À l’espace Grüber du TNS, les élèves comédiens du Groupe 47 du TNS font leur sortie d’école, dirigés par les deux élèves de la section mise en scène. L’occasion d’entendre FaustIn and Out, un des « drames secondaires » imaginés par Elfriede Jelinek, dans une mise en scène immersive sublimée par une interprétation digne et captivante.
Les spectateurs français connaissent bien le Faust de Goethe. Peu ont déjà entendu la relecture qu’en a fait Jelinek, d’autant qu’à cette occasion, Ivan Márquez, élève en deuxième année dans la section mise en scène de l’école du TNS, l’a fait traduire pour la première fois en français. Pour cette restitution, alors que se joue dans une autre salle le Sallinger de Koltès, mis en scène par Mathilde Waeber, deux parcours possibles : suivre en entier le classique allemand ou, pour un petit groupe de seize personnes, participer à ladite expérience immersive autour du texte de l’Autrichienne.
Faust et son revers
Impossible, pour les spectateurs de FaustIn and Out, de juger pleinement de la tragédie allemande telle qu’elle a été retravaillée et recentrée par Ivan Márquez. Nous n’en voyons qu’un début, des échanges entre Faust, Méphisto, le Seigneur et l’étudiant jusqu’à l’apparition de Marguerite. Marquez a travaillé à partir de la traduction versifiée de Jean Malaplate pour s’approcher de la musicalité et de l’opulence du texte de Goethe. Les échanges entre le Docteur et le démon qui chuchote à son oreille sont poussées dans une zone d’étrangeté par les intentions joueuses de Vincent Pacaud et Hameza Elomari.
Ce début de Faust interroge, parodiant presque ses deux totems de protagonistes en duo de dandys dérisoires. On comprend mieux le revers de la farce lorsque l’un des comédiens s’interrompt afin de nous guider jusque dans une grande boîte plantée sur le côté de la scène afin d’assister à l’autre drame, celui de Jelinek. Un espace que la scénographe, Jeanne Daniel-Nguyen, a fait le plus froid possible. Des néons blancs éclairent des murs gris, deux fois huit chaises distribuent le public en bi-frontal. Au dessus des deux rangées, au mur, des télévisions diffusent des images du Faust en cours à l’extérieur, dont on ne distingue que peu de choses. À l’intérieur, deux personnages, Esprit.esse et Faust.ine dans le texte (mais leurs prénoms ne sont pas énoncés), et plusieurs monologues enchevêtrés.
Drame parasite
« Je voudrais proposer pour l’industrie théâtrale une nouvelle idée commerciale, toute une gamme déclinable de drames secondaires qui suivraient les classiques en aboyant », ironise Jelinek dans une note accompagnant cette pièce pensée autour de l’Urfaust. Fidèle au projet de la dramaturge, Ivan Márquez greffe FaustIn and Out à la pièce de Goethe comme une excroissance, une tumeur qui ronge la tragédie originale de l’intérieur et en aggrave le diagnostic moral. Tout se joue dans ce découpage entre dedans et dehors, entre la zone cloîtrée de l’intimité tue et celle de l’extériorité déchaînée. À travers nos casques audio d’où chuchotent les comédiens, on entend des bribes du spectacle qui se joue à l’extérieur et l’on devine les cris de Marguerite, requalifiée en victime collatérale de la jouissance destructrice dans laquelle Méphistophélès entraîne Faust.
Alternant première et troisième personne, le texte entremêle le récit d’une femme séquestrée dans une cave par son père et celui d’une caissière licenciée pour le vol de puddings invendus. Avec son ironie en trompe-l’œil, une troisième voix, parlant à la troisième personne, fait le lien entre ces récits. La mise en scène de Márquez joue bien sur cette construction polyphonique, qui donne à voir la tragédie vécue par chaque personnage féminin comme un continuum de violence sans âge sur lequel on les retrouve toutes : Marguerite, la caissière, et cet avatar des cas Fritzl et Kampusch.
Promesses
Il serait limité de ne voir dans FaustIn and Out qu’une critique de Goethe par le biais d’une grille de lecture qui, on s’en rend vite compte, ne décèle rien d’autre qu’une distance irréductible entre les deux textes. Son intérêt réside dans une poétique de l’articulation, confiée au metteur en scène comme un problème à résoudre, un assemblage à trouver. Parfait pour ce travail de recherche mené par des élèves à mi-chemin de leur formation. Et en dépit d’un final un peu artificiel, qui court-circuite trop la tension accumulée à l’intérieur de la boîte (mais on imagine l’intérêt inversé pour les spectateurs de Faust), Ivan Márquez parvient à rendre sa pièce captivante, sans faire primer l’expérience sur le texte.
Il faut souligner la grâce, la vigueur et l’intensité toute chuchotée avec lesquelles les jeunes comédiens du TNS donnent vie à cette écriture si particulière, accablante et en même temps si généreuse dans sa forme. Thomas Starchosky, Manon Xardel et Naïsha Randrianasolo sont impressionnants de précision, de sobriété et de sang-froid. Ils nous cueillent dès les premiers mots pour nous guider le long d’un texte fait de boucles, de détours et de citations. C’est un plaisir de voir prendre vie, avec tant d’engagement, le théâtre de Jelinek. Sous cette égide, les élèves du TNS, diplômés en 2023, formulent de passionnantes promesses pour l’avenir.
Samuel Gleyze-Esteban, envoyé spécial à Strasbourg
Faust de Goethe/FaustIn and Out d’Elfriede Jelinek
TNS – Espace Grüber
18 rue Jacques Kablé
67000 Strasbourg
Mise en scène, adaptation et création vidéo Ivan Márquez
Traduction Magali Jourdan et Mathilde Sobottke
Dramaturgie et adaptation Alexandre Ben Mrad
Scénographie Jeanne Daniel-Nguyen
Lumière Charlotte Moussié
Costumes Valentine Lê
Création sonore Loïc Waridel
Régie générale Arthur Mandô
Conseil en littérature germanique Gregory Aschenbroich
Avec Vincent Pacaud, Hameza Elomari, Charlotte Issaly, Naïsha Randrianasolo, Thomas Stachorsky
Crédit photos © Jean-Louis Fernandez