À Montpellier, à côté des géants, McBurney et Lacascade, des artistes primés, de jeunes metteuses en scène et autrices font la part belle à l’art vivant, questionnent le monde autrement et donnent vie à des formes hybrides singulières.
Quel plaisir de retrouver le domaine d’O, son ambiance, sa convivialité. Comme chaque année fin mai, début juin, à l’ombre du théâtre écoresponsable Jean-Claude Carrière, conçu par le cabinet d’architectes montpelliérain A+, les 3 hectares de pinède, point de ralliement du Printemps des Comédiens, se mue en lieu de vie, de partage, d’échange. Artistes et public se mélangent avec naturel. Tout est simple, humain, à l’image de Jean Varela, directeur du festival. Quittons un temps la douce fraîcheur du lieu pour aller à la rencontre des autres lieux partenaires, Le Kiasma, le Hangar, la Vignette, etc.
Transe immobile
Au cœur du quartier Boutonnet, le théâtre du Hangar, établissement culturel mis à la disposition des compagnies de théâtre locales et principalement de l’École Nationale Supérieure d’Art Dramatique (ENSAD), accueille la détonante Marina Otero. Après avoir séduit le monde entier avec l’excellent Fuck me, l’artiste argentine, installée depuis peu à Madrid, propose en miroir, Love me, performance hybride et radicale. Leggin jaune, veste grise, trop grande, Chevelure rousse flamboyante, lentement, elle s’installe sur un tabouret face public. Les yeux dans le vague, vers un ailleurs lointain, jamais elle ne regarde la salle. Elle se tient là, immobile, dans un silence assourdissant. Le temps dure, infini. Ses pensées, ses réflexions, les paroles qu’elle ne dit pas, s’affichent blanc sur noir derrière elle. Les mots défilent, racontent sa vie, ses histoires d’amour, de cul, son corps abimé, blessé, sa rééducation, la violence tapie au cœur de son être, prête à surgir avec fureur, rage. Confessions intimes, réalités, fantasmes, mensonges, Marina Otero brouille les pistes, s’amuse, vampirise les spectateurs. Sans rien faire, elle habite l’espace, le taille en pièces, le fait à son image. Offrant son corps après son âme, elle se laisse emporter par les rythmes d’une musique endiablée, entre en transe libérant le monstre sensuel, charnel, brutal qui sommeille au plus profond d’elle. Un moment suspendu, une claque, un concentré de sensation forte !
Fantômes nocturnes
Un peu plus tard, dans le même lieu, Marie Vauzelle et les comédiens du collectif Moebius invitent à une plongée abyssale, sépulcrale au cœur de la Nuit. Partant à la rencontre d’ombres crépusculaires, de spectres de son passé, Jean, jeune homme en perdition, vit sa dernière soirée, ses derniers moments sur terre dans un entre deux conjuguant passé, présent et futur. Symptomatique d’une époque, le récit se fait écho d’une jeunesse dorée, désœuvrée. Expérimentale plus que théâtrale, performative plus que dramaturgique, l’œuvre se perd dans les méandres embrumés de drogues, d’alcool, se raccroche tant bien que mal au fil tenu d’une histoire à la trame par trop succincte. Interprétations inégales, temps morts, texte un brin confus, ne permettent malheureusement pas aux effets ingénieux de mise en scène, aux nappes sonores, aux jeux ciselés d’ombres et de lumières de donner du souffle à l’ensemble. La Nuit finit par tout emporter, loin dans l’obscurité. L’essai n’est pas réussi mais il laisse présager en creux des avenirs plus prometteurs.
