Sisyphes, Florian Pâque © Xavier Cantat

Sisyphes, Camus et Deliveroo

À la Scala-Provence, Florian Pâque monte Sisyphe, actualisation du mythe antique à l'heure de l'ubérisation et du travail précaire.

Sisyphes, Florian Pâque © Xavier Cantat

Peu importe que, dans Sisyphes, la montagne du mythe éponyme devienne un bloc de béton, et la pierre un ascenseur qui ne décolle jamais. La condition absurde de l’humain reste la même : la lutte quotidienne avec les choses matérielles comme tourment arbitraire dont les fruits finissent toujours par échapper au travailleur. C’est le principe du capitalisme, qui nous précède et dont la dématérialisation ubérienne a désormais supplanté la boîte concrète de l’usine.

Dans Pour en finir, Pâque s’intéressait à Artaud ; c’est du côté de Camus qu’il lorgne désormais. Sisyphes est en quelque sorte le second volet d’un diptyque complété par Étienne A., dans lequel Nicolas Schmitt, seul sur scène, incarne un jeune homme coincé dans un entrepôt Amazon. Benoît et Hélène sont d’autres héros tourmentés par la machine de reproduction des inégalités, pris dans un plusieurs époques, à la fois livreurs Deliveroo (un motif du moment pour parler de la jeunesse, déjà présent dans la pièce-zeitgeist Ma Jeunesse exaltée d’Olivier Py) ou paysans médiévaux. Ils sont ces prolétaires dépossédés depuis des siècles par le progrès technique. Cette jeunesse pour laquelle, aujourd’hui encore plus qu’hier, il est si difficile d’envisager une vie de famille.

La pièce est servie par un beau trio d’interprètes. Florian Pâque incarne avec beaucoup d’humour des relais de pouvoir — le fonctionnaire, le moine, l’industriel et l’algorithme — faisant subir au jeune couple des humiliations toutes plus arbitraires les unes que les autres. En face, Nicolas Schmitt et Loelia Salvador jouent sur le fil entre un certain naturalisme et une acceptation, dans le jeu, de l’absurde. Ils sont à la fois Benoît et Hélène, mais également Monsieur et Madame S., les Sisyphes à l’ascenseur. Le tout dans un décor justement pauvre, mais allusif et efficace, pensé par Marlène Berkane.

On peut chercher dans le passé les conditions de la précarité contemporaine, pas tant que les modèles soient les mêmes, mais l’exploitation est, pour l’instant, une histoire sans fin. Florian Pâque l’écrit d’une plume directe et saccadée, avec une belle aisance à dessiner des parallèles ou invoquer des allégories. Son style joue d’une cruauté froide, sans pour autant déposséder les personnages de leur voix. D’ailleurs, la pièce ouvre sur un appel, une injonction à s’octroyer le droit à l’émancipation. Et s’il emprunte des voies presque naïves à cet endroit-là, Sisyphes avance en refusant la complaisance comme le nihilisme. Pour que ce théâtre-là, si préoccupé avec le présent, puisse continuer à trouver son sens, il faut qu’il ne cesse de se confronter au réel par la scène. Nous le lui souhaitons.

Samuel Gleyze-Esteban – Envoyé spécial à Avignon

Sisyphes de Florian Pâque
Festival d’Avignon Off
La Scala-Provence
3, rue Pourquery de Boisserin
84000 Avignon

Mise en scène Florian Pâque
Scénographie Marlène Berkane
Conception décors Loelia Salvador, Nicolas Schmitt & Florian Pâque
Création lumières Raphaël Bertomeu
Création sonore Camille Vitté
Création costumes Jérémy Vitté
Création vidéo Florian Pâque
Assistante Margaux Debrade

Avec Loelia Salvador, Florian Pâque, Nicolas Schmitt

Crédit photos © Xavier Cantat

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