Laurence Perez © Agnès Mellon

Laurence Perez, tête pensante de la Sélection suisse en Avignon 

Au Festival OFF D'Avignon, Laurence Perez glane les talents helvétiques et invite six d’entre eux à se produire sous le label de La Sélection suisse en Avignon.

Laurence Perez © Agnès Mellon

Depuis 2016, cette brune au regard perçant, ancienne directrice de la communication du Festival d’Avignon, offre la possibilité aux artistes suisses, qu’ils soient confirmés ou émergents, un véritable tremplin sur la scène française et européenne. Parcourant le territoire helvétique toute l’année, Laurence Perez glane les talents et invite six d’entre eux à se produire dans le plus grand théâtre du monde, à l’ombre de la cité des Papes. 

Qu’est-ce que la sélection suisse en Avignon ?

Laurence Perez : C’est un dispositif de promotion de la création chorégraphique et théâtrale helvétique. Le projet a été initié en 2016 par deux structures, Pro Helvetia, la Fondation suisse pour la culture, qui agit au niveau fédéral pour l’ensemble du pays, et la Commission romande de diffusion des spectacles (Corodis). Il répondait à une question simple : comment se fait-il qu’en 2010, les artistes helvétiques s’exportent peu sur les scènes théâtrales et chorégraphiques françaises, contrairement à leurs voisins belges ? Bien sûr, il y avait des figures comme MarthalerCindy Van Acker, ou Massimo Furlan, mais par rapport au foisonnement culturel qu’il y avait, c’était finalement assez peu. Face à ce constat, les deux entités fondatrices ont mis en place une mission de préfiguration afin de mettre en lumière les productions suisses au cœur du réseau culturel francophone. Il y avait un vrai défi, un vrai désir de les sortir de l’ombre, parce que clairement, cela en valait le coup. 

Comment l’idée de venir à Avignon est-elle venue ? 
Fantasia - Ruth Childs - Sélection suisse © Marine Magnin

Laurence Perez : Dès les premières discussions, Avignon s’est imposé. Quel meilleur lieu que ce festival, qui est l’un des plus grand du monde ? Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, c’est un événement incontournable pour toute personne travaillant dans le monde du spectacle vivant. La plupart des professionnels y font forcément une apparition pour dévorer, dans le bon sens du terme, de nombreuses œuvres théâtrales, chorégraphiques ou performatives. Une fois ce choix fait, il fallait trouver la bonne formule, le bon modèle, acheter un lieu, comme l’ont fait les Belges avec le théâtre des Doms ou investir des théâtres existants déjà repérés par les habitués, les pros. Au vu des prix de l’immobilier en 2010, la seconde solution s’est imposée. 

Comment vous êtes-vous retrouvée directrice artistique de la sélection suisse ? 

Laurence Perez : Une fois défini par le comité, une grande partie du cahier des charges, les membres ont commencé à prospecter afin de trouver la bonne personne qui pourrait porter cette ligne artistique claire et exigeante. Je venais de quitter le service de communication du festival d’Avignon. Je connaissais un peu la Suisse pour avoir travaillé non loin à la Scène nationale de Bonlieu – Annecy. J’ai vu l’annonce passer. J’ai répondu et ils m’ont choisie. Ma grande connaissance du réseau professionnel, du terrain, a été un plus. C’était un vrai challenge, il fallait partir à la rencontre des compagnies, parcourir le territoire, découvrir tout un monde. 

Quelles sont les contraintes pour postuler ?

Laurence Perez : Quand on a été sélectionné une année, on ne peut pas postuler une seconde fois. En revanche, il est possible d’envoyer plusieurs dossiers de candidatures différents. Nous avons fait le choix de ne pas exiger que ce soit obligatoirement une création. Le spectacle peut tout à fait avoir été déjà joué, exister depuis dix ans. Ainsi, nous avons eu, ces trois dernières années, entre 100 et 140 projets déposés. 

Combien y a-t-il de spectacles ?

Laurence Perez : La première année, nous n’avons pu emmener à Avignon que trois projets. Cette année, grâce au mécénat privé, nous avons pu en sélectionner six. 

Comment avez-vous fait la sélection cette année ? 
La Mâtrue, Adieu à la ferme de Coline Bardin  - Sélection suisse © Nicolas Brodard

Laurence Perez : Avec la pandémie, cela a été plus compliqué que les autres années. Et j’ai fini très tardivement la programmation. Même si j’ai eu la chance, pendant la fermeture des théâtres, de continuer à voir des spectacles. En Suisse, on ne pouvait être que quinze dans une salle. Ça a compliqué mon travail, car ce n’est pas pareil, ce n’est pas la même énergie, même si une œuvre est terminée, de la voir sans public. J’ai donc dû revoir un certain nombre de spectacles. Après, j’ai marché à l’intuition. J’essaie le plus possible de toujours rester spectatrice, de ne pas entrer en salle comme programmatrice. J’aime toujours et encore me laisser porter. L’analyse vient après. Je crois que c’est une force, que c’est une des raisons du succès de la sélection suisse. 