La commedia dell’arte
Un peu plus loin, Théâtre de la Vignette, situé au cœur de l’Université Paul-Valery Montpellier 3, l’explosifLéonaro Manzan et Rocco Placidi jouent avec les symboliques du théâtre, les nerfs et les zygomatiques de spectateurs. Invités par la Biennale de Venise à écrire un spectacle autour de la censure, ils s’en donnent à cœur joie et signent une œuvre hybride potache, drôle, outrancière, bien qu’un brin prétentieuse. Placé face à un quatrième mur parfaitement tangible, bien réel, le public est embarqué dans une comédie débridée sans acteur, mais avec beaucoup de trous. S’amusant de la proche sémantique entre Glory hole et Glory wall, nous deux italiens questionnent la censure, l’autocensure et la capacité des artistes contemporains à créer, réinventer le théâtre. Ils font des merveilles de jeux de mots – pas toujours heureux – , réveillent les morts, les libertins, les scandaleux, flirtent gentiment avec un subversif qui n’en est pas. En somme, Un cabotinage léger, facétieux, irrévérencieux, parfois un peu lourdingue. Rien de bien méchant, un moment décalé, un peu creux, entre humour, inventivité et vanité !
Dans les coulisses bien proprettes d’un strip club
Enfin, au Kiasma, à Castelnau-le-Lez, avant de monter à la capitale pour Paris l’été du 20 au 22 juillet 2022, Julie Benegmos et Marion Coutarel convient un public venu en nombre à traverser le miroir, à visiter les loges d’un strip club Parisien. En quête d’heures pour valider son intermittence, Julie Benegmos répond à une annonce et se retrouve du jour au lendemain effeuilleuse. De cette expérience unique, elle en tire, avec sa comparse, Marion Coutarel, un spectacle documentaire qui entrecroise récits, témoignages et gentils numéros de strip. Tout est lissé. Rien ne dépasse. Et c’est malheureusement dans leur intention louable de sortir le striptease du placard, d’en décoller l’image sulfureuse, poisseuse et glauque qui lui colle à la peau, que la performance perd de son intérêt, de sa substance. Oui, la pratique, le jeu ne mérite pas l’opprobre que nos sociétés aseptisées et moralistes lui donnent, obligeant clients et artistes à se cacher, mais il est difficile d’en occulter le versant moins glamour des clubs où les numéros s’enchaînent avec frénésie, où les filles sont considérées des marchandises, des produits. Bien sûr, les deux comédiennes n’éludent pas le côté sombre, l’évoquent en quelques mots. Cela ne suffit pas à donner une vraie vision de ce milieu sexué de la nuit. Le concept immersif est ingénieux, les paroles des femmes ex-stripteaseuses permettent de voir au-delà de l’ombre, d’entrer dans la lumière des salons individuels. On ressort toutefois sur sa faim avec l’impression étrange de l’inachevé, d’un manque. Dommage !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Montpellier
Printemps des Comédiens
Domaine d’O
34000 Montpellier
Jusqu’au 25 juin 2022
Love me de Marina Otero et Martín Flores Cárdenas
Avec Marina Otero
Texte et mise en scène de Marina Otero et Martín Flores Cárdenas
Traduction de Fanny Ribes
Création lumière : Matías Sendón
Illustrations de Martín Flores Cárdenas
Photographie de Cecilia Martínez Gandolfo
Nuit de Marie Vauzelle
Avec les acteurs du collectif Moebius, Charlotte Daquet, Clélia David, Christophe Gaultier, Sophie Lequenne, Jonathan Moussalli, Frédéric Roudier, Marie Vires, Hélène de Bissy et une enfant
Assistanat à la mise en scène – Louise Arcangioli et Lison Rault
création vidéo de Raphaël Dupont et Camille Sanchez
Création sonore de Josef Amerveil
Création lumières et scénographie de Claire Eloy
Glory Wall de Leonardo Manzan & Rocco Placidi
Avec Paola Giannini, Giulia Mancini, Alessandro Bay Rossi, Leonardo Manzan, Rocco Placidi et Eleonora Pace
Scénographie de Giuseppe Stellato
Régie de Leonardo Manzan
Lumières de Paride Donatelli
Son de Filippo Lilli
Strip : au risque d’aimer ça de et avec Julie Benegmos et Marion Coutarel
Scénographie et costumes d’Aneymone Wilhelm
Création lumière de Maurice Fouilhé
Création son d’Alban Legoff
Régie générale – Eva Mona-Espinosa
Regards extérieurs – Nicolas Heredia et Maxime Arnould
Crédit photos © Nora Lezano, © Christophe Gaultier, © Andrea Avezzù, © Marie Chauzade