À l’espace Mistral du 11 • Avignon, Olivier Letellier, tout nouveau directeur des Tréteaux de France, présente Maintenant que je sais de Catherine Verlaguet, une plongée vertigineuse au cœur d’un Brésil dirigé par un haut commandement militaire autoritariste.
Dans une salle de classe de la cité scolaire mistral à Avignon, un appartement so seventies a été, en partie, reconstitué. Tables, chaises, lampes, téléphone à cadran et vieille machine à écrire se fondent dans un décor où orange vif, vert pétillant et marron profond se conjuguent de manière éclatante. Installée au cœur du dispositif scénique, une vingtaine de spectateurs s’apprête à être le témoin d’un drame, d’en ressentir les moindres soubresauts, les plus petits ressorts tragiques.
Des paillettes aux larmes de sang
Par une porte dérobée, une jeune femme rentre. Silhouette gracile, elle pétille d’énergie. On est en 1983. Journaliste en herbe habituée à la rubrique des chiens écrasés, Hélène (lumineuse Juliette Allain) décroche une pige de rêve, un article sur le carnaval de Rio. Franchement, même mal payé, c’est un job en or. Elle fonce. Les mains dans les poches, elle part à l’aventure. Certes, elle ne parle pas espagnol, un détail, mais elle a du bagou. Armée de son sourire, Hélène va découvrir un autre monde. Derrière les paillettes, la dictature militaire instaurée suite au coup d’État du 31 mars 1964 fait des ravages, décimant ses opposants, tuant sans discernement hommes, femmes et enfants.
Peut-on rester indifférent, ne pas faire de poælitique ?
S’étant liée d’amitié avec un couple de dissidents — Luis est photographe, Magda n’a pas vingt ans —, la journaliste se rend bien compte que rien ne va, qu’un drame se joue en coulisses avec l’accord tacite des puissances alliées, les États-Unis, la France. Que faire ? Elle a toujours refusé de faire de la politique. Nourrie par son père au communisme, elle en a soupé, des discours sur la corruption du pouvoir. Peut-on rester indifférent quand des proches sont pris dans des rets cruels et meurtriers ? Impossible. Devenue correspondante à l’étranger, elle se veut un témoin impartial du quotidien des Brésiliens. La mort de Luis, la disparition mystérieuse de Magda, les menaces à mots couverts reçues par les autorités policières vont tout changer.
Un récit d’outre-frontière
À soixante passés, Hélène décide enfin d’écrire ce qu’elle n’a pu publier lorsqu’elle est rentrée en France en 1984. Après s’être tue quarante ans, elle libère sa parole, remontant le fil de ses souvenirs, à la manière d’une enquête policière, elle conte l’indicible, l’horreur, rend compte des aspects les plus vils de la dictature brésilienne (1967-1985). De son écriture directe, tout en sensibilité, Catherine Verlaguet donne corps au silence, réveille les fantômes. Subtilement, juste à travers la force des mots, elle donne à ressentir dans nos chairs le doute, la peur qui s’insinue par tous les pores de la peau et les violences subies. Complice de longue date, Olivier Letellier, à l’origine du projet, s’empare de cette matière en fusion et lui offre une densité, un corps vibrant qui touche au plus juste. La température monte dans la salle surchauffée. Des gouttes de sueur froide glissent le long de nos colonnes vertébrales. Glaçant !
Avec ce spectacle coup de poing, le duo signe une œuvre théâtrale percutante. Portée par la très intense Juliette Allain, la pièce fait sauter nos œillères. Plus question d’être aveugle, confortablement ignorant, maintenant que l’on sait !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Avignon
Maintenant que je sais de Catherine Verlaguet
Festival Off d’Avignon
11 • Avignon
Espace Mistral
11, bd Raspail
84000 Avignon
Du 10 au 29 juillet 2022 à 10h45 – Relâches : 12, 19, 26 juillet 2022
Durée 1h05
Mise en scène d’Olivier Letellier assisté de Jérôme Fauvel et Cécile Mouvet
Avec Juliette Allain
Création sonore d’Arnaud Véron
Création costume de Sarah Diehl
Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage