Au TNS, un an et demi après l’avoir présenté à quelques professionnels, Hubert Colas dévoile enfin au public strasbourgeois son adaptation de Superstructure de Sonia Chiambretto. S’inspirant de l’œuvre brutaliste du célèbre architecte et urbaniste, le metteur en scène, fondateur de Montevideo, lieu de résidence et de création dédié aux écritures contemporaines basé à Marseille, tisse, à travers trois générations, le portrait fragmenté de la jeunesse algéroise. Rencontre.
Quelle est la genèse du projet ?
Hubert Colas : En 2010, Sonia Chiambretto m’avait dit qu’elle travaillait sur un texte sur l’histoire algérienne et qu’elle souhaitait à l’époque écrire une pièce de théâtre. Qu’après nos expériences partagées, l’écriture théâtrale était ce à quoi elle aspirait. Pour elle, comme pour moi, nos origines nous poursuivaient. Le trouble de cette mémoire — inconnue — laissée sous silence conduira mon désir de créer ce nouveau texte de Sonia. C’était sans savoir que ce texte mettrait une décennie à voir le jour. Pour Sonia sans doute, il fallait ce temps pour entendre à travers les autres, les témoins, la famille éloignée, une mémoire qui jusqu’ici n’avait pas de mot. Comment écrire ce que le corps porte sans l’avoir vécu de son vivant ?
Aujourd’hui, ce texte (publié aux Éditions de L’Arche) s’appelle Gratte-Ciel, exactement comme il s’appelait il y a dix ans lors de nos premiers échanges avec Sonia. En 2013, nous tentions un premier geste, l’écriture théâtrale devenue roman arrivait quelques jours avant les premières répétitions. Nos pas étaient mal assurés, mais le plaisir était là, partager cette traversée de l’histoire algérienne. Le spectacle ici s’appelle Superstructure, mais il s’agit bien de Gratte-ciel, texte qui trouve maintenant sa structure définitive à travers la forme du récit plus que par le théâtre à proprement parler.
L’écriture de Sonia Chiambretto est singulière, rugueuse. Comment la porte-t-on au plateau ?
Hubert Colas : Les voix ici sont multiples, pour tenter de raconter, de porter un regard sur ces cinquante dernières années de l’Algérie. Les temps traversés, les temps de la narration sont aussi multiples.
J’ai pensé que la distribution se devait d’être faite de personnes aux origines diverses, aux parcours différents. La quête de liberté et la nécessité de dire ce qui s’est passé et qui se passe encore, que sous-tend le texte de Sonia, pouvait être portée et représentée par une diversité d’artistes pas forcément d’origine algérienne.
Avec cette écriture, il n’y a de parole possible qu’à travers l’écoute. L’écoute d’une écriture qui fait appel à notre intimité, l’écoute des acteurs entre eux, l’écoute et la préparation des acteurs à entendre ceux qui vont les écouter : le public. Mais aussi ce(ux) qui parlent en eux qu’ils ne soupçonnaient pas. Chercher là où le texte résonne, trouver sa nécessité d’être dit. Les acteurs ici sont les passeurs d’une mémoire intime de ce qu’ils n’ont peut-être pas vécu eux-mêmes.
Pour raconter la jeunesse algéroise, l’autrice passe par le biais de l’architecture et tout particulièrement par le projet de Le Corbusier, Obus. Est un ce défi pour la mise en scène ?
Hubert Colas : En effet, Sonia invente un espace fictionnel : le plan Obus de Le Corbusier comme le lieu de cette histoire. Ces récits se passent dans une architecture qui n’a jamais existé que par de multiples projets dessinés, maquettés par le Corbusier et sont restés lettre morte. C’est dans cette frontière entre réalité documentée et fictions que se tissent les paroles des acteurs. Pour définir l’espace de la représentation, j’ai choisi un élément unique, comme un morceau d’architecture, un plan mobile sur lequel il est possible de projeter des images à la fois réelles et imaginaires. Un espace scénique adaptable à l’espace du récit et de la déposition des mémoires.
Sensible, poétique, votre regard sur le texte et sur les personnages offre à l’ensemble une bouffée d’oxygène nécessaire. Est-ce que c’est important pour vous de faire contre-poids à l’âpreté des mots, des histoires ?
Hubert Colas : Peut-être l’écriture de Sonia nous raconte que l’Histoire ne nous appartient pas, mais que nous pouvons, de nos humbles places, lui donner un autre regard, et contribuer par nos actes artistiques et nos pensées à déplacer un peu l’aveuglement organisé de nos sociétés. Nous tentons de dessiner le portrait d’une humanité qui ne s’est pas fait suffisamment entendre et qui ne s’est pas encore aujourd’hui retrouvée. Il y a, derrière ces mots, l’espoir d’une jeunesse et d’une liberté qui n’a jamais vraiment eu l’occasion de s’exprimer.
À travers les douleurs des peuples opprimés, une force existe : celle qui peut-être comme un devoir trouve la nécessité de transmettre la joie de vivre et de regarder l’avenir dans une renaissance possible. Nous avons écouté le texte de Sonia comme l’expression de ce désir et de cet espoir.
Est-ce que pour vous, raconter la jeunesse algéroise, les maux du post-colonialisme, est un devoir nécessaire ?
Hubert Colas : Oui.
Propos recueillis d’Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Superstructure d’après Gratte-Ciel de Sonia Chiambretto
TNS
Salle Gignoux
1 avenue de la Marseillaise
67000 Strasbourg
du 8 juin au 15 juin 2022
Mise en scène et scénographie d’Hubert Colas
Avec Mehmet Bozkurt, Emile-Samory Fofana, Brahim Koutari, Isabelle Mouchard, Perle Palombe, Lucas Sanchez, Nastassja Tanner, Manuel Vallade
Lumière de Fabien Sanchez & Hubert Colas
Son de Frédéric Viénot
Costumes de Fred Cambier
Vidéo de Pierre Nouvel
Assistanat à la mise en scène – Salomé Michel
Stagiaire assistanat mise en scène – Pierre Itzkovitch
Assistanat à la scénographie – Andrea Baglione
Crédit portrait © Marc-Antoine Serra
Crédit photos © Hervé Bellamy