À la Manufacture, Martin Palisse conte sa vie dans un autoportrait délicatement ciselé par David Gauchard. Avec une belle poésie, il raconte son parcours, les limites qu’il repousse sans arrêt. Toujours sur un fil, il entraîne les spectateurs dans les coulisses d’un cirque, celui d’un destin incroyable, le sien. Rencontre.
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Difficile de dire si c’est le premier, mais certainement le plus fort encore présent dans ma mémoire. C’était dans un cirque traditionnel, au Puy en Velay, une voltigeuse à la barre russe (discipline rare) qui dans un spectacle où rien n’était beau, elle avait la grâce… Je me souviens très exactement qu’elle était la seule artiste en piste qui ne regardait pas le public avec un sourire niais, tellement elle était concentrée. Elle volait littéralement. J’ai encore le souvenir de cette sensation qu’elle transmettait.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Lorsque j’ai appris à jongler, j’ai su quasi immédiatement que je ferai ça toute ma vie et que je m’accomplirai ainsi. Il n’y avait rien de réfléchi. Que de l’instinct. Ensuite, j’ai vu le spectacle Hic-Hoc de Jérôme Thomas. Ce fut mon premier choc esthétique.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être jongleur, artiste de cirque, metteur en scène ?
Je ne pense pas avoir réellement choisi, je garde toujours l’idée que le jonglage m’a choisi. Mais je sais que quand je jongle, j’ai cette sensation rare que mon corps et mon esprit ne font qu’un et travaille à haut niveau. C’est une forme d’extase.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Le premier, c’était à l’école, je devais avoir 7 ou 8 ans…. On devait fabriquer notre costume et moi, je m’étais confectionné un scaphandrier en carton recouvert d’aluminium… galère pour se mouvoir sur scène…mais efficace visuellement au milieu de ceux de mes camarades qui avait en grande majorité choisis Zorro ou des trucs du genre.
Ensuite mon premier spectacle en tant que jongleur, si j’y repense, je me dis que j’aurai dû me passer de le faire celui-là !
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Dur de n’en retenir qu’un, alors j’en dirai deux : Enfants de Boris Charmatz à Avignon et Sad Face / Happy Face de Jan lauwers au théâtre Sylvia Monfort.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Clara Villechaise, Halory Goerger, David Hermon alias Cosmic Neman, David Gauchard, Jérôme Thomas et Peggy Donck. Toutes ces personnes m’ont fait devenir qui je suis.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Le monde et toutes les injustices qu’il contient me révolte, parfois, j’ai la sensation que mon travail me permet de ne pas sombrer. C’est un sens à la vie qui n’en a pas réellement.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Les saisons, tous les cycles de la vie, de la nature, les contradictions humaines. J’aime observer les antagonismes quand j’en remarque.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
C’est une forme de combat, je suis malade et je sais que c’est mon antidote. J’ai beaucoup pratiqué le judo, et rentrer sur scène est presque comme rentrer sur un tatami. C’est transcendantale.
À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Dans tout mon corps, je ne peux pas le découper quand je jongle, c’est d’ailleurs en partie pour cela que je considère ma pratique comme totalement indispensable.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Par-dessus tout la musique et les musiciens sont essentiels dans mon travail…. Alors ce sont des noms de musicienn.e.s/groupes qui me viennent : God speed you ! , Colin Stetson, Georges Theodorakis, Robert Aiki Aubrey low… Mais il est vrai qu’en danse, j’aimerai travailler avec le chorégraphe italien Alessandro Sciarroni.
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Jouer dans un film de Werner Herzog.
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Le jonglage que je pratique. Ce mot – œuvre- est pour moi lié au travail, on œuvre, et j’œuvre à pratiquer un jonglage simple, sauvage et beau.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Time to tell de David Gauchard & Martin Palisse
Festival Avignon Off – La Manufacture
2bis rue des Ecoles 84000 Avignon
Du 8 au 24 juillet 2022 à 11h35, relâche le 20 juillet
Durée 2h.
Conception, mise en scène et scénographie de David Gauchard & Martin Palisse
avec Martin Palisse
Création son de Chloé Levoy
Création lumière de Gautier Devoucoux
Crédit portrait © Philippe Laurençon
Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage