À Paris l’Été, les 19 et 20 juillet, dans le cadre atypique d’un parking faisant face au Théâtre au Fil de l’Eau à Pantin, Lena Paugam s’empare avec finesse de Pour un temps sois peu, un texte autobiographique dans lequel l’autrice Laurène Marx évoque la transition de genre et son après.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de monter ce texte particulièrement puissant ?
En 2019, Laurène Marx a participé à un appel à projet d’écriture lancé par le Collectif Lyncéus dans le cadre de la septième édition de son festival. Elle a fait partie des 5 autrice.eur.s lauréats invité.e.s à écrire sur le thème « C’était mieux après ». Le collectif Lyncéus commande des textes qui sont créés en plein air au cours du mois de juin à Binic – Etables-sur-mer dans les Côtes-d’Armor. Quand Laurène m’a demandé de mettre en scène ce texte autobiographique, j’ai été très honorée et impressionnée par la responsabilité qu’elle me confiait. J’ai été particulièrement interpellée par son engagement et par la vive urgence qu’elle avait de s’exprimer sur ce sujet. Dans Pour un temps sois peu, Laurène Marx livre une intimité profonde au cœur d’un propos extrêmement intelligent et sensible soulevant les paradoxes et les complexités vivantes d’une transition chirurgicale et hormonale. C’est une pièce passionnante parce qu’elle aborde le sujet de la transition sexuelle en jouant et déjouant en permanence les attendus de la thématique.
Comment avez-vous travaillé la langue si directe de Laurène Marx ?
Laurène m’a raconté qu’elle avait écrit ce texte d’un jet, et nous l’avait envoyé sans prendre le temps de le relire. Il présente les qualités d’un texte d’écriture spontanée. Il est net, radical, décisif, nécessaire. Laurène Marx a un sens de la répartie inouï, son humour est noir et fulgurant. Son écriture ne s’appesantit pas, elle passe d’une idée à l’autre avec beaucoup d’habilité et une grâce surprenante. J’ai accompagné la comédienne Hélène Rencurel avec le souci d’une grande précision, avec le soin du détail, portant une grande attention aux rythmes de cette langue piquante et de cet esprit acéré. « C’est pas la phrase qui compte, c’est l’idée, c’est la sensation qui compte c’est pour ça que personne se comprend », dit-elle au début de son texte. Guidée par l’importance de dire ce qui ne se dit pas, n’est pas nommé, n’est pas nommable peut-être, elle invente une langue sensible et directe, oui. Nous avons essentiellement travaillé à mettre en valeur les mouvements de cette pensée au présent, sur le fil, épousant ses ruptures, rendant compte de ses jaillissements.
Contrairement à Laurène, qui prépare en parallèle sa propre adaptation, vous avez fait le choix
de la douceur. Pourquoi ?
Je me réjouis que Laurène se prépare également à interpréter son texte. Il est toujours passionnant de voir la manière dont un texte de théâtre épouse le corps et la sensibilité de divers interprètes : il s’ouvre et s’épanouit grâce à la multiplicité de ses approches, de ses lectures. Hélène Rencurel, la comédienne qui a interprété pour la première fois le texte, lors de sa création in situ en 2021 au Lyncéus Festival, est une artiste très fine et délicate. Son rapport au public est extrêmement bienveillant. Il est vrai que je me suis appuyée sur sa douceur et sa bonté pour aborder la colère du texte. Dans ma mise en scène, je ne souhaitais pas que le spectateur soit mis constamment en accusation. J’ai voulu au contraire mettre en valeur ses troubles, ses ambiguïtés, souligner la complexité de sa structure. Au cours du spectacle, qui dure 1h45, le jeu se métamorphose plusieurs fois. Il y a de multiples façons de raconter la colère, de dénoncer la violence, d’éveiller l’empathie. La subtilité d’Hélène Rencurel permet, je crois, à celui qui écoute de suivre jusqu’au bout le fil du récit. Elle permet de recevoir à chaque instant l’intensité du texte, de comprendre ce qui y est dénoncé, et de choisir librement la manière de se positionner face aux idées qu’il défend. Par ailleurs, je ne souhaitais pas qu’Hélène cherche à jouer le rôle d’une femme trans. La douceur vient aussi du choix d’une distance respectueuse vis-à-vis du sujet que nous abordions. A travers le choix d’une grande simplicité, usant de peu d’artifices, j’ai souhaité souligner les possibles du théâtre comme art de l’interprétation. La comédienne est une interprète-passeuse, elle fait entendre et porte les paroles d’une autre à travers son corps et sa sensibilité. Nous avons abordé ce texte comme une déclaration d’amour à une absente. C’est d’ailleurs le sens que nous donnons à la chanson – conseillée par Laurène – que nous avons placée au cœur de la pièce. Hélène y porte une danse dédiée à celles et ceux qui reconnaîtront dans ce texte des réalités qui leur sont familières.
