Le collectif (LA)HORDE, à la tête du Ballet national de Marseille depuis 2019, continue sa chevauchée fantastique sur les scènes de France avec un programme en six parties, inégal, captivant par moments.
Si Roommates signifie la cohabitation, dans un même espace, de caractères différents, autonomes, le titre est effectivement à l’image de son programme. Ici, pas de jeux de résonance, mais au contraire, la plasticité d’une troupe qui entend faire aussi bien des pointes que du krump. Ce programme se présente donc donc un panel esthétique de six pièces, composé à partir du répertoire de la troupe phocéenne depuis 1992, et de trois créations.
Contraste
Le Grime Ballet de Cecilia Bengolea et François Chaignaud, qui ouvre le spectacle, en donne sans doute le programme. Les danseurs tiennent des positions précaires en déséquilibre entre la technique classique et celle des danses de club, dancehall en tête. Mais ce manifeste du contre-emploi peine à se déployer complètement, peut-être contraint par un contexte de présentation et une salle très codifiés.
Deux autres pièces, plus figuratives, tirent l’ensemble vers une esthétique un peu datée, comme Les Indomptés de Claude Brumachon, pourtant tout à fait maîtrisés par ses deux interprètes. Oiwa de Peeping Tom joue carrément sur des ressorts de prestidigitation. Et si le porté quasi-constant impressionne, le résultat frôle le kitsch, absorbé dans cette brume artificielle qui aveugle la moitié de la salle. Par effet de contraste, la danse minimaliste et ludique de Lucinda Childs enthousiasme sans faiblir, avec ses lignes claires, droites et ses bégaiements rythmés par l’incroyable Concerto pour clavecin et cordes de Gorecki.
Déflagration
(LA)HORDE réussit bien une chose : transposer à la scène la spécificité et l’originalité kinétiques propres à ces danses des scènes underground et catalyser, à travers l’écriture chorégraphique, un élan périphérique à la danse établie sur les plateaux, centré autour de placements inhabituels du corps. Ainsi Weather is sweet, cette création maison traversée par une énergie libidinale et articulée tout autour du bassin, étonnamment contemplative et captivante.
Surtout, l’extrait de quinze minutes de Room with a View, la pièce maîtresse de la troupe, clôt le spectacle dans une déflagration magnifique. Le groupe, sublimé par les costumes streetwear de Salomé Poloudenny, rappelle ainsi son ADN. La secousse pourrait ne jamais s’arrêter. Après avoir bandé ses muscles avec une force variable, le Ballet de Marseille rappelle la belle façon dont il peut laisser KO.
Samuel Gleyze-Esteban
Roommates du Ballet de Marseille
Théâtre de la Ville – Espace Cardin
1 Av. Gabriel
75008 Paris
Jusqu’au 4 juin 2022
Durée 1h45 avec entracte
Avec le Ballet national de Marseille
Grime Ballet (Danser parce qu’on ne peut pas parler aux animaux)
Chorégraphie Cecilia Bengolea & François Chaignaud
Assistance chorégraphie Erika Miyauchi
Musique Stitches, Label Butterz UK
Lumières Eric Wurtz
Weather is sweet
Chorégraphie (LA)HORDE
Costumes Salomé Poloudenny
Assistée de Alexandra Aleynikova
Musique Pierre Avia
Lumières Eric Wurtz
Oiwa de Peeping Tom
Chorégraphie Franck Chartier
Assistant chorégraphie Louis-Clément Da Costa
Musique Atsushi Sakai
Design sonore Raphaëlle Latini
Assistante costumes Héloïse Bouchot
Création lumières Eric Wurtz
Concerto
Chorégraphie & costumes Lucinda Childs
Assistant Chorégraphie Jorge Perez Martinez
Musique Henryk Górecki
Création lumières Eric Wurtz
Les Indomptés
Chorégraphie Claude Brumachon
Assistant chorégraphie Benjamin Lamarche
Musique Wim Mertenz
Création lumières Eric Wurtz
Room with a View – Extrait
Chorégraphie (LA)HORDE
Costumes Salomé Poloudenny
Musique Rone
Création lumières Eric Wurtz
Crédit photos © Blandine Soulage © Aude Arago