Après deux ans empêchés, la culture cherche de nouvelles manières de réinvestir le quotidien des Français. Fort de ce constat, Édouard Chapot et Mathieu Touzé, les deux codirecteurs du Théâtre 14, ont imaginé Re.GÉNÉRATION, un festival d’un nouveau genre qui propose jusqu’au 23 juin, de découvrir 25 projets artistiques hybrides dans 14 lieux du 14ème arrondissement.
Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de créer un nouveau festival ?
Édouard Chapot et Mathieu Touzé : Le projet du Théâtre 14 comporte depuis le début l’envie de s’interroger sur les formes. A la suite de la crise du covid et des nouvelles habitudes prises par les spectateurs, nous avons eu envie d’un nouvel espace de programmation qui nous permettrait d’accueillir des formes qui ne rentraient dans aucune case et de se redonner le goût du risque, de la recherche, de l’expérimentation. Nous avions envie de nourrir notre regard sur le Théâtre et de proposer cette expérience aux spectateurs et aussi de faire la fête. le festival est une bonne excuse.
Ce festival Re.Génération permet de reprendre goût aux risques artistiques, de vivre des expériences singulières et nouvelles comme de découvrir le travail des astronautes dans le bunker du Musée de la Libération de Paris ou de suivre un artiste de cirque dans l’hôpital Saint-Anne. En programmant de petites formes alternatives, un peu bizarres, en allant dans des endroits insolites à la rencontre du public, où tout est libre même les prix, nous cherchons à interroger notre métier et notre vision du Théâtre.
Quel est son ADN ?
Édouard Chapot et Mathieu Touzé : Le festival est une célébration de l’hybridation, de la différence, de l’altérité. Ces trois concepts sont fondamentaux pour faire émerger de nouvelles formes esthétiques et artistiques. Nous ne croyons pas beaucoup à la révélation artistique ou à l’artistique qui s’autonourrit. Peut-être qu’après cette première année de programmation, nous avons l’impression d’avoir tout donné et nous avons eu besoin d’un espace de recherche pour ne pas s’enfermer, alors nous ouvrons grand les espaces.
Autant qu’il était important de redonner le goût du risque aux spectateurs, il est fondamental de redonner le goût du risque aux artistes. L’ADN de ce festival Re.Génération est sa liberté (au maximum des moyens évidemment) et la rencontre avec le public, avec les artistes, entre les arts. L’objectif est aussi de ressusciter le désir, de retrouver l’inspiration, de questionner le théâtre, et la relation des artistes et des publics à la création.
Nous avons choisi de créer un temps fort d’un mois dans des lieux non dédiés afin de permettre une immersion douce et nonchalante dans l’art. L’idée est que le public soit en contact avec les œuvres de manière presque indirecte.
Comment avez-vous fait votre programmation ?
Édouard Chapot et Mathieu Touzé : Nous nous sommes intéressés à des formes qui questionnaient notre vision du Théâtre. Nous nous sommes ,pour cela ,tournés vers des formes et des artistes venus d’autres disciplines comme les arts plastiques avec des artistes comme Olivier de Sagazan, Justine Emard, Mehdi-Georges Lahlou ou Diane Arques, comme la littérature avec le Bal littéraire de Fabrice Melquiot qu’on ne présente plus mais aussi avec de jeunes poètes qui s’autoperforment comme l’auteur haïtien Jean d’Amérique ou Simon Johannin et des auteurs plus aguerris comme Eric Reinhardt, comme la danse avec le fantastique Dialogue avec Shams ou Olivier Dubois. Nous sommes aussi allés chercher des artistes qui questionnent le spectateur avec des spectacles immersifs en réalité virtuelle ou qui font jouer les paysages,
Et l’hybridité devait se conjuguer avec la fête. Pareillement au théâtre qui nous a été retiré pendant le covid, la fête nous a été enlevée. Les spectacles programmés donnent l’envie de se rassembler à nouveau et de faire la fête à la suite. Il y aura des DJs un peu partout à la suite des spectacles autour de Melquiot dans une chapelle par exemple, sur le toit de l’oratoire (ex Grands-Voisins) pour faire la fête dans l’installation de Mathilde Delahaye, dans une piscine pour une Pool Party pour clôturer le festival le 23 Juin.
Vous avez fait le choix de faire vivre des lieux non destinés à l’art vivant ?
Édouard Chapot et Mathieu Touzé : Re.Génération est une tentative d’immersion dans l’Art. Notre envie est de remplir la ville d’œuvres et d’expériences artistiques. Nous souhaitions que les arts dialoguent entre eux, nous avons trouvé pertinent d’associer l’architecture à cette réflexion.
Nous travaillons aussi depuis le début sur la question des seuils. Même si nous adorons et défendons le principe de la salle de Théâtre et nous avons voulu que la salle du Théâtre 14 soit la plus agréable possible, nous savons que l’idée de passer l’entrée d’un théâtre n’est pas nécessairement spontanée. Nous aimons aller à la rencontre des autres, leur faire découvrir notre travail et notre passion et parfois permettre aux gens qui ne vont pas au théâtre de ressentir une émotion nouvelle. Sortir du Théâtre permet de faire de nouvelles rencontres, et rien n’interdit de faire le match retour à domicile.
A-t-il vocation à perdurer dans le temps ?
Édouard Chapot et Mathieu Touzé : Aujourd’hui nous ressentons cet espace de travail et de recherche comme nécessaire. Nous en avons besoin en tant que public, en tant qu’artistes, en tant que professionnels. Tant que ce sentiment perdurera et que nous parviendrons à « joindre les deux bouts » et que les artistes viendront nous voir avec des projets aussi improbables que nécessaires, nous continuerons. Les artistes ont besoin d’espaces de diffusion d’œuvres inclassables aux formats singuliers, et ces espaces n’existent pas beaucoup à Paris. Et toutes les excuses pour aller à la rencontre des publics sont bonnes à prendre.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Festival Re.Génération
Théâtre 14
14 avenue Marc Sangnier
75014 Paris
Jusqu’au 23 juin 2022
Crédit photos © Diane Arques, © Justine Emard, © DR