À la Reine Blanche à Avignon, la comédienne reprend son rôle de puéricultrice au grand cœur qui répare ses fêlures en s’occupant des autres. Humaine, sensible, Anne Le Guernec se glisse dans les mots de Julie Bonnie. Dans Chambre 2, elle irradie et confirme son grand talent. En parallèle, elle présente à l’Artéphile, sa mise en scène de La Femme à qui rien n’arrive de Léonore Chaix.
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
La fête des vignerons, à Vevey en Suisse que je découvre à 10 ans avec mes parents et mon parrain qui nous y emmène. Un spectacle qui rend hommage aux traditions et au monde viticole. Il y a au moins 4 000 figurants dans une arène de 15 000 places organisée autour d’une grande horloge solaire dont les quatre points cardinaux indiquent les quatre saisons. Cette grande fête n’a lieu que quatre fois par siècle. La musique résonnait dans toute la ville, les gens étaient encore en costumes le lendemain dans les rues. C’est un souvenir d’enfance, il me reste surtout des images, des impressions, une ambiance. De l’art très vivant !
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Mon premier cours de théâtre, une révélation. J’ai 15 ans. Je suis inscrite au cours Florent dans la claisse hebdomadaire (3 heures de cours le mercredi après-midi) et ce jour là, je sens que j’ai envie de faire ce métier mais plus étrange, je sens aussi que je le ferais. C’est comme une évidence.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédienne et metteuse en scène ?
Une vocation pour la comédie, quelque chose qui commence déjà à l’adolescence, qui ne se choisit pas, qui s’impose. Au contraire, mon désir de faire de la mise en scène est venu bien plus tard, avec la maturité, la confiance des autres, l’envie de transmettre, de choisir des sujets, d’accompagner des acteurs, des actrices.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Le premier spectacle auquel je participe est Dom Juan de Molière au théâtre des Bouffes du Nord. J’y joue Dona Elvire. C’est un souvenir douloureux, mais qui m’arme pour la suite. Je suis très jeune et le rôle est si difficile. Je fais mes premiers pas d’actrice avec Molière, ils ne se feront pas dans la légéreté mais avec un trac demesuré….
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Le Baladin du monde occidental de John Milington Synge : un chef d’œuvre un peu méconnu. Une âpreté et une poésie qui vient de l’Irlande et qui résonne avec mes origines bretonnes. Un groupe qui se forme autour de Guy-Pierre Couleau dont c’est la première mise en scène. Notre jeunesse, notre ferveur. C’est le début d’une aventure qui durera avec des acteurs que j’ai retrouvés souvent : Nils Ohlund, Philippe Mercier, Flore Lefebvre des Nöettes…..
Un coup de cœur de spectatrice : Les Trois Sœurs de Tchekhov montée par Peter Stein à Nanterre. Spectacle en allemand. D’immenses acteurs idoles de mon adolescence : Otto Sander, Jutta lampe, Edith Clever. Je l’ai vu Aux Amandiers à Nanterre, il y avait Mitterrand et Badinter dans la salle. Je ne parle pas l’allemand, mais je comprenais tout. La mise en scène éclairait tout. C’était magique.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Si je dois n’en citer que quelques-unes, ce serait : Madeleine Marion, immense comédienne et pédagogue hors pair. Je repense à elle à chaque première et elle m’accompagne toujours. Elle est inspirante. Son parcours d’artiste est exemplaire. J’ai aimé aussi beaucoup Jeanne Moreau sous la direction de qui j’ai joué Un trait de l’esprit de Margaret Edson. Brigitte Jaques- Wajeman et plus récemment ma rencontre avec Catherine Vrignaud-Cohen autour de Chambre 2 compte beaucoup. Je remarque que ce sont beaucoup de femmes, mais j’ai beaucoup aimé travaillé avec Yves Beaunesne ou récemment Benjamin Guillard. Sans parler de toutes et tous les partenaires qui ont été des rencontres essentielles.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Ce métier donne un grand sentiment de liberté. Il est un métier qui se nourrit de nos expériences avec les autres. Il est notre équilibre. Il est intimement lié à notre être.
J’ai, en revanche, été surprise de découvrir que pendant la période du confinement et pendant les fermetures des théâtres, il attendait au fond de moi de s’exercer, mais sans m’avoir anéantie. Je trouvais mille autres façons de l’exercer sans jouer. Rejouer devant le public a été merveilleux et très émouvant par aillleurs.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
C’est la peinture que m’inspire toujours. J’ai toujours aimé construire et préparer un rôle ou une pièce en allant dans les expositions, les musées. Pour le spectacle de Léonore Chaix, La femme à qui rien n’arrive, les références que je lui donnais était toujours picturales. Cela pouvait aller de Vermeer à Enki Bilal.
Le cinéma aussi est une grande source d’inspiration.
Et puis il y a aussi l’inspiration au quotidien qui provient de l’observation des gens dans la rue, de l’écoute des voix, des petites histoires.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Mon rapport à la scène est athlétique et charnel. J’aime la dimension physique de notre métier. Son artisanat. J’envisage aussi la scène comme un lieu sacré qui convoque les fantômes. Dans un théâtre, on ressent ces présences, le passage des autres, des émotions ont chargé l’atmosphère.
À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Mon désir est dans le cœur. Mais ce désir s’accompagne aussi de l’endurance et de l’énergie de mes jambes et de mes mains.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Je rêverais de travailler au cinéma avec Jane Campion, avec Thomas Vinterberg. J’aimerais découvrir d’autres disciplines comme la danse avec Boris Charmatz, Jérome Bel……..
J’aime éperdument le théâtre, mais je suis aussi attirée ailleurs ….
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
J’aimerais jouer l’intégrale d’un auteur, avec une grande distribution, qui se jouerait en plein air et pendant longtemps, y croiser toutes les actrices et acteurs qui m’ont tant inspirée.
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Ce serait un tableau de Brueghel l’Ancien . Ces tableaux de scènes populaires pleines de fraîcheur et d’humanisme au milieu d’un paysage grandiose. Il y a des centaines de personnages, tous racontent une petite histoire…..
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Chambre 2, d’après le roman de Julie Bonnie
Festival Avignon Off – Avignon-Reine Blanche
16 rue de la Grande Fusterie 84000 Avignon
Du 7 au 25 juillet à 16h10, relâche les 12 et 19 juillet
Durée 1h15
Adaptation de Catherine Vrignaud Cohen et Anne Le Guernec
Mise en scène de Catherine Vrignaud Cohen
Avec Anne Le Guernec
Scénographie de Huma Rosentalski
Création lumière de Huma Rosentalski et Grégori Carbillet
Chorégraphie de Stéphanie Chêne
Création sonore de Sylvain Jacques
Crédit portrait © DR
Crédit photos © Huma Rosentalski