malin, il a choisi la gentillesse. Mais voilà, Elwood possède un meilleur ami appelé Harvey. Ce dernier à la particularité d’être invisible et, surtout, d’être un lapin gigantesque. Il l’emmène partout, le présentant à tout le monde… De quoi rendre fou l’entourage !
Honni soit qui mal y pense
Harvey est un Pooka (ou Puca). Un esprit issu de la légende celtique. S’il n’est pas aussi facétieux que son cousin Puck, son invisibilité joue quand même bien des tours à Elwood. Sa sœur (Christine Brücher) et sa nièce (Agathe L’Huillier) n’en pouvant plus décident de le faire interner. Ainsi, elles pourront retrouver une vie mondaine digne de ce nom et peut-être un mari pour la jeune fille ! Mais c’est sans compter sur le fameux gag de l’arroseur arrosé ! Les quiproquos vont s’enchaîner, semant un désordre que même les psychiatres (Pierre Aussedat et Thomas Condemine) ne sauraient arranger !
Le monde enchanté de Pelly
Si l’on avait craint au début que la pièce ait pris un coup de vieux, on comprend très vite qu’il n’en est rien. La marginalité, qu’elle soit poétique où psychiatrique, dérange toujours autant et les petits travers d’une certaine société sont toujours d’actualité. Pelly a laissé l’intrigue dans le jus de l’époque, puisant ainsi, dans les codes de ces années 1940-1944, de quoi nourrir sa créativité. À vous de trouver les références, et il y en a, au cinéma d’Hitchcock, de Capra, de Mankiewicz… S’appuyant sur la magnifique scénographie de Chantal Thomas, maniant l’humour avec subtilité, le metteur en scène nous fait naviguer dans la tête d’Elwood, percevant ainsi sa vision du monde, qui oscille entre réalité flottante et irréalité concrète. Visuellement, le traitement des divers tableaux, qui s’enchaînent superbement, nous a laissés béat d’admiration. Du grand Pelly, comme on l’aime !
Une troupe à l’unisson
Pour le rôle d’Elwood, Jacques Gamblin a reçu le Molière du comédien dans un spectacle de théâtre public 2022. Cette récompense est des plus méritée, tant son interprétation est remarquable. Il possède l’élégance, le charme, la sensibilité, la poésie qu’il faut pour incarner avec une grande tendresse ce beau doux dingue. Un être qui s’est battu contre la réalité, toute sa vie et se dit heureux d’avoir gagné son combat. Sa gestuelle, entre danse et pantomime, est extraordinaire.
Dans le personnage pittoresque de la sœur, sorte de vieille dentelle sans arsenic (petit clin d’œil à l’actrice du film, Joséphine Hull), Christine Brücher est impayable. Son jeu, tout en rupture, est d’une grande finesse. Agathe L’Huillier, Pierre Aussedat, Thomas Condemine, Emmanuel Daumas, Lydie Pruvot, Katell Jan, Grégory Faive et Kevine Sinesi ne sont pas en reste pour interpréter cette partition burlesque et déjantée qui a, en cette soirée de première, déclenché des tonnerres d’applaudissements dans la salle du Rond-Point. Bravo !
Marie-Céline Nivière
Harvey de Mary Chase
Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue Franklin D. Roosevelt
75008 Paris.
Du 21 septembre au 8 octobre 2022.
Du mardi au samedi à 20h30, dimanche 15h, supplémentaire samedi 8 octobre à 15h, relâche le 1er octobre.
Durée 1h30.
En tournée
11 octobre 2022 au Théâtre des Cordeliers – Annonay (07).
14 octobre 2022 Théâtre de Cachan (94).
18 octobre Théâtre des Sablons – Neuilly (92).
21 octobre 2022 Théâtre en Dracénie – Draguignan (83).
24 et 25 novembre 2022 Scène Nationale de Mâcon (71).
13 et 14 décembre 2022 Le bateau feu, scène nationale de Dunkerque (59).
4 au 6 janvier 2023 MC2 Grenoble (38).
10 et 11 janvier Antipolis Théâtre d’Antibes (06)
18 janvier 20223 Espace Jean Legendre – Compiègne (60).
21 janvier 2023 Espace Marcel Carné à Saint-Michel-sur-Orge (91).
Nouvelle traduction d’Agathe mélinand.
Mise en scène de Laurent Pelly.
Avec Jacques Gamblin, Christine Brücher, Pierre Aussedat, Agathe L’Huillier, Thomas Condemine, Emmanuel Daumas, Lydie Pruvot, Katell Jan, Grégory Faive, Kevin Sinesi.
Décors de Chantal Thomas.
Création lumières de Joël Adam.
Création son d’Aline Loustalot.
Costumes de Lurent Pelly et Jean-Jacques Delmotte.
Perruques de Pascal Jehant.
Assistant à la mise en scène Grégory Faive.
Crédit photos © Pologarat