Le monde du théâtre est en deuil, le grand metteur en scène Peter Brook est décédé samedi 2 juillet 2022 à l’âge de 97 ans, laissant un espace vide dans nos cœurs.
On lui doit tant ! La nouvelle de sa disparition est tombée, alors que les comédiens et comédiennes se préparant pour le festival d’Avignon, In et Off, ont investi la ville. L’émotion est visible. Peter Brook a participé de nombreuses fois au Festival d’Avignon, dans le In. Il a surtout marqué avec l’immense et impressionnant Mahâbhârata. Une fresque de neuf heures, co-écrite avec son ami Jean-Claude Carrière, qui fut présentée à la carrière des Boulbon en 1985. Grâce au film qu’il en tira, cette œuvre colossale et magistrale est toujours visible.
Chacun de nous a, bien enfoui dans sa mémoire, sa première fois ! Pour ma part c’était en 1990, La Tempête de Shakespeare dans son beau théâtre des Bouffes du Nord, avec les tout jeunes et débutants Romane Bohringer et Ken Higelin, les compagnons de route : Maurice Bénichou, Sotigui Kouyate, Yoshi Oida, Bruce Myers… Une claque, cela pouvait donc être ça aussi le théâtre. Un vertige vous emporte alors ! Ensuite, il y a eu toutes les séances de rattrapage grâce aux captations télévisuelles, comme pour l’exceptionnelle Cerisaie de Tchekhov avec Michel Piccoli. Et après, dans la mesure du possible, on a essayé de ne pas manquer une de ses créations.
Et puis, bien sûr, il y a ses livres dans lesquels on se plonge avec avidité : L’espace vide (Seuil), Oubliez le temps (Seuil), Point de suspension, 44 ans d’exploration théâtrale 1946-1990 (Seuil), Du bout des lèvres (Odile Jacob). À la demande du Syndicat National des Metteurs en Scène, dont il est membre honneur, j’avais écrit une biographie qui retraçait sa longue et passionnante carrière (Lire ici). Ce fut passionnant de traverser toutes ces années passées au service d’un théâtre qui se réinventait, cherchait des voies, des pistes, pour atteindre des sommets artistiques. Influencé par Gordon Graig et Copeau, Brook s’inscrit, tout comme Strehler, Vilar, dans le nouveau courant du théâtre. Dès 1942, de Londres à New York, en passant évidemment par la Royal Shakespeare mais aussi les théâtres privés parisiens d’après-guerre, il ne cessa de s’interroger son travail : C’est un rôle étrange que celui de mettre en scène.
Depuis 1970, en prenant avec Micheline Rozan, le Théâtre des Bouffes du Nord, il est devenu à nos yeux l’Anglais, le plus Français. Cet enfant d’Albion, aux yeux bleu lagon, parlait notre langue à la perfection avec cette pointe délicieuse d’accent de son pays d’origine. En plus de son immense talent, on retiendra de lui sa douceur, cette manière particulière qu’il avait de regarder les êtres humains, la société et le monde. Il était un de nos derniers monstres sacrés. Ainsi va la vie ! Nous pensons avec émotions à ses collaborateurs, à l’équipe du Théâtre des Bouffes du Nord, à ses enfants Irina et Simon. Nous sommes tous orphelins aujourd’hui. Merci Monsieur pour tout ce que vous nous avez apporté de beau !
Marie-Céline Nivière
Crédit photos © avec l’aimable autorisation de Pascal Victor – tous droits réservés – photos non reproductibles.