Dans le jardin de la vierge du lycée Saint-Joseph, la comédienne, autrice, chanteuse et metteuse en scène questionne les doutes de l’existence, les événements, les pensées qui font chanceler le fragile équilibre de nos vies. Accompagnée au plateau par la lumineuse Ishtar Muallem et le charismatique Blade AliMBaye, l’irradiante Ludmila Dabo tente avec poésie et légèreté de retrouver son harmonie intérieure.
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Ma première découverte a été la Cantatrice Chauve, que j’ai vu au théâtre de la Huchette quand j’étais au CE2.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
La deuxième préparation du Concours d’entrée au Conservatoire National d’Art Dramatique. Le lendemain de Noël. Il faisait froid et humide. Je me promenais dans le quartier Pyrénées-Belleville, je me suis arrêtée sur l’esplanade du parc de Belleville. Puis sur un banc du parc, je regardais Paris, ses lumières. La nuit, qui venait vers 17h, la transformation du ciel et les lumières de la ville apparaissant de plus en plus. C’était comme un spectacle où l’arrière scène était en train de s’animer. Et j’ai compris que je ne pensais qu’à ça, qu’au théâtre, que je voulais y trouver ma voie. Que cette ville ma ville, était un théâtre qui pouvait m’offrir la chance de tous les possibles du monde théâtre. Paris qui abrite tant de maisons d’art et d’artistes.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédienne, chanteuse, autrice et metteuse en scène ?
Le théâtre a toujours fait partie de ma vie. Depuis l’enfance (dernière section de maternelle), mes parents nous inscrivaient ma sœur et moi à des cours de théâtre. J’ai eu le désir de poursuivre la découverte du théâtre au collège, au lycée et en conservatoire d’arrondissement. Je ne pensais pas en faire mon métier, je faisais des études de droit, de lettres modernes appliquées, et me destinais à un avenir de juriste.
Mais la solitude, le manque de communication avec d’autres étudiants, le manque d’esprit critique, de mobilisation de l’imaginaire, de point de vue, de réflexion personnelle lors des premières années de fac de droit ont achevé de me faire comprendre que ce n’était peut-être pas la formation qui me convenait. À côté de cela, je m’épanouissais, continuais à découvrir de nouveaux auteurs, de jeunes apprentis du théâtre comme moi, des auteurs, des méthodes de jeu à visiter ou à se réapproprier, une capacité à rencontrer l’Autre.
Des pensées qui se confrontent, qui questionnent et résolvent ensemble des énigmes du jeu. Et qui apprennent à le faire grâce à leurs professeurs. Les Conservatoire des Xe et Ve arrondissements ont été très formateurs pour moi. Et puis, je kiffe juste le plateau, quoi ! Tellement !
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Professionnellement ? L’Homme inutile ou la conspiration des sentiments de Iouri Olecha dans une mise en scène de Bernard Sobel. C’était fascinant pour moi de travailler aux côtés de ce grand homme de théâtre et de sa collaboratrice Michèle Raoul-Davis. Pour lui, rien ne sert de courir vers le plateau, tant que nous ne savons pas ce que nous sommes invités à raconter et à construire ensemble. Il faut d’abord entrer dans l’histoire, le contexte social et politique, découvrir un auteur russe peu connu et ce que le metteur en scène cherche à faire entendre de son œuvre.
Tant que l’on ne sait pas ce qu’on raconte, on travaille à la table pendant plusieurs semaines consécutives (il y a 10 ans, c’était encore possible de travailler ainsi, mais aujourd’hui…), j’ai trouvé ce processus de travail extrêmement riche.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Il y en a plusieurs :
La casa de la Fuerza d’Angelica Liddell reste un souvenir de théâtre magnifique pour moi.
Plus jeune, Dominique Blanc m’avait bouleversée dans la mise en scène de Phèdre de Patrice Chéreau, je me souviens de cette mort dans la salle Berthier de l’Odéon où elle se traîne sur le sol, la salive coulant, une mort à la fois sublime et horrifique dans ce dernier instant de jeu. Il y a aussi M’appelle Mohamed Ali de Dieudonné Niangouna, dans la mise en scène de Jean Hamadou Tiemtoré, je continue de façon récurrente à être traversée par le texte et l’acteur Etienne Minoungou. Et puis une actrice qui me fascine Jeanne Balibar (souvenir récurrent du Soulier de Satin mis en scène par Olivier Py).
Une autre que j’aime de tout mon cœur, habitée, Alvie Bitemo, fascinante, surprenante, puissante et délicate, tout le temps.
Quelles sont vos plus belles rencontres?
Elles le sont toutes belles :
Ma rencontre lors d’une audition avec le réalisateur Philippe Grandrieux pour le festival actoral. Dans le même contexte (audition), celle avec Bernard Sobel.
