Photographe officiel du Festival d’Avignon depuis 2005, Christophe Raynaud de Lage s’expose sur les murs de la Maison Jean Vilar. L’Œil Présent, parcours vertigineux dans la mémoire de ce grand événement international, revient sur plus de quinze années de spectacle à travers son regard. Rencontre avec un artiste généreux et passionné.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir photographe de spectacle vivant ?
Christophe Raynaud de Lage : C’est arrivé presque par hasard. Je suis un enfant d’Aurillac, dont le festival a vu le jour en 1987. Je commence à y assister en 1988-1989 et je découvre ainsi le spectacle vivant. Au même moment, je commence la photographie et je suis pris à l’école nationale Louis Lumière à Paris. En 1989, je rencontre Claude Bricage, qui était un grand photographe et qui travaillait pour cette manifestation. Je lui ai montré mes premiers tirages, et il m’a un peu encouragé. C’est des histoires de rencontres, rien n’était prémédité.
Comment êtes-vous arrivé à Avignon ?
Christophe Raynaud de Lage : Avignon, c’est arrivé en 2005. J’y étais déjà venu de 1998 à 2000 en freelance. Je travaillais plutôt avec des compagnies, mais venir ici me coûtait cher, je faisais ça à perte, et je n’arrivais pas vraiment à rentrer dans ce milieu. Donc en 2000, j’ai arrêté. Et ça me revient en 2005, lorsqu’un ancien membre de l’équipe d’Aurillac, qui venait d’intégrer celle du Festival d’Avignon, m’appelle pour me dire que les directeurs de l’époque cherchaient de nouveaux photographes. Je candidate, et ça commence comme ça. Quand Olivier Py est arrivé, en 2014, j’ai défendu mon propre bilan. Bien sûr, j’avais envie de poursuivre, et ils ont eu envie que je continue. Tout cela aboutit à l’exposition, aujourd’hui.
Quelle est votre méthode, en tant que photographe ?
Christophe Raynaud de Lage : J’essaie d’être le plus présent possible. Le Moine noir de Serebrennikov, je l’ai déjà vu deux fois, et je vais le revoir du haut du Palais des Papes. Hier, j’ai fait Le Nid de cendres. Les photographes de presse sont venus deux heures ; j’ai tenu à faire les treize heures. Dans la mesure de mes capacités, du temps, j’essaie d’avoir une vision globale, donc je vais voir les choses plusieurs fois, selon différents points de vue. On le voit dans l’exposition : pour avoir un rapport photographique avec le public, il faut être là quand il est présent, ne pas se contenter des séances de presse.
Comment est venue l’idée de faire une exposition ?
Christophe Raynaud de Lage : C’est une proposition d’Olivier Py il y a trois ans. Il m’a dit : « j’aime ton travail, j’ai envie de le mettre en avant, est-ce que tu peux penser à quelque chose… » Et il m’a laissé carte blanche. J’ai été totalement libre. Et je le dis sincèrement : elle est à peu près comme je l’ai rêvée.
Quelles sont les lignes directrices de l’expo ?
Christophe Raynaud de Lage : Le séquençage en cinq actes. On rentre par les lieux : quand je m’intéresse aux lieux, c’est par exemple bouger sur les quatre côtés du cloître, profiter du champ de liberté qu’est le Palais des Papes… C’est l’influence de Claude Bricage, qui est le premier, selon moi, à avoir élargi le champ et à s’être intéressé à la scénographie. Puis il y a la cour d’honneur, tellement emblématique qu’elle constitue un acte à part. C’est un défi aussi bien pour le photographe que pour les artistes et le public. Un des actes dont je suis le plus fier aujourd’hui, c’est « Réminiscences ». Quand je fais mon travail, je veux que le public se le réapproprie. Leurs réponses m’ont passionné dans leur diversité, dans leur analyse des images, chacun avec leurs moyens.
Tu es un témoin privilégié du festival, tu vois presque tous les spectacles, plusieurs fois, sous plusieurs angles. Tu as donc dû faire des choix…
Christophe Raynaud de Lage : De toute façon, dès la planche-contact, je dois faire des choix. Là, le but n’était pas de faire un best of, ni d’atteindre une exhaustivité parce que ce n’est pas possible. Le choix s’est fait en fonction du récit que j’ai voulu raconter. C’est pour cela que j’ai conçu le parcours et que seulement ensuite je suis allé chercher la matière.
