Frédéric Vossier © Jean-Louis Fernandez

Histoire de passages

À l'occasion de la publication du 12e et dernier numéro de la revue Parages, éditée par le TNS, son rédacteur en chef, Frédéric Vossier a accepté de livrer son regard sur cette expérience unique débutée en 2016.

Frédéric Vossier © Jean-Louis Fernandez

À l’occasion de la publication du 12e et dernier numéro de la revue Parages, éditée par le TNS, son rédacteur en chef, Frédéric Vossier a accepté de livrer son regard sur cette expérience unique débutée en 2016.

Je crois que c’est unique : en prenant la direction d’un établissement, un metteur en scène (Nordey, en l’occurrence) propose à un auteur (Frédéric Vossier) d’être salarié permanent de la maison, de venir s’immerger pour être, à travers différents dispositifs, le contact privilégié des auteurs et des autrices : the go-between. Parmi ces nombreux dispositifs : fonder, concevoir, et diriger une revue.Bref, une proposition en or : pratiquer une activité éditoriale dans une liberté absolue. Seule contrainte : une revue consacrée aux auteur.rice.s vivant.e.s. 

Cette revue s’est appelée PARAGES. Parce que l’auteur.rice est un être-des-parages. Il faut les faire sortir de l’obscurité ou du désert. Une revue doit pouvoir s’appréhender comme une oasis. Diriger cette revue a correspondu à une forme de flux ininterrompu durant sept ans d’appel et de liens aux auteur.rice.s. Travail sans temps mort. Travail de composition, d’invention, de recherche. Travail de mise en paysage. 

dernière couv de la revue Parages

Un paysage est une forme sensiblequi peut unir la diversité, une diversité qui doit en même temps bouleverser les règles d’ensemble admises et attendues.C’est une forme d’expérience de montage qui doit à la fois rassembler,unir et excéder. 

S’orienter, se perdre et se retrouver dans un paysage. 

L’enjeu était en quelque sorte de « vivre » avec tou.te.s ces auteur.ice.s, et de photographier ces « années de vie et d’écriture ». Former et composer des paysages : chaque numéro étant conçu dans cette perspective. La perspective du « singulier pluriel » pour reprendre l’expression philosophique de Jean-Luc Nancy. C’est bien ça la trace du paysage. Quand je dis « vivre » avec les auteurs, c’est bien sûrles lire, les connaître, discuter avec, entretenir des liens, sur la durée, et les amener à choisir ce qu’ils auront envie d’écrire, et comment ils l’écriront. Entrer dans PARAGES comme dans un laboratoire : expérimenter ou inventer n’importe quel mode d’écriture. Traverser PARAGES comme un carrefour : faire des rencontres, (se) croiser, (se) heurter. « Les amants sont ensemble, mais pas encore » a écrit Blanchot. J’ai parié sur cet a-venir incertain et fragile de la rencontre imprévisible et de la mêlée surprenante. 

Nous avons refusé le corporatisme : consacrée aux auteur.ice.s exclusivement, la revue devait également accueillir des paroles de chercheur.e.s, d’artistes de plateau (metteur.e en scène, acteur.rice), d’éditeur.ice, de directeur.rice d’institutions, etc. Tout le monde devait pouvoir parler, à condition qu’il s’agisse d’un regard et d’un propos qui visent un.e auteur.ice. PARAGES n’était pas une revue d’information, ni de critique. Recherche, réflexion, échange, création : tels ont été ses grandes lignes de force. Créer l’ouverture, ouvrir un espace large de prises de position. Fuir les rubriques, comme le thématique. Echapper aux contraintes et aux limites. Penser sans modèle, ni système. Que ce soit le plus libre possible. La liberté a été, me semble-t-il, le seul mot d’ordre de cette revue.

Au fil des numéros, avec Stanislas, nous avons, malgré tout, senti une dérive insidieuse, une forme de cadre qui commençait à se profiler : les focus consacrés à des auteur.rice.s majeur.e.s et aux maisons d’édition. La revue pouvait dériver vers la rubrique. Peut-être un système commençait-il à contaminer la ligne éditoriale, et en même temps, il était urgent de porter un regard sur ces maisons dont le travail est si précieux et fécond. Quoi qu’il en soit, chaque focus devait maintenir la logique du « singulier pluriel » et la pluralité des formes d’écriture. Un focus était en soi un paysage et devenait paysage dans le paysage. 

En 2015, Nordey avait dit : en quittant le TNS, il faut laisser 10 numéros derrière nous. Aujourd’hui, on en compte douze. Douze paysages. Pluralité de visions et de consciences d’un temps. Pluralité de traces, en passant. 

Frédéric Vossier, rédacteur en chef de la revue Parages

Parages, une collection de 12 numéros

Crédit photos © Jean-Louis Fernandez

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