Devant la sublime façade style Renaissance du château drômois rendu célèbre par Mme de Sévigné, Julia de Gasquet porte au plateau Les Fâcheux, la toute première comédie-ballet de Molière, et l’ancre avec minutie et intelligence au cœur du Grand Siècle. Une fantaisie baroque, presque burlesque, pour fêter les 400 ans du fameux dramaturge !
Le ciel est d’un bleu lumineux quand les premiers spectateurs s’installent dans les gradins. Quelques nuages d’un blanc immaculé dessinent des ombres délicates sur la pierre, sur les ventaux des fenêtres, les délicates sculptures qui décorent la majestueuse façade. L’air est clément, les pluies du matin ont été balayées, rien ne viendra perturber cette première soirée des Fêtes nocturnes du château de Grignan, dont c’est la 35e édition. Pour célébrer le 400e anniversaire de Molière, quoi de mieux que de demander à une spécialiste du XVIIe siècle, de monter une de ses œuvres. En fine universitaire, Julia de Gasquet n’a pas choisi la voie royale, mais plutôt un chemin de traverse en mettant à l’honneur la première comédie ballet de l’histoire.
Des Fâcheux bien à propos
Avant de plonger dans l’univers très Grand Siècle de ces Fâcheux, un peu de contextualisation est nécessaire pour mieux comprendre l’approche de la metteuse en scène. On est en 1661, Molière a 39 ans. Avec l’illustre théâtre, il a déjà roulé sa bosse dans le sud de la France, s’est fait remarquer des grands du Royaume, le prince de Conti, Monsieur, le frère du Roi ou le Prince de Condé. Ses comédies, un brin satiriques, telles Les Précieuses Ridicules ou L’École des maris, sont encensées par le public. Préparant une fête mémorable en l’honneur de Louis XIV en son somptueux château de Vaux-le-Vicomte, le Surintendant Fouquet passe commande à l’auteur. Pour cette première pièce pour la cour, Molière innove. Connaissant le goût du Roi pour les ballets, il fait appel à Lully pour entremêler théâtre, musique et danse et ainsi créer un nouveau genre, la comédie-ballet. Le succès est en rendez-vous. Toutefois, derrière les sourires, se trame en coulisses un drame : l’arrestation de l’hôte des lieux. S’imprégnant de cette atmosphère particulière, joyeuse autant qu’inquiétante, Julia de Gasquet remonte le temps et invite à voir Les Fâcheux, tel qu’à l’époque de la fameuse Marquise de Sévigné.
Le bal des fantômes
Musique envoûtante et baroque de Lully, sarabandes et autres branles, vers sonnant, les artistes, hommes vêtus de rhingrave — sorte de culottes bouffantes, ressemblant à une jupe, richement garnies de rubans, de dentelles —, femmes en robes ornées de passementerie, de nœuds, de pierreries, tout est fait pour que cette ronde de fâcheux qui gâchent le jour, font perdre un temps fou, habitent les lieux. Tout comme Molière, Thomas Cousseau se glisse avec une belle faconde, dans la peau de ces personnages inopportuns, de ces lourdauds dont on ne peut se dépêtrer, de ces êtres risibles autant que touchants. Face à lui, l’excellent Adrien Michaud incarne avec une juste rage rentrée, Éraste, l’amoureux empêché que tous viennent saouler de paroles, de leurs problèmes, de leurs histoires de peu d’intérêt. Parfaitement en accord avec le lieu, ses pierres, ses célèbres hôtes, le texte du dramaturge, esquisse imparfaite de ses succès à venir, résonne joliment dans la nuit. Tout Molière est là, sur le parvis de Grignan. En gestation, Tartuffe, le misanthrope, les femmes savantes et tant d’autres, défilent dans une belle farandole certes surannée, datée, mais qu’il est intéressant de découvrir, d’entendre pour mieux comprendre l’essence d’une œuvre, celle du grand patron de la Comédie-Française.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Grignan
Les Fâcheux de Molière
Les Fêtes nocturnes du Château de Grignan
23 Rue Montant au Château
26230 Grignan
jusqu’au 20 août 2022
durée 1h40
Mise en scène de Julia de Gasquet
Chorégraphie de Pierre-François Dollé
Dramaturgie de Marie Bouhaïk-Gironès, chercheuse et spécialiste des Théâtres Anciens
Direction Musicale Anne Piéjus, chercheuse et musicologue, éditrice de la pièce dans la Bibliothèque de la Pléiade
Scénographie d’Adeline Caron
Chorégraphie de Pierre-François Dollé
Création lumières de Nathalie Perrier
Costumes de Julia Brochier
Avec Thomas Cousseau, Julia De Gasquet, Adrien Michaux, Alexandre Michaud, Mélanie Traversier et la voix de François Marthouret
Les danseurs – Jehanne Baraston et Pierre-François Dollé en alternance avec Akiko Veaux (du 11 au 26 Juillet zt Le 6 août)
Les musiciens, Lena Torre en alternance avec Sumiko Hara (du 15 Au 20 août), Julián Rincón en alternance avec Felipe Jones, (Du 20 au 22 juillet, Les 5 Et 6 août Et Du 15 au 20 août), Danican Papasergio
Crédit photos © Jean Delmarty et © Claire Matras