Au Train bleu, dans le cadre du Festival OFF d’Avignon, Pierre Cuq plonge dans les affres de l’adolescence. En adaptant Seuil, pièce choc commandée à Marilyn Mattei, il esquisse à travers une sorte de thriller à rebours, le portrait d’une jeunesse confronté au harcèlement, aux rites de passage et la violence sexuelle.
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
La Veillée des Abysses de James Thierée au Quartz à Brest. J’avais 12 ou 13 ans. J’ai été frappé par autant de poésie et de maîtrise sur l’acrobatie, le chant, le jeu. Il y avait un univers artistique entier, et je ne savais pas que c’était possible de vivre ça au théâtre. J’étais au collège, et le théâtre n’allait pas de soi pour moi, ni pour les autres : c’était un vrai choc esthétique dont j’ai encore des souvenirs très palpables. La salle s’est levée instantanément aux saluts, on est resté debout pendant 15 minutes à peu prés, c’était incroyable d’assister à ça.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
J’ai regardé beaucoup de spectacles plus jeune avec l’envie secrète de monter sur scène, sur les spectacles de Jean-François Sivadier surtout, d‘assister au spectacle parmi le public en me disant « quelle chance elles.ils ont de dire ces mots, de jouer et de vivre tout ça. Un déclencheur fort a probablement été la première fois que j’ai mis les pieds à la Cour d’Honneur du Palais des papes à Avignon. C’était pour le Hamlet d’Ostermeier, c’était très impressionnant. Je me souviens que j’ai eu la sensation de rentrer dans un lieu chargé d’histoire, d’une histoire du théâtre, et que j’avais envie d’y participer. J’étais déjà étudiant en théâtre au conservatoire, j’avais le secret espoir d’en faire mon métier. J’ai été bouleversé par le jeu allemand, la virtuosité de Lars Eidinger, la puissance de la scénographie. Je me souviens encore de cette scène d’ouverture : un enterrement gigantesque imaginé par Ostermeier avec des tas de terre géants et de grands jets d’eau, très marquant.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien et metteur en scène ?
Probablement en tant que comédien, le plaisir de partager des histoires directement avec des gens, de saisir le pouls d’une salle, de voir comment ça réagit. J’aime aussi l’idée de parler d’universel à travers des histoires singulières. D’arriver par les mots, le corps, à partager une émotion ou une pensée. Créer un espace suspendu où on se rassemble pour observer le monde me réjouit beaucoup. Et puis les mots, le texte a une importance fondamentale dans mon envie de jouer. L’envie de dire des mots, d’autres mots. Ceux qui expriment si bien ce que je pense (ou non), ce que je ressens (ou non). Le plaisir féroce de défendre une partition, de se mettre au service du texte. Et puis aussi parce que ça n’est jamais la même chose, d’un projet à l’autre ou d’une représentation à l’autre.
En tant que metteur en scène, je dirai le plaisir d’accompagner l’acteur.ice, de le.la diriger, le.la guider vers ce qu’il.elle ne sait pas ou ne croit pas savoir faire. J’ai toujours eu ce plaisir-là même quand j’étais étudiant en théâtre et qu’on se montrait aux uns et aux autres nos scènes. La mise en scène est une pratique qui nourrit l’acteur que je suis. Ça me remet en question sur ce qu’est l’acteur.ice et que je ne dois pas perdre l’empathie : la sensation de fragilité d’un acteur au plateau, là où il faut travailler, et là où il faut laisser chercher l’interprète.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Comme comédien, c’était Le Songe d’une autre nuit mis en scène par Jacques Martial, Ewlyne Guillaume, et Nicole Aubry, monté en français et en saramaka, créé en grande partie en Guyane entre 2013 et 2014. J’étais acteur professionnel dans un spectacle de sortie d’école. C’était une expérience hors norme pour une première expérience professionnelle. Travailler à l’autre bout du monde, avec des acteur.ices de différentes cultures, langages, croyances. Cela a été un an d’aller-retour en Guyane incroyables, et une tournée dans les Caraïbes. Très fort humainement.
