Installant, dans l’amphithéâtre du domaine d’O, pour la dernière fois le décor de fête foraine à l’abandon de son Peer Gynt, David Bobée enchante les nuits du festival montpelliérain. Poétique, audacieuse et éclatante, son adaptation touche juste, met en lumière la belle humanité du personnage et révèle le jeu tout en nuances et puissance de l’extraordinaire Radouan Leflahi.
Une fois n’est pas coutume, c’est à la toute dernière représentation de l’adaptation du conte philosophique d’Ibsen que nous assistons. Créé à Nantes en 2018, le spectacle a eu une très belle tournée. Malheureusement, il y a avec certains spectacles, une succession de rendez-vous manqués, de ratés. Non que l’envie ne fût pas là, bien au contraire, les images et le talent de mise en espace de David Bobée avaient de quoi allécher. Juste une impossibilité de calendrier. Enfin, un créneau, le Printemps des comédiens programme pour son dernier gros week-end de festivités, les ultimes dates de ce spectacle monstre dans le fabuleux écrin du Domaine d’O. Enfin, le rendez-vous est pris. Il est à la hauteur de nos attentes.
Fuite en avant
Drame poétique, œuvre monstre, farce fantastique, quête initiatrice d’identité, fable sarcastique, Peer Gynt dans sa forme originelle, parue en 1867, n’est pas destiné à faire théâtre. Trop dense, trop fantasmagorique, le texte a plus des airs d’histoires fantastiques, de romans d’aventures que des tragédies réalistes et intimistes qui ont fait la renommée d’Ibsen. C’est accompagné des musiques imaginées par Edvard Grieg que la pièce est jouée pour la première fois en 1876. S’y attaquer est toujours une gageure pour les metteurs en scène. Une vision, une audace, une belle dose d’onirisme pour donner chair à cet antihéros, prétentieux et affabulateur, lui offrir le petit supplément d’âme nécessaire à nous de le rendre sympathique, touchant autant que profondément humain. Plaçant le récit au cœur d’une fête foraine abandonnée, le metteur en scène, nommé en février 2021 à la tête du Théâtre du Nord, offre à cette fuite en avant, à ce voyage de tous les dangers qui confronte le protagoniste à sa propre solitude, un souffle flamboyant, très rock qui amène les festivaliers ravis et conquis au bout de la nuit.
Une complicité de troupe
Virevoltant, sautant, courant de-ci de-là, dévalant les gradins, les remontant avec vélocité et rage, l’époustouflant Radouan Leflahi donne son lumineux visage et son corps musculeux à ce Dom Juan norvégien. Tendrement aimé par sa mère (magistrale Catherine Dewitt), qui lui pardonne ses écarts, ses tocades, ses mauvaises actions, ce vaurien aux allures d’ange déchu charme, séduit d’une œillade, d’une fanfaronnade, d’un mensonge. Rien ne semble lui résister, sauf une forme d’ennui qui lui colle à la peau, une solitude crasse dont il n’arrive jamais à se départir vraiment. Fuyant la réalité, se réfugiant dans des fantasmes, dans des histoires à dormir debout, il dérive dans le vaste monde, rencontre des trolls aux allures de fachos, gravit des montagnes – russes – , pleure sa mère, son amour perdu. Emporté par la fougue de son jeune artiste, véritable révélation de ce pièce-fleuve, David Bobée fait feu de tout bois, signe certainement l’un de ses meilleurs spectacles à ce jour, et fait de Peer Gynt, une œuvre d’aujourd’hui que la cohésion de troupe magnifie et enchante. Tous excellents, portés par la musique jouée en direct par Butch McKoy, les dix comédiens – Clémence Ardoin, Jérôme Bidaux, Pierre Cartonnet, Catherine Dewitt, Radouan Leflahi, Thierry Mettetal, Grégori Miège, Marius Moguiba, Nine d’Urso et Lou Valentini – célèbre, dans cet écrin de théâtre à ciel ouvert, la vie.
Der des ders
En ce soir ultime, après plus d’une centaine de représentations, comme un seul homme, les festivaliers debout saluent le travail accompli, la beauté du geste, la puissance narrative de ce Peer Gynt humain, sensible. Les larmes de Radouan, la fièvre des artistes, le regard ému de Bobée, auront raison de la fatigue – pas moins de 4 heures de spectacle. Épuisés, heureux, tous sont prêts un baroud d’honneur, à en découdre avec la nuit, faire de cette dernière une fête sans fin. Sublime !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – envoyé spécial à Montpellier
Peer Gynt d’après Henrik Ibsen
Printemps des Comédiens
Amphithéâtre du Domaine d’O
178 Rue de la Carriérasse
34000 Montpellier
Mise en scène de David Bobée assisté de Sophie Colleu
Avec Clémence Ardoin, Jérôme Bidaux, Pierre Cartonnet, Catherine Dewitt, Radouan Leflahi, Thierry Mettetal,Grégori Miège, Marius Moguiba, Nine d’Urso et Lou Valentini
Composition et interprétation musicale : Butch McKoy
Traduction de François Regnault
Dramaturgie de Catherine Dewitt
Scénographie de David Bobée et Aurélie Lemaignen
Création et régie lumière de Stéphane Babi Aubert
Création et régie son de Jean-Noël Françoise
Création et régie costumes de Pascale Barré
Accessoires de Christelle Lefebvre
Régie générale de François Maillot
Régie plateau et accessoires de Papythio Matoudidi
Régie lumière de Véronique Hemberger
Crédit photos © Arnaud Bertereau