Le Festival d’Avignon arrive à grands pas. À la Manufacture, dès le 7 juillet, Emmanuel De Candido et son acolyte, Pierre Solot, présentent, Pourquoi Jessica a-t-elle quitté Brandon ?. Derrière cette question hautement existentielle, aux faux airs de soap-opéra, se cache un spectacle rare et désopilant, qui interroge notre rapport au monde et l’impact du virtuel sur nos vies. Rencontre.
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Derrière son castelet, une marionnette qui en kidnappe d’autres. À chaque fois qu’elle enferme un personnage dans son sac, elle crie « crac dedans ! »
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Un professeur, cigarette aux doigts, voix enrouée, cœur en or. Les poèmes qu’il me faisait déclamer étaient remplis de notes qu’on griffonnait lui et moi dans les marges des textes : métaphores, blagues, insultes. C’était sa jolie façon de nous initier à l’interprétation.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien et metteur en scène ?
La certitude de ne pas vouloir travailler derrière un bureau. Après un master en philosophie et malgré une proposition de doctorat, j’ai lâché les bibliothèques universitaires pour voyager et monter sur scène. C’était le bon choix.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Quand mon père est mort, je jouais ma première pièce de théâtre amateur. J’interprétais un handicapé raciste, naïf et cocu, avec un pull de Noël et une jambe dans le plâtre. Heureusement que mon père est mort à temps.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
By Heart de Tiago Rodrigues. Avec son air faussement simple, ce spectacle – sa dramaturgie, son écriture, son interprétation – sont d’une efficacité redoutable et d’une grand humanité. Le résultat est magistral, aussi fascinant qu’un tour d’illusionniste. J’aimerais beaucoup en parler avec son auteur. J’aurais pu aussi citer Pina Baush, Thomas Ostermeier, Amir Reza Koohestani…
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Les rencontres faites durant mes recherches de terrain. Congo, Iran, Belgique, Italie, Antarctique… Des témoins qui m’offrent ce qu’ils ont de plus précieux à partager : l’histoire de leur vie. Ce sont les rencontres qui me touchent, celles qui me poussent à continuer ce métier.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Pour moi, ce métier allie le jeu, la créativité, l’engagement citoyen et la spiritualité. Je ne suis pas croyant, mais sur une scène de théâtre, il y a un espace-temps qui, pour moi, transcende la vie quotidienne, qui suspend l’agitation, qui rassemble les gens. Quelque chose qui a à voir avec l’enfance et l’adolescence : notre désir d’absolu. Sans le théâtre, j’aurais l’impression de rester tout le temps collé au plancher des vaches. Ce serait invivable.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
La vie, les arts, la presse, les gens. Je me définis comme un voleur : les bonnes idées, je les trouve en observant les autres, en lisant des autrices et auteurs inspirant. Chacune de mes pièces, chaque spectacle, s’inspire ouvertement des voyages géographiques, mais aussi littéraires que j’entreprends. Mes pièces doivent beaucoup à des autrices et auteurs comme Léonora Miano, August Strindberg, Edward Bond, Isabelle Stengers, Franck Lepage, Bernard-Marie Koltès…
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
À la fois professionnel et intime. Aujourd’hui, j’en ai fait mon métier. Et ce métier est aussi une promesse que je me suis faite quand j’étais adolescent en me regardant dans le miroir : « tu seras acteur ». Ma vie d’adulte consiste à respecter cette promesse envers et contre tous.
À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
La gorge. C’est dans ma gorge que roule la boule de feu : la colère, le désir et la nécessité de dire. C’est aussi la gorge chez moi qui faiblissait quand j’étais stressé sur scène. Ce fut un long apprentissage d’apprendre à desserrer les dents, à ouvrir ma gueule. Le poète Dane Zajc écrivait le risque de se taire, de rouiller sa langue, de laisser la cendre combler sa gorge. C’est évidemment un avertissement poétique autant que politique.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
J’aimerais boire un porto avec Tiago Rodrigues, lire de la poésie avec Kae Tempest, observer Sidi Larbi Cherkaoui sous les stroboscopes d’une piste de danse, contempler la mer assis à côté de Laurent Gaudé, partir en Chine avec Anne-Cécile Chane-Tune. Après, on verra bien si ça nous donne envie de bosser ensemble.
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
En 2018, alors que je n’avais pas une thune pour envisager un tel voyage, j’ai pu me glisser dans une expédition scientifique qui partait en Antarctique. Depuis lors, aucun projet ne me semble trop « fou ». La folie, ce serait d’arrêter de croire à ses rêves. Quant au prochain projet, on verra bien…
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Le Zinneke Pis, c’est une sculpture en bronze de Tom Frantzen posée sur un trottoir bruxellois du centre-ville. Elle représente en taille réelle un chien bâtard qui pisse sur un poteau. Je me sens comme Bruxelles, comme ce chien, comme ce « zinneke » : bâtard, frondeur et cosmopolite.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Pourquoi Jessica a-t-elle quitté Brandon ? de Pierre Solot et Emmanuel De Candido
Prix des Lycéens du Festival Impatience 2020
Festival OFF d’Avignon
La Manufacture
2 bis, rue des écoles
84000 Avignon
du 7 au 26 juillet 2022 à 17h35 – Relâches les 13, 20 juillet 2022
avec Pierre Solot et Emmanuel De Candido
co-mise en scène d’Olivier Lenel
créateur lumières et directeur technique – Clément Papin
scénographie de Marie-Christine Meunier
conseiller artistique – Zoumana Meïté
création et dramaturgie sonore – Milena Kipfmüller
conseils vidéo – Lou Galopa
costumes de Perrine Langlais
Crédit portrait © Philippe Beheydt et © Lionel Devuyst