Comme metteur en scène, c’était le texte Villa Dolorosa de l’autrice allemande Rebekka Kricheldorf. Une comédie librement inspirée des Trois Sœurs de Tchekhov passée au vitriol jouée pour la première fois en France. Je l’ai monté dans le cadre du Prix Théâtre 13 que j’ai eu le plaisir de remporter en 2019. C’était un projet important, une distribution importante, des conditions précaires de création, et puis la première mise en scène donc pleine de doute, mais surtout jubilatoire, car l’équipe s’entendait très bien, et prenait plaisir à jouer la pièce.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Sans doute la chorégraphie Kontaktoff de Pina Bausch que j’ai vu en France dans la version sénior. Une vraie claque scénique par la simplicité, la pureté de l’émotion délivrée sur scène, et la puissance du geste chorégraphique. Je suis resté 10 minutes cloué sur mon siège avec mes ami.es après le spectacle. Puis, nous avons vu une grande dame fluette se lever de l’un des sièges, et rejoindre les coulisses. Elle ressemblait étrangement à Pina, encore aujourd’hui, je ne sais pas si c’était elle. Je me persuade que oui.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
L’équipe du spectacle Seuil, ce sont des rencontres magnifiques : Camille Soulerin, Baptiste Dupuy et Victor Assié. Plus généralement l’ensemble de cette équipe : Cerise Guyon, Augustin Rolland, François Leneveu, Lucile Carré et bien sûr Marilyn Mattei. On se dit souvent qu’il y a des projets comme ça où tout va de soi ; Seuil est un projet comme celui là. Il y a d’abord les belles rencontres des spectacles que l’on crée.
Pauline Sales et Vincent Garanger ont été de très belles rencontres aussi. Je les ai rencontrés lorsqu’ils dirigeaient le Préau à Vire en 2014. J’ai rarement vu des personnes aussi humbles, exigeantes, et humaines dans leur art et dans la vie. Ils m’ont tout de suite accueilli et j’apprends beaucoup quand je vois leur travail.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Il me permet de m’exprimer sur le monde par l’Art.
Il me permet de rencontrer d’autres artistes, de me plonger dans leur univers, de cultiver une curiosité.
Parfois, il me permet de voyager dans le monde.
Il me remet en question sans arrêt.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
J’aime beaucoup m’inspirer d’autres arts et artistes. Je me rends régulièrement aux expositions, ça me ressource beaucoup. La peinture par exemple a cette capacité de m’apaiser, de me ressourcer et de me questionner en même temps. Je suis tout le temps à une expo quand j’ai un peu de temps. Sinon, c’est un peu bateau comme réponse, mais les voyages, la nature, les gens. Rien n’est plus inspirant que d’observer le monde assis à une terrasse de café.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Je ressens autant le besoin d’être sur scène en tant que comédien que metteur en scène. Ces deux disciplines sont complémentaires pour moi et m’offrent un rapport renouvelé à la scène. Je crois tout de même que j’aime rester proche de la scène et du public, c’est un besoin qui se fait ressentir assez vite, surtout quand je mets en scène.
À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Ce désir, il est viscéral. Ça part du cœur aussi, car on aime la générosité.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Tellement d’artistes que ça serait vertigineux de tous.tes les citer. La curiosité me poussera à travailler avec des artistes d’univers totalement variés (musique, performance, danse, théâtre, cinéma). Ça change tout le temps, car on rencontre de nouveaux artistes, la liste s’allonge !
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Un spectacle fleuve avec une très grande distribution, joué dans plusieurs langues, dans plusieurs pays, et en plusieurs épisodes sur plusieurs jours. Avec beaucoup de costumes et d’accessoires évidemment ! Je crois que j’aimerais participer à une aventure de très grande ampleur comme on en voit rarement aujourd’hui. Et évidemment une tournée dans le monde entier !
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Un tableau d’Edward Hopper
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Seuil de Marilyn Mattei
Festival Avignon Off – Théâtre le Train Bleu
(Salle Etoile – Maif Avignon)
40, rue Paul Saïn 84000 Avignon
Du 8 au 27 juillet 2022 à 10h, relâche les 14 et 21 juillet
Durée 2h20 (trajets navette compris)
Editions Tapuscrit | Théâtre Ouvert
Théâtre Ouvert
Avenue Gambetta
75020 Paris
Jusqu’au 9 avril 2022
Durée 1h30
Mise en scène de Pierre Cuq
Avec Baptiste Dupuy & Camille Soulerin
Et les voix de Vincent Garanger, Thomas Guéné, Hélène Viviès
Scénographie et accessoires de Cerise Guyon
Son de Victor Assié, Julien Lafosse
Lumière de François Leneveu
Crédit portrait © Lisa Lesourd
Crédit photo © Alban Van Wassenhove