Si tu avais une œuvre à mettre en avant, ça serait laquelle ?
Christophe Raynaud de Lage : C’est difficile de mettre un spectacle en avant. Je suis toujours dans l’appétit de la suite. J’étais vraiment excité à l’idée de voir les répétitions du Moine noir. Après, il y a eu plein de grandes redécouvertes pendant la conception de l’exposition. J’ai mis plusieurs spectacles de Guy Cassiers qui a été un des premiers à utiliser beaucoup la vidéo pour le théâtre… Et il y a des choses qui commencent au festival et que l’on voit ensuite ailleurs, que ce soit Angelica Liddell, Thomas Jolly, même Jean Bellorini, toute cette génération qui a fait le théâtre contemporain. Il y en a quand même deux que j’aime particulièrement, et que je voulais avoir à tout prix : ¿ Qué haré yo con esta espada ? d’Angelica Liddell (2016), avec les pieuvres, on dirait une Madone, c’est incroyable… puisqu’il s’agissait de nus de jeunes filles, j’avais dû trouver toute la distance nécessaire pour que ça reste beau. J’aime cette image parce qu’elle me touche, parce qu’elle devient autre chose qu’une photo de spectacle : elle peut emmener ailleurs, avec un côté mystique. L’autre, c’est Akram Khan, parce que c’est la cour, le mur, mais aussi cette impression d’être au fond d’un tombeau. Ce soir-là, il y avait le mistral, et avec la fumée, ça créait une sorte de flou. Il y a dans l’image quelque chose d’un peu vaporeux, comme ça, et qui est unique. Cette image, je ne pourrai jamais la refaire. Toutes mes coulisses sont également des vrais coups de cœur, parce que ce sont des moments de partage avec les artistes : je suis dans leur intimité et j’adore ça. Comme ma mission au sein du festival relève aussi de la communication, ces images, on ne les utilise pas. Mais je les ai faites quand même.
On connaît la difficulté du métier de photographe de spectacle vivant, où il est compliqué d’exister et d’être rémunéré. Toi, tu as initié un mouvement pour aller parler de ça au ministère…
Christophe Raynaud de Lage : On essaie pour la première fois de fédérer les photographes de spectacle afin de rassembler nos problématiques. Je mets au service des autres une expérience qui fait que j’ai peut-être un poids différent. À titre d’exemple, certains lieux me donnent des contrats, et j’exige certaines conditions pour travailler avec eux. Un jeune photographe n’a pas forcément ce poids, cette possibilité-là. J’essaie de transmettre, aussi. Julien, à mes côtés, est mon quatorzième assistant. Joseph Banderet, l’un de mes anciens assistants, est aujourd’hui photographe de spectacle… Autre chose : quand je vais à des générales photo, je suis encore parmi les plus jeunes. Et je suis le plus jeune depuis vingt ans. C’est un problème ! Il n’y a pas de renouvellement. De moins en moins de gens investissent dans l’image. C’est une préoccupation qu’il faut avoir aujourd’hui avant qu’il ne soit trop tard.
Tu as commencé en faisant du noir et blanc, pourtant, là, il n’y a que des photos en couleur.
Christophe Raynaud de Lage : Cela fait trente ans que je suis photographe, et pendant quinze ans je faisais beaucoup de noir et blanc, en argentique. C’était un vrai choix. À l’époque, le noir et blanc conditionnait ma prise de vue, parce que j’allais chercher dans les ombres alors qu’en couleur, je vais plutôt chercher dans les hautes lumières. La mutation numérique est arrivée, et je l’ai intégrée. Moi, j’ai eu ma période noir et blanc, j’étais un puriste total, mais ça correspond à une époque. Je suis passé à autre chose, sans aucune frustration d’ailleurs. Il y a des artistes avec lesquels j’ai commencé en noir et blanc, et dont je fais des photos en couleur, et qui me disent : tes couleurs sont comme des noirs et blancs.
Propos recueillis par Samuel Gleyze-Esteban et Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
L’Œil Présent de Christophe Raynaud de Lage
Festival d’Avignon – Maison Jean Vilar
Jusqu’au 31 mars 2023
Conception et photographies – Christophe Raynaud de Lage
Commissariat d’exposition, textes, lumière, réalisation médias – Laurent Gachet
Scénographie – Pierre-André Weitz
Vidéo de Thomas Bailly
Design sonore – David Gubitsch
Crédit portrait © Guillaume Mussau
Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage