From Outside In de Steven Cohen, Amélie Gratias, Maxime Thébault et Mathilde Viseux - Printemps des Comédiens © Pierre Planchenault

Printemps des comédiens, un week-end entre corps et larmes

Pour cette 36e édition du Printemps des Comédiens, Jean Varela met en parallèle Georges Lavaudant, Steven Cohen et Léa Drouet.

From Outside In de Steven Cohen, Amélie Gratias, Maxime Thébault et Mathilde Viseux - Printemps des Comédiens © Pierre Planchenault

Pour cette 36e édition du festival montpelliérain, Jean Varela continue à jouer la carte de l’éclectisme, du surprenant, du détonnant. En mettant en parallèle, la nouvelle scène bruxelloise, l’univers « queer » du Steven Cohen et le classicisme renouvelé de Georges Lavaudant, ils offrent un feu d’artifices scénique aux esthétismes contrastés, tranchés. 

Épargnée des violents et meurtriers orages qui ont traversé la France, Montpellier rivalise d’événements culturels en ce week-end de Pentecôte. Au joyeux festival des Fanfares qui fait battre le cœur enchanté de la ville, le Printemps des comédiens oppose des textes, des performances qui questionnent nos sociétés, nos préjugés, nos regards sur le monde, sur l’autre. Opposant à la fresque Moliéresque du Nouveau Théâtre Populaire le Phèdre figé de Lavaudant, à la géniale loufoquerie du duo Pierre GuilloisOlivier Martin-Salvan l’extravagance « queer » et « trash » de Steven Cohen, la programmation propose un bel éventail de ce qu’est l’art vivant, multiple, disparate, iconoclaste, vibrant. 

Phèdre à rebours 
Phèdre de Sénèque - Mise en scène de Georges Lavaudant - Printemps des Comédiens © Marie Clauzade

Au Théâtre d’O, en contre bas du domaine du même nom, Georges Lavaudant porte au plateau une nouvelle traduction de Phèdre, la tragédie romaine de Sénèque. À contre-courant du mouvement #Metoo théâtre, des évolutions de nos sociétés contemporaines, l’incestueuse épouse de Thésée, roi d’Athènes, sœur d’Ariane et du Minotaure, semble avoir été pétrie dans la glaise du sexisme. Tenue légère, évaporée, elle est un succube totalement vampirisé, hypnotisé par le corps musculeux de son beau-fils, le trop naïf Hippolyte. Décalant le jeu de ses comédiens dans l’espace mental de leurs personnages, le metteur en scène finit par annihiler toute tension charnelle, toute émotion, toute passion. Les micros déspatialisant les sons, l’absence de décor, d’incarnation des corps, figeant l’action, lui ôtant tout réalisme, lisse l’ensemble sacrifiant Phèdre (Astrid Bas), ses failles, ses fêlures et ses tourments, à un esthétisme de papier glacé. Les belles lumières de Cristobal Castillo-Mora et de Georges Lavaudant, les jeux d’ombres parfaitement ciselés, ne suffisent pas à donner chair au drame. Seuls, Maxime Taffanel, pourtant cantonné à sa sculpturale silhouette qu’un maillot de bain noir renvoie à la pièce qui l’a révélé, Cent mètres papillon, et Mathurin Voltz, sombre chœur, insuffle quelque humanité à la dernière création de ce grand homme du théâtre français, dont une captation de La Rose et la Hache, ainsi qu’un documentaire revenant sur les coulisses de cette reprise, 40 ans après sa création, ont été projeté en marge de la représentation. 

Meurtrières Violences 
Violences de Léa Drouet - Printemps des Comédiens © Cindy Sechet

Au théâtre du Hangar, tenue noire, ton monocorde, voix susurrée, Léa Drouet présente sa dernière création, qui a vu le jour en septembre dernier dans le cadre du festival Actoral de Marseille, une pièce sur les violences, non sur l’acte en lui-même mais bien sur ses représentations. Partant de son histoire familiale, celle de sa grand-mère Mado, qui enfant a été séparée de ses parents afin d’éviter les exactions de la guerre, tisse un récit kaléidoscopique où s’entremêle à coups d’ellipse et de non-dits, des vies confrontées à l’exil, à la surdité de l’administration, à la brutalité des lois, aux violences policières, aux mensonges d’État.

Naviguant telle une géante, entre tas de sables et villes stylisées par des immeubles en modèles réduits fluos rappelant quelques jouets d’enfants, la performeuse, basée à Bruxelles, invitent à suivre au plus près les chemins de l’exode qu’ils soient politiques, économiques ou tout simplement vitaux. Refusant tout voyeurisme, elle se met à distance. Les mots coulent lentement, s’insinuant dans nos corps, dans nos âmes, terriblement froid, horriblement inhumain. La mort est au rendez-vous. Elle est glaçante, le symptôme d’un monde devenu sourd aux propres violences qu’il génère. Un spectacle lancinant, nécessaire, une performance percutante ! 

Le corps en sus 
From Outside In de Steven Cohen, Amélie Gratias, Maxime Thébault et Mathilde Viseux - Printemps des Comédiens © Pierre Planchenault

La journée s’achève sur une œuvre inclassable, un quadriptyque né du hasard, de rencontres improbables, d’univers sensoriels qui se percutent, se répondent et se confrontent. Invitée par le TNB à présenter Put your heart under your feet… and walk !, hommage à Elu Kieser, son compagnon disparu après 20 ans de vie commune, Steven Cohen fait la connaissance de trois jeunes performeur·euses issu·es de la promotion 10 de l’École du CDN dirigée par Arthur NauzycielAmélie GratiasMaxime Thébault et Mathilde Viseux. D’inspirations communes – le goût de l’étrange, du singulier, de la mise en avant des corps comme objet d’art, comme matière première à une fresque surhumaine, un travail scénique – ils inventent ensemble une œuvre qui s’articule autour de quatre partitions et autant d’inspirations, d’esthétismes de douleurs mises à nu, de fantômes libérés. On peut regretter les temps morts – deux fois trente minutes -qui rallongent à l’envi la durée de ce spectacle fleuve, mais il n’y a pas à douter de l’engagement des quatre artistes. Chacun à sa manière se livre et s’expose. Jouant des contrastes entre gestes et intentions, les premiers sont lents, parfois vains, les secondes terriblement crues, brutales, ils s’offrent sans pudeur, sans fard aux regards inquisiteurs, curieux, troublés, voire dégoutés des spectateurs, forcent leurs préjugés, sondent leurs failles, leurs fêlures et réveillent chez certains, du moins, quelques démons cachés. Blasé, indifférent ou subjugué, le public ne peut rester indifférent à la force des images, dont certaines sont d’une incroyable et sulfureuse beauté. 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé Spécial à Montpellier 

Phèdre de Sénèque 
Théâtre d’O – Salle Paul Puaux
178 Rue de la Carriérasse
34090 Montpellier
Mise en scène de Georges Lavaudant 
Avec: Astrid Bas, Bénédicte Guilbert, Aurélien Recoing, Maxime Taffanel et Mathurin Voltz
Traduction et adaptation de Fréderic Boyer
Lumières de Cristobal Castillo-Mora et Georges Lavaudant
Son de Jean-Louis Imbert 
Chorégraphie de Jean-Claude Gallotta

Violences de Léa Drouet
Hangar Théâtre – Studio 2
3 rue Nozeran
34090 Montpellie
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Conception, écriture et interprétation – Léa Drouet 
Dramaturgie de Camille Louis 
Scénographie d’Élodie Dauguet 
Musique d’Èlg
Lumières et régie lumière de Léonard Cornevin 
Régie générale d’Aurore Leduc 
Régie son de Laurent Gérard 
Assistanat à la mise en scène – Laurie Bellanca 
Photos : Cindy Sechet

From Outside In
Hangar Théâtre – Studio 1
 rue Nozeran
34090 Montpellier 
Chorégraphie, scénographie, costumes et interprétation de Steven Cohen, Amélie Gratias, Maxime Thébault et Mathilde Viseux
Lumières et régie d’Yvan Labasse
Assistanat et management – Samuel Mateu

Crédit photos © Pierre Planchenault, © Marie Clauzade, © Cindy Sechet

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