Ce soir, l’artiste dissident russe Kirill Serebrennikov ouvre le bal de la programmation du festival d’Avignon en adaptant une nouvelle fantastique peu connue d’Anton Tchekhov, Le moine noir. Programmé il y a deux ans, avant la pandémie et avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le metteur en scène réalise son baptême dans la cour d’honneur du Palais. Avec beaucoup de trac et la peur que le mistral se lève.
Vous faites l’ouverture de cette 76e édition. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Kirill Serebrennikov : C’est un défi, c’est sûr. Mais n’importe quel spectacle est un défi ! La cour du Palais des Papes n’est pas plus stressante qu’un autre lieu, on a le trac à chaque fois. Je pense que n’importe quelle petite compagnie qui joue au off ressent les mêmes émotions pour sa première. Les gens, et c’est propre à l’être humain, ont peur de la rencontre avec l’inconnu.
Cette nouvelle de Tchekhov, « Le moine noir » est très peu connue. Pourquoi avez-vous décidé de monter cette œuvre ?
Kirill Serebrennikov : Justement, pour cette raison. J’ai eu envie de m’y atteler, parce que ce texte n’est pas connu. Ce sera du théâtre contemporain très visuel. Après, je ne peux pas vous en dire plus, il faut que vous veniez voir la pièce !
Qu’advient-il de votre théâtre à Moscou, le centre Gogol ?
Kirill Serebrennikov : Le centre Gogol a été fermé, les comédiens sont partis, les spectacles ont été annulés donc le centre Gogol n’existe plus, mais on va essayer de le relancer quelque part en Europe. Beaucoup de gens qui se sont exprimés sur les chaînes de télévision propagandistes, s’en sont réjouis en déclarant « Bien fait, il était temps qu’il ferme ».
Quelle vie menez-vous en tant que dissident russe ?
Kirill Srebrennikov : Je mène une vie de nomade, je parcours les villes, j’y porte mes spectacles et mes opéras, il y en a d’ailleurs un qui se joue en ce moment à Amsterdam. Après Avignon, je reprendrai Le nez de Gogol à Munich.
Cette histoire de fantômes peut effrayer… Surtout dans ce cadre du Palais des Papes, propice au fantastique ! Pensez-vous que nous pouvons vivre avec les fantômes ?
Kirill Srebrennikov : Je crois qu’en chacun de nous, il y a un fantôme qui vit. Il faut savoir lui parler, sinon il s’ennuie et commence à vous faire du mal. Moi, heureusement, j’ai la possibilité d’extraire mes fantômes en les couchant sur le papier et leur donner une forme dans mes œuvres au cinéma, au théâtre. Comme ça, ils ne m’embêtent plus ! J’ai cette chance oui.
Vous êtes aussi un mélomane. Y’aura-t-il de la musique ce soir dans la pièce ?
Kirill Srebrennikov : Oui, il y en a beaucoup. J’ai choisi une musique composée par un letton, et la Lettonie est connue pour ses chants choraux. La partition qui accompagne l’œuvre résonne comme une litanie, une mélopée mystérieuse.
Beaucoup d’artistes russes ont été boycottés ces derniers mois… Qu’en pensez-vous ?
Kirill Serebrennikov : La guerre va se terminer tôt ou tard… Et notre objectif, c’est de sauvegarder cette communauté d’artistes russes, de rester humain. Qu’est-ce qu’ils peuvent faire, ces artistes russes boycottés ? Ils ne peuvent pas faire de la chirurgie esthétique, cesser de parler leur langue, ou jeter leur passeport. Ce ne sont pas eux qui ont commencé cette guerre. Ce conflit porte un coup terrible aux Russes aussi, cela n’a rien à voir avec ce que vivent les Ukrainiens qui voient leurs villes rayées de la carte, perdent leur vie, meurent sous les bombes mais la Russie subit aussi un coup très dur. Il ne faut pas faire la guerre dans la culture.
À qui penserez-vous juste avant la première ?
Kirill Serebrennikov : Je penserai à Mistral ! (Rires) C’est lui qui a donné son nom au vent ou l’inverse, et ce mistral pourrait avoir beaucoup d’influence sur le spectacle, donc je demanderai à monsieur Mistral de souffler à une intensité acceptable !
Propos recueillis par Marie Gicquel – Envoyée spéciale à Avignon
Le moine noir de Kirill Serebrennikov d’après l’œuvre d’Anton Tchekhov
festival d’Avignon
Cour d’Honneur du Palais des Papes
Place du Palais
84000 Avignon
Jusqu’au 15 juillet 2022
Durée 2h40
Mise en scène, scénographie de Kirill Serebrennikov assisté d’Anna Shalashova
Traduction de Macha Zonina
Collaboration à la mise en scène et chorégraphie Ivan Estegneev, Evgeny Kulagin / Musique Jēkabs Nīmanis
Direction musicale d’Ekaterina Antonenko, Uschi Krosch Arrangements musicaux Andrei Poliakov
Dramaturgie de Joachim Lux
Lumière Sergey Kuchar
Avec Filipp Avdeev, Odin Biron, Bernd Grawert, Mirco Kreibich, Viktoria Miroschnichenko, Gabriela Maria Schmeide, Gurgen Tsaturyan
Et les chanteurs Genadijus Bergorulko (baryton), Pavel Gogadze (ténor), Friedo Henken (baryton), Sergey Pisarev (ténor), Vasiliy Sokolov (baryton), Alexander Tremmel (ténor), Dmitriy Volkov (baryton)
Et les danseurs Tillmann Becker, Arseniy Gordeev, Chris Jäger, Laran, Ilia Manylov, Andreï Petrushenkov, Ivan Sachkov, Daniel Vliek
Vidéo d’Alan Mandelshtam
Costumes de Tatiana Dolmatovskaya
Crédit portrait © Ira Polyarnaya
Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage