À la Parenthèse, dans le cadre de la Belle Scène Saint-Denis, la danseuse et chorégraphe, formée à la danse contemporaine au CCN de Montpellier, s’inspire de l’histoire du vêtement au fil des âges pour composer une partition de gestes et de mouvements. Véritable invitation au voyage imaginaire où corsets, faux-culs et coiffes délirantes balise le chemin, Attitudes habillées de Balkis Mousashar dévoile ses charmes jusqu’au 20 juillet 2022 à Avignon. Rencontre.
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Je n’avais que 2 ans lorsque j’ai dit à mes parents que je voulais être danseuse… Et du coup, je ne m’en souviens pas ! Dans mes premiers souvenirs (peut-être vers 4 ou 5 ans) j’ai le sentiment d’avoir déjà une longue histoire avec la danse… Dont je ne sais absolument pas d’où elle vient, juste qu’elle a toujours été là.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Comme je le disais plus haut… Je n’en sais rien ! J’ai le souvenir d’une évidence, d’un désir à la fois très fort et très sérieux, mais sans en connaître l’origine.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être danseuse et chorégraphe ?
Je dirais donc que je ne l’ai pas choisi !
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
J’ai sans doute fait d’autres spectacles avant, entre 4 et 10 ans, mais je ne m’en souviens pas vraiment. Je me souviens par contre d’un spectacle auquel j’avais participé vers l’âge de 10 ans, à l’Opéra d’Avignon, ou nous jouions le rôle de baigneurs 1900. Nous avions un costume de bain dans le style de l’époque, à rayures et qui descendait jusqu’aux genoux, dont je me souviens de façon très détaillée.
Je me souviens aussi très distinctement du lieu, des coulisses, de la machinerie, des couleurs des rideaux…
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
La pièce Les lieux de là, de Mathilde Monnier. Je l’ai vue en 1999 ou en 2000, à Marseille, et j’ai eu un immense choc esthétique. Je n’avais jamais vu ce type de travail avant. Sans me le dire aussi clairement, il m’a semblé que c’était ça pour moi la danse contemporaine, et que c’était ça que je voulais faire.
L’année suivante, j’intégrais la formation Exerce au Centre Chorégraphique de Montpellier.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Ce qui me vient à l’esprit en premier n’est pas vraiment une rencontre : lorsque j’étais étudiante en philosophie j’ai été bouleversée par le livre, Le danseur et la danse, de Merce Cunningham. J’ai découvert son travail par ce biais, sans avoir encore vu ses pièces, et ma vision de la danse en a été profondément modifiée. Quelque temps plus tard, en 2000, je suis allée à New York, et j’allais prendre des cours en auditrice libre dans son studio. Un jour, je l’ai vu sortir d’une répétition, âgé et avec ses difficultés à marcher, nous nous sommes croisés… Et j’étais éblouie, comme une groupie devant une rock star mythique !
Une autre rencontre marquante est plutôt celle d’une pratique, le Body Mind Centering. J’ai fait un premier workshop en 2008 (suivi de beaucoup d’autres depuis) et, là encore, beaucoup de choses ont changé dans ma relation au corps, au mouvement et à la danse, de façon très profonde.
Enfin, une rencontre importante pour moi a été celle avec une danseuse, Lisa Vilret. C’est la première interprète que j’ai engagée à la suite d’une audition, il y a exactement 10 ans, et je dirais que c’est avec elle que je suis devenue chorégraphe, en la dirigeant. Nous travaillons toujours ensemble aujourd’hui !
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Si l’équilibre est une juste proportion, entre des forces antagonistes, mon métier en serait l’une d’entre elles. Je pourrais dire qu’il est ma force de gravité.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
L’observation du monde, dans ses formes et dans ses mouvements (les formes et les mouvements des humains autant que des animaux, des végétaux, des minéraux…).
La lecture aussi, notamment de philosophie… (mon prochain projet, Climal, est né pendant la lecture de La vie des plantes d’Emanuele Coccia).
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
La scène est un endroit où je me sens bien. Où j’ai passé beaucoup de temps et vécu beaucoup de choses. Un endroit que je regarde beaucoup aussi, y projetant mes désirs. Je suis assez attachée à la scène au sens « classique » du terme, que je vois toujours comme un lieu d’utopie, de création de monde.
Ce qui ne m’empêche pas d’en déborder avec plaisir, que ce soit dans un musée ou dans une chèvrerie…
À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Sans vouloir reprendre à mon compte l’expression parfois douteuse « avoir ça dans le sang », je crois tout de même que c’est là que je le situerais. Dans ce liquide aux rythmes multiples qui voyage dans le corps et irrigue les muscles et les organes vitaux, leur apportant nourriture et oxygène.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
J’ai rencontré ces dernières années beaucoup de danseur.se.s, de formidables artistes interprètes, et j’aimerais pouvoir travailler avec chacun d’entre eux ! Diriger des danseurs est un des grands plaisirs de mon métier, mais je ne fais pas d’assez grandes formes pour pouvoir travailler avec tous ceux qui m’intéressent !
Après, je serais aussi très heureuse de collaborer avec un.e plasticien.ne. J’ai par exemple été très marquée par une installation de brouillard coloré d’Ann Veronica Janssens, vue il y a près de 20 ans, à laquelle je pense toujours avec beaucoup de désir…
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
J’aime les grandes formes spectaculaires, les décors, les costumes et la machinerie, donc j’adorerais chorégraphier un opéra ou une grande revue…
Mais dans un tout autre registre, j’ai été très impressionnée par l’hymne féministe venu du Chili « le violeur c’est toi » et par la chorégraphie qui l’accompagne, reprise par des milliers de femmes à travers le monde.
Je rêve à des chorégraphies manifestantes, engagées et partagées, des sortes de Haka qui donneraient de la force et soutiendraient des luttes politiques ou sociales à la manière d’une chanson partisane.
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Il me semble que ce serait triste qu’elle n’en soit qu’une seule !
Ou alors ce serait une œuvre à la forme changeante, en perpétuelle transformation, qui pourrait se glisser différents cadres. Une sorte de robe couleur de temps qui ne changerait pas uniquement de couleur, mais aussi de forme et de qualités…
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Attitudes habillées – le quatuor (extraits) de Balkis Moutashar
Festival OFF d’Avignon
PROGRAMME DANSE #2
Belle Scène Saint-Denis – Théâtre Louis Aragon
La Parenthèse
18 rue des Études
84000 Avignon
Jusqu’au 20 juillet 2022
Chorégraphie de Balkis Moutashar assistée d’Émilie Cornillot
avec Vincent Delétang, Emma Gustafsson, Balkis Moutashar et Violette Wanty
Regard extérieur à Avignon – Wendy Cornu
Dramaturgie d’Youness Anzane
Costumes historiques – Natacha Bécet, Jasmine Comte, Christian Burle
Création sonore – Géraldine Foucault et Pierre-Damien Crosson
Crédit portrait © Mirabel White
Crédit photos © Nathalie Sternalski