Au théâtre 13, dès le 14 septembre 2022, Alexandre Zeff reprend Tropique de la Violence, sa puissante et poétique adaptation du roman de Natacha Appanah. Invitant le spectateur à suivre l’histoire d’un jeune migrant d’origine comorienne, il signe une épopée bouleversante, saisissante. Rencontre.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de porter à la scène ce texte de Natacha Appanah ?
Alexandre Zeff : Il m’a d’abord semblé urgent de faire connaître les problématiques du cent-unième département français et l’immense difficulté de ces milliers de mineur•e•s isolé•e•s qui vivent dans les bidonvilles de l’île de Mayotte. J’ai également été bouleversé par la manière dont Nathacha Appanah avait réussi à joindre fiction et réalité, témoignage et lyrisme, documentaire et thriller, vivants et morts, social et politique. La construction polyphonique du roman m’a provoqué l’irrésistible désir d’entendre cette langue et d’incarner ces personnages sur une scène. J’avais la sensation que la friction entre cette écriture poétique et le plateau était propice à l’invention d’une forme originale et transdisciplinaire.
Comment travaille-t-on cette écriture réaliste, onirique autant qu’âpre ?
Alexandre Zeff : J’ai plongé dans son écriture pendant deux ans pour en révéler sur scène tous ses aspects. Nathacha Appanah propose un roman choral avec des points de vue, des énergies et des styles très différents. Cela donne une immense force à l’ensemble du récit et permet une véritable démarche de création transdisciplinaire. Avec chaque acteur, nous avons dessiné un parcours très personnel. Je me suis inspiré de leurs identités et de leurs savoir-faire pour offrir un maximum de relief à l’écriture. Certains passages sont chantés, d’autres dansés, filmés, enregistrés, projetés et parfois la scénographie prend en charge le texte. C’est cet assemblage polymorphe qui permet de déterritorialiser le roman pour qu’il puisse se déployer sur scène.
Comment s’est fait le casting ?
Alexandre Zeff : Il s’est construit au fur et à mesure. Certains interprètes sont là depuis l’origine, d’autres sont arrivés avec l’évolution du projet. Le spectacle est un être vivant qui fait souvent ses propres choix. Mon rôle est d’être à son écoute et d’essayer de le suivre… C’est un échange permanent. L’expérience de Tropique a été pour moi une révélation sur la manière dont se construit une équipe, et pas seulement avec les acteur•ice•s. J’ai l’impression que lorsqu’on s’engage corps et âme sur le chemin de la création et qu’on laisse les énergies circuler, les bonnes personnes arrivent au bon moment… Alexis Tieno (qui joue Moïse) a d’abord fait un remplacement pour une lecture car l’acteur pressenti pour le rôle n’était plus disponible. Une fois qu’il a lu, on a tous senti que c’était lui. Je découvre alors que c’est aussi un incroyable danseur, ce qui permet d’offrir une nouvelle dimension au personnage qui nous apparait aujourd’hui comme une évidence. Il y a de nombreux exemples comme cela sur ce projet… à chaque fois le spectacle gagne quelque chose en plus.
Comment arrive-t-on à reproduire la violence inhérente au bidonville de Mamoudzou tout en insufflant à l’œuvre une certaine poésie ?
Alexandre Zeff : C’est le formidable tour de force du roman de Nathacha Appanah, qui est construit comme cela ! J’ai donc suivi la même démarche sur scène en alternant des moments de violence avec d’autres qui font appel à une douceur poétique apte à nous consoler. Il faut trouver le bon équilibre pour créer le choc poétique nécessaire qui fera naître des prises de conscience aux spectateur•ice•s. Ce qui se passe à Mayotte est inacceptable. Le public doit ressortir de la salle avec l’envie d’agir. Comme le dit Audre Lorde, « la poésie n’est pas un luxe, c’est une nécessité vitale ». Elle permet de mieux faire entendre le réel pour nous mettre en action.
D’où est venue l’idée de conjuguer jeu et musique ?
Alexandre Zeff : J’ai découvert la puissance de la musique live sur scène grâce à mon travail sur Koffi Kwahulé et cette écriture jazz qui parcourt ses pièces. Pour entrer dans son univers, il m’a semblé nécessaire d’avoir des musiciens sur le plateau pour révéler pleinement son flow poétique. J’ai appris à penser la musique et les mots comme deux éléments indissociables. Cela fait partie aujourd’hui de ma pratique de la mise en scène à laquelle s’ajoutent la vidéo, la danse, l’installation plastique… Je m’inscris dans un mouvement transdisciplinaire qui explore de nouvelles possibilités d’expressions scéniques. Une création qui, dans son essence, serait multiple, c’est-à-dire composée de plusieurs arts indissociables les uns des autres.
Quels sont vos autres projets ?
Alexandre Zeff : Je travaille actuellement sur l’adaptation de Que sur toi se lamente le Tigre d’Emilienne Malfatto, Prix Goncourt du premier roman 2021. C’est le récit d’une jeune fille au Moyen-Orient qui franchit l’interdit absolu : hors mariage, une relation amoureuse, comme un élan de vie. Le garçon meurt sous les bombes, la jeune fille est enceinte : son destin est scellé. C’est un projet qui s’inscrit dans le prolongement de mon travail et qui élargira son langage poétique par de nouvelles explorations sensibles. Comme je travaille sur plusieurs arts en même temps, monter un spectacle, c’est aussi réaliser un film, écrire de la musique, des chansons, inventer des dispositifs plastiques, concevoir des chorégraphies… C’est plusieurs projets artistiques qui allient leurs forces au sein d’une seule création.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Tropique de la violence de Nathacha Appanah © Éditions Gallimard
Compagnie La Camara Oscura
Théâtre 13 – Bibliothèque
du 14 au 30 septembre 2022
du lundi au vendredi à 20h, les samedis à 18h
durée 1h25 environ
Tournée
Les 13 et 14 octobre 2022 à l’Espace Bernard-Marie Koltès, Metz
Le Vendredi 21 octobre 2022 à Théâtre de Chelles
Du 23 au 27 novembre 2022 aux Célestins, Théâtre de Lyon
Du Jeudi 8 décembre 2022 au Théâtre, Laval
Le Jeudi 5 janvier 2023 du Centre Duhamel, Vitré
Les 12 et 13 janvier 2023 au Théâtre Jean Art, Clamart
Adaptation, mise en scène d’Alexandre Zeff assisté de Leslie Menahem et Cécile Cournelle
Avec Mia Delmaë, Thomas Durand, Mexianu Medenou, Yuko Oshima, Alexis Tieno, Assane Timbo
Scénographie et lumière de Benjamin Gabrié
Collaboration artistique Claudia Dimier
Dramaturgie de Noémie Regnaut
Création vidéo de Muriel Habrard, Alexandre Zeff assisté de Jules Beautemps
Création musique et son Yuko Oshima, Vincent Robert, Guillaume Callier
Chorégraphie d’Oliver Tida
Costumes de Sylvette Dequest
Régisseur plateau et coordination Damien Rivalland
Régie générale de Sylvain Bitor
Régisseur son François Vatin
Maquillage et effet spéciaux de Violette Conti, Sylvie Cailler
Collaboratrice chant Anaël Ben Soussan
Construction décor Suzanne Barbaud, Yohan Chemmoul, Benjamin Gabrié
Musicienne Yuko Oshima
Stagiaire mise en scène Adèle Sierra
Crédit portrait © Olivier Allard
Crédit photos © Victor Tonelli