Au Festival d’Aix-en-Provence, Satoshi Miyagi rate sa mise en scène de l’opéra de Mozart, Idomeneo, re di Creta. Il a confondu « seria » avec « garde-à-vous ».
Cet opéra de Mozart appartient au genre « seria », et n’a donc rien d’une comédie comme Les Noces de Figaro ou Cosi fan tutte. Pour autant, même si l’ouvrage est défini comme sérieux, cela ne signifie pas que tout mouvement humain soit interdit. Plus précisément : bouger, regarder l’autre. Pourtant, « ça » bouge beaucoup sur scène, mais il s’agit de grands cubes de différentes hauteurs, représentant soit des trônes, soit des vaisseaux qui sillonnent le plateau en tous sens, une mer Egée agitée par tous ces mouvements…
Des héros mythiques
Sur les trônes ? « Les héros », répond le metteur en scène japonais Satoshi Miyagi, qui considère que ceux-ci ne doivent pas être réduits à l’état de personnages de la même taille que de banals humains et qu’une dimension supplémentaire est nécessaire. Nos héros ici sont royaux ou appartiennent à la mythologie, comme Elettra/Electre, la malheureuse Atride (un pléonasme), sœur d’Iphigénie la sacrifiée et d’Oreste le meurtrier de leur mère Clytemnestre, fille d’Agamemnon, le roi des Grecs « vainqueur » des Troyens. Electre (superbement interprétée par la soprano Nicole Chevalier, rôle qu’elle avait déjà chanté dans la mise en scène de Peter Sellars) n’est pas contente. Elle est même toute en fureur, car elle aime Idamante (la mezzo-soprano italienne Anna Bonitatibus), le fils de ce fameux Idoménée, roi de Crète, vainqueur lui aussi qui revient en ses terres. Sur la route du retour, Idamante a sauvé sa prisonnière, Ilia (la soprano Sabine Devieilhe) la princesse phrygienne, et ni une ni deux, coup de foudre dans les flots. Idamante en grand démocrate et puisque son père est annoncé mort (à force de tanguer à la proue de son haut cube, il aurait péri dans les mêmes flots), le fils déclare que tout le monde fait la paix et il peut ainsi épouser sa chérie… Et ainsi de suite. Voici pour l’histoire.
Du côté de l’Orient
Pour la scène, le roi Idoménée (le ténor Michael Spyres) est identifié par Satoshi Miyagi comme l’alter ego de Hirohito, l’empereur qui signa la reddition du Japon après les bombes de Hiroshima et Nagasaki et qui dut accepter, pour sa dynastie et son peuple, la domination des Américains. Pour la déclaration de paix, le metteur en scène reprend d’ailleurs le procédé utilisé par l’Empereur du Japon pour annoncer la fin de la guerre : sa voix diffusée dans un discours enregistré pour la radio.
Un peuple en treillis
Dans le même esprit, le peuple crétois porte casquettes, combinaisons, treillis de militaires américains, alors que les « haut-placés » sur leurs cubes sont vêtus de splendides tenues japonaises de cour ou de cérémonie… sauf Ilia, la princesse phrygienne, qui apparait en sage Marylin, parée de bijoux d’or, robe blanche sous le genou, sandales trois brides. Sabine Devieilhe lui prête une grâce et une voix divines, et développe pour ce rôle une aptitude incroyable à l’immobilité (Devieilhe immobile !) puisqu’elle ne touchera jamais terre. Electre, toute princesse qu’elle est, ne craint pas de fouler le sol de la scène ! Et elle ne s’en prive pas, encolérant le plateau de long en large lorsqu’elle comprend qu’Adamante lui file sous le nez. Nicole Chevalier est épatante.
Les corps ici n’ont pas droit à la parole, seuls gesticulent les soldats qui forment le chœur, nœud central et principaux protagonistes aux yeux de Miyagi. Les pauvres s’agitent derrière des parois tendues de papier… japonais, dans un travail chorégraphique d’une pauvreté si désolante (levez les bras, baissez la tête, pliez les genoux, etc.) qu’on en a mal pour eux. Les chanteurs, dans la deuxième partie, sont même contraints, raides comme la justice, à ne pas se regarder et à adresser leur chant au public. Très étrange. Aucune complicité, aucun élan… Mozart porte ainsi toutes les émotions, grâce au cast brillantissime, guidé par Raphaël Pichon, le jeune et archi doué directeur de l’ensemble Pygmalion qui fait des merveilles, renforcé par le chœur de l’Opéra de Lyon. La cour de l’archevêché a retenti de bravos pour les chanteurs et de quelques inélégantes huées lorsque Satoshi Miyagi a rejoint la troupe aux saluts.
En 2018, sa version d’Antigone avait davantage séduit à Avignon, il avait appliqué à cette version de Sophocle sa méthode habituelle : doubler les personnages, un acteur pour la voix, un autre pour le corps. Pour son Idoménée, il a figé les chanteurs en exigeant d’eux un sacré sens de l’équilibre et laissé s’égarer le chœur (peu) dansant. Pas très convaincant.
Brigitte Hernandez – Envoyée spéciale à Aix-en-Provence
Idomeneo, re di Creta de Mozart
Festival d’Aix-en Provence
cour de l’archevêché
26 Rue Gaston de Saporta
13100 Aix-en-Provence
Les 13, 19 et 22 juillet 2022
Direction musicale de Raphaël Pichon assisté de Nicolas Ellis
Mise en scène de Satoshi Miyagi
Décors de Junpei Kiz
Costumes de Kayo Takahashi Deschene
Lumière d’Yukiko Yoshimoto
Chorégraphie d’Akiko Kitamura
Pianiste répétiteur et répétiteur de langue – Alessandro Benigni
Assistante à la mise en scène et à la chorégraphie – Honoh Horikawa
Assistant à la mise en scène et à la dramaturgie – François-Xavier Rouyer
Assistante aux décors – Yui Mitsuhashi
Assistante aux costumes – Elisabeth De Sauverzac
Interprète et traductrice – Hiromi Ishikawa
Avec Michael Spyres, Anna Bonitatibus, Sabine Devieilhe, Nicole Chevalier, Linard Vrielink, Gran Sacerdote, Krešimir Špicer, Alexandros Stavrakakis
Et Anaïs Bertrand, Clémence Vidal, Constantin Goubet, René Ramos Premier,Sophie Blet, Idir Chatar, Apolline Di Fazio, Anaïs Michelin, Yumi Osanai, Ken Sugiyama
Chœur – Pygmalion avec la participation du Choeur de l’Opéra de Lyon
Orchestre – Pygmalion
Crédit photos © Jean-Louis Fernandez