Celle avec Mélanie Leray qui a été la première metteuse en scène à m’inviter à construire une partition musicale au théâtre.
Celle avec Irène Bonnaud, sur la question de la migration. Elle pressentait que nous ne pourrions échapper à un besoin d’accueil grandissant et se désolait d’une Europe qui avait perdu ses valeurs d’accueil au regard de sa re-traduction des Suppliantes d’Eschyle et de la commande d’écriture passée à Violaine Schwarz.
Avec Eva Doumbia et Léonora Miano, naissance d’amitiés profondes et de la notion d’afropéanité, de cette négation d’une réalité, celle de femmes noires, européennes, françaises, parisiennes de classe moyenne qui sans l’être sont toujours profondément et uniquement regardées comme d’Ailleurs dans l’inconscient collectif.
Avec Elise Vigier, la force tranquille, politique et sensible, si généreuse et créatrice !
Avec Lazare, la puissance du verbe et le désir d’aventures longues et rassembleuses, de luttes joyeuses et totales !
Avec Alexandre Zeff, le fantasme cinématographique au théâtre.
Avec Lena Paugam, l’affirmation d’un théâtre des sentiments.
Avec David Lescot, le goût de l’aventure, de la langue, de la musique, de tout avec tant de virtuosité, un endroit de moi est fasciné par l’artiste, par son esprit, sa créativité, sa prolifique traversée de ce monde du théâtre avec aisance et liberté, son pouvoir de réunir des équipes techniques, artistiques et de production qui s’aiment très vite.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Je me pose souvent la question….
Je crois que j’ai besoin de mouvement.
De me sentir déplacée.
D’être ouverte à la remise en question.
De comprendre à chaque fois davantage combien s’engager, engager son être où que ce soit est fondamental et le travail de toute une vie. Apprendre encore et toujours le pragmatisme.
Apprendre encore et toujours la rigueur, gros gros boulot pour moi.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
La musique.
Le cinéma.
Ma mère et mes sœurs. Toute ma famille en fait.
Les passions des autres, qui me renvoient aux miennes ou me permettent de m’ouvrir à d’autres horizons.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
De l’ordre de la joie et du plaisir de la découverte et de la rencontre. Chercher comment la vie, le mouvement de la vie apparaît au plateau. Ce n’est pas facile à convoquer parce que je suis de ceux qui ont besoin d’être bousculés dans leurs habitudes sinon, ils auraient tendance à se réfugier dans ce qu’il y a de plus confortable pour eux.
À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Un seul ?????
Wow… Naturellement, je dirais le cœur. Mais en fait aussi,
dans l’esprit, dans les pieds. Dans le dos. Dans mes bras, mes jambes immenses qui trouvent aussi leur émancipation grâce à la Scène.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Alors là… Je pense qu’ils sont tellement nombreux se déployant dans des registres si vastes…
Angelica Lidell, Jeanne Balibar, Irène Jacob, Dorothée Munyanenza, Jonathan Manzambi, Roméo Castelluci, Franz Castorf, Thomas Ostermeier, Baz Lhurmann, Meryl Strip (ahaaah soyons fous !!!), Patrice, Léonora Miano, Claire Denis, Adama Diop, Valérie Dréville, Denis Podalydès, Audrey Bonnet, Camille, et tellement d’autres artistes… J’adorerais retravailler également avec Bernard Sobel et d’autres artistes créateurs qui m’ont confiance et grandir dans ce métier.
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Un film avec David Lynch, j’ai rêvé un jour qu’il faisait un docu-fiction sur moi dans mon quartier d’enfance à La Place Des Fêtes.
Une performance de malade, même en tant que figurante, Avec Beyoncé. Une revisite profane d’une grande œuvre, mais tellement profonde et sincère avec Dada Masilo.
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Un mélange de :
Ma vie, Isadora Duncan
Portrait de mes parents, David Hockney, L’Enfer de Jérôme Bosch et Le Jugement dernier de Michel Ange, mélangé aux voix de Tina Turner, Nina Simone, Robert Plant, Steven Tyler, Ismaël Lô et Youssou N’Dour.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Ce n’est qu’une histoire de balance de Ludmilla Dabo
Vive le Sujet !
Série 1
Festival d’Avignon
Jardin de la vierge du lycée Saint-Joseph
62, rue des Lices
84000 Avignon
jusqu’au 14 juillet 2022
mise en scène de Ludmilla Dabo
Avec Blade AliMBaye, Ludmilla Dabo, Ashtar Muallem
Musique de Blade AliMBaye et Ludmilla Dabo
Tissu d’Ashtar Muallem
Crédit portrait © Lou Sarda