Quels sont les spectacles, cette année ? 
Grand Écart de Kiyan Khoshoie - Sélection suisse ©Julien James Auzan

Laurence Perez : Il y a beaucoup de création, de spectacles assez frais.Au Théâtre du Train Bleu, par exemple, la genevoise Charlotte Dumartheray met en scène le danseur Kiyan Khoshoie dans un seul-en-scène autobiographique, Grand écart. Il y raconte sa vie avec beaucoup de drôlerie. En parallèle, Coline Bardin, comédienne tout juste diplômée de la Manufacture, raconte avec humour le milieu agricole dans lequel elle a grandi et fait ainsi ses adieux à la ferme de ses parents. Aux Hivernales, Ruth Childs s’inspire des compositeurs classiques qui ont bercé son enfance, pour tenter une autre approche du geste, de la rythmique. À la Collection Lambert, avec La DédicaceRomane Peytavin et Pierre Piton laissent le public choisir les morceaux de musique sur lesquels ils improvisent une chorégraphie. Pour les enfants, j’ai choisi d’inviter le quintet lausannois Prédüm. Dans C’est tes affaires!, ils invitent le public à 00laisser dans une grande boîte un objet qui, s’il est tiré au sort, servira de matrice à une improvisation textuelle et scénique. Enfin, au 11 Avignon, Laura Gambarini raconte à sa manière faite de gesticulations, de mimiques de pantomimes, l’épopée ayant inspiré le Ring à Wagner. 

Cela fait maintenant sept ans que vous être à la tête de la sélection… 

Laurence Perez : Oui et c’est d’ailleurs ma dernière année comme directrice artistique et exécutive. À la fin de cette édition, je passe la main à Esther Welger-Barboza.

Qu’est-ce que vous retenez de cette expérience ? 

Opα de Mélina Martin Séléction suisse 2021 _ © Sébastien Monachon

Laurence Perez : Beaucoup de travail, de découverte de bonheur. Quelle aventure, quand j’y pense ! C’est une vraie histoire d’amour avec un pays, des artistes. Lors de la première édition, qui était un pilote pour voir si le projet avait du sens, j’avais sélectionné La Conférence des choses de Pierre Mifsud et François Gremaud. La greffe a tout de suite pris. Il y a eu un engouement. Le spectacle a fait un carton et maintenant, ces deux artistes connaissent une belle carrière. Et je pense qu’à présent, quand l’on demande à quelqu’un s’il connaît un artiste suisse de spectacle vivant, François fait partie des réponses les plus citées. L’année d’après, ce fut autour de Cindy Van Acker de séduire les festivaliers. En tout cas, j’ai l’impression d’avoir rempli ma mission, car une confiance est nouée. Au fil des ans, nous avons toujours su trouver de nouveaux talents à présenter. Le vivier d’artistes suisses ne s’est pas tari. Ce furent des années magnifiques, avec peut-être en point d’orgue le Phèdre ! de François Gremaud à la Collection Lambert, en partenariat avec Festival d’Avignon. Et puis, ce que j’ai constaté, surtout depuis l’année dernière, c’est qu’il y a une confiance du public par rapport aux spectacles que nous présentons. Les festivaliers sont curieux des artistes que nous mettons en avant. On l’a notamment constaté l’an passé avec Mélina Martin ou le collectif BPM. Personne ne les connaissait et pourtant cela a fait carton plein quasiment dès les premiers jours. La plupart des artistes ont pu grâce à nous tourner leur spectacle, avoir accès à de beaux lieux. 

Vous allez rester en Suisse ?

Laurence Perez : Je vis déjà entre la France et la Suisse. Mais, oui j’aimerais beaucoup continuer à naviguer entre les deux pays. J’ai beaucoup aimé travailler avec les artistes helvétiques. Ils m’ont tous fait un bel accueil. C’est devenu, depuis sept ans, un peu comme mon second chez moi. J’aurais pu être l’étrangère qui vient choisir nos spectacles, ou encore en tant qu’ancienne collaboratrice de Vincent Baudriller, qui venait d’arriver à Vidy-Lausanne, une de ses affiliées, ça n’a jamais été le cas. J’ai su rapidement faire mes preuves, mais j’ai aussi été aidée par les autres professionnels suisses. Leur façon de travailler, de discuter, d’échanger est assez simple. Tout est facile. Les gens sont solidaires. C’est très appréciable.

Que peut on vous souhaiter ?

Laurence Perez : Que cette année soit un succès. Et pour la suite, je ne sais pas. J’avais besoin de finir ma mission. Je verrai en août. Bien évidemment, j’ai des pistes. Mais je ne souhaite pas travailler dans de grandes institutions. J’ai beaucoup aimé la liberté d’avoir une petite équipe. Ce que je sais, c’est que je souhaite continuer à garder ce lien fort avec la Suisse, continuer à soutenir les artistes, à les conseiller.

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

La sélection suisse en Avignon

Crédit portrait © Agnès Mellon
Crédit photos © Marine Magnin
, © Nicolas Brodard, ©Julien James Auzan, © Sébastien Monachon

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