En quoi est-il important de traiter le sujet de la transition de genre ?
C’est important parce que c’est un sujet brûlant, trop souvent simplifié, lissé pour les besoins de la petite histoire de fiction. Il faut traiter ce sujet pour en dénoncer les approches trop faciles et simplistes. Chaque jour, des personnes trans sont détruites, assassinées. Nous parlons de vies bouleversées, violentées, plongées dans la solitude et le silence. Nous parlons d’une réalité que les gens qui ne sentent pas concernés croient connaître sans vouloir en découvrir les détails. Je pense très sincèrement qu’il s’agit de la responsabilité de chacun.e de se sentir concerné par ce sujet. Je revendique le fait de m’en sentir co-responsable.
En tant que femme, est-ce que votre regard a modifié votre approche sur le sujet ?
Ce dont je suis sûre, c’est que ce spectacle a bouleversé de nombreux aspects de ma vie de femme et d’artiste en faisant naître en moi de nouvelles questions, en imposant ses réalités. On ne sort pas totalement indemne d’une rencontre avec Laurène Marx (rires). Je dirais néanmoins que c’est plutôt en tant que personne en général que je me sens convoquée par ce texte. C’est un sentiment d’humanité et non pas seulement de sororité qui m’amène à lui. Bien sûr, la question de la définition de la féminité tient le fil conducteur de la pièce mais je ne pense pas que ce soit ma féminité qui me permette de l’entendre ou de l’aborder. (Laurène ne serait probablement pas d’accord avec ce que je dis là). Pour un temps sois peu s’insurge, entre autres, contre ce que notre rapport à l’image impose aux êtres, à leur corps, à leurs sensations, à leur solitude. L’édifice social fonde sur le régime de l’apparence l’ensemble des relations sociales et construit des murs de bêtise et d’intolérance. Cette pièce emporte avec sa détonation les idées préconçues, les préjugés sur l’idée même de transition. En faisant le choix de l’usage de la deuxième personne du singulier « Tu » comme adresse inclusive au spectacle, Laurène Marx semble proposer au spectateur une expérience de pensée qui consiste à se mettre, le temps d’une pièce, à la place d’une femme sur le chemin d’une transition de genre. Elle prend le temps de détailler, étape après étape, les difficultés multiples qui jalonnent ce type de parcours. Ce faisant, elle déconstruit les distances de principe et rend possible une empathie qui amène à une démarche de compréhension et d’acceptation. Je pense que ce texte est nécessaire parce qu’il met des mots nouveaux sur des réalités encore inouïes et/ou encore trop peu entendues.
Le spectacle est notamment fait pour être joué en extérieur, ce qui lui donne une dimension
plus réaliste. Pourquoi ce choix ?
Le texte est effectivement issu d’une commande d’écriture pour une création in situ, en extérieur. Néanmoins, je ne crois pas que Laurène aie vraiment pris en compte cette donnée au moment de l’écriture de son texte. Lors de la création in situ de ce spectacle, j’ai choisi de travailler sur un parking face à un immense mur nu. Il s’agissait de l’arrière d’un théâtre. Sur ce gigantesque plateau de bitume, seules une voiture abandonnée et une chaise tenaient compagnie à la comédienne. L’espace urbain, à la fois brut et brutal, renforce la parole intime qui se donne ainsi à entendre au grand jour, nue et vivante. La version en salle — que je dois créer cet automne dans le cadre du festival TNB — reposera sur d’autres principes, mais conservera la recherche d’une grande épure dans les lignes dessinées au plateau.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Pour un temps sois peu de Laurène Marx
Festival Paris l’Été
Théâtre du Fil de l’eau
20 rue Delizy
93500 Pantin
Les 19 et 20 juillet à 19h
Durée 1h40
Mise en scène Lena Paugam
Texte Laurène Marx
Interprétation Hélène Rencurel
Création sonore Antoine Layère
Accompagnement chorégraphique Bastien Lefèvre
Crédit photos © DR (portrait) © Kevin Lebrun (spectacle)