Au CentQuatre, après de multiples reports, le duo Chaignaud-Laisné présente enfin Romances inciertos, un autre Orlando, petit bijou d’un baroque résolument contemporain. Conjuguant danse, chant et musique, les deux artistes imaginent une œuvre « queer » hyper-référencée, qui transcende le genre à travers des figures populaires du folklore espagnol.
Les spectateurs sont venus en nombre au CentQuatre. Il faut dire que depuis son passage au festival d’Avignon en 2018, l’œuvre très « queer » de François Chaignaud et de Nino Laisné a certes beaucoup été jouée, mais a aussi été victime de la pandémie et d’un certain nombre de reports. C’est donc avec un bel enthousiasme que le public parisien s’engouffre salle 400. A peine le temps de s’installer, que le noir se fait. En quelques minutes, les bruits de la ville se font lointains laissant place à des rêves d’Espagne.
Des musiques d’antan au goût du jour
Installés en cercle autour de la scène, quatre musiciens, armés pour la plupart d’instruments d’un autre temps – théorbe, Bandonéon, viole de Gambe et percussions – redonnent vie à des mélodies, des chants traditionnels et populaires venus tout droit de la péninsule ibérique et composés aux XVIe et XVIIe siècles. Sortis de leur torpeur par le talentueux Nino Laisné, les morceaux, conjuguant baroque et art sacré, invitent à un voyage à travers, le temps et l’espace.
La métamorphose du genre
Dans cette ambiance rappelant autant la fin d’un moyen âge éclairé que le début d’une renaissance rêvée, une sorte de Don quichotte apparait derrière d’immenses tentures à la gloire d’une nature fleurissante où flore et faune s’épanouissent loin des hommes. S’emparant de la figure légendaire de le Doncella Guerrera, une jeune femme partie à la guerre, déguisée en homme, puis de celle solaire de San Miguel terrassant le dragon, pour enfin se glisser dans la peau d’une gitane de cinéma, François Chaignaud joue avec les frontières du genre, les rend floues, fluides. Gestes précis, jambes tendues, bras décrivant de magnifiques arabesques, le danseur-chanteur habite le plateau et se laisse « pénétrer » comme il aime à le répéter à l’envi par les musiques, les cultures, les danses, qui servent de matière première à son écriture chorégraphique.
artiste métis
Ne faisant qu’un avec les différentes grammaires, allant du boléro à la tarentelle, en passant par le Flamenco, la Jota ou la danse classique, il donne vie sur scène à cet autre Orlando fantasmé par Virginia Woolf, être de chair, né homme, devenu femme après un long sommeil qui traverse époques, contrées et mondes. Androgyne jusqu’au bout de ses ongles manucurés, l’artiste se jette à corps perdu sur scène, jusqu’à l’épuisement. Cultivant jusque dans la tonalité de sa voix l’ambiguïté sexuelle, il embarque les spectateurs vers de nouveaux horizons, de nouvelles « Cythère ». Charnel, sensuel, virevoltant, extatique, François Chaignaud donne vie au son réinventé par Nino Laisné et, le temps d’une pièce en trois actes, propose une balade eu cœur des plaines ensoleillées d’une Espagne haute en couleur, débridée, impétueuse.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Romances inciertos, un autre Orlando de François Chaignaud et Nino Laisné
CentQuatre
5 rue Curial
75019 Paris
Jusqu’au 14 avril 2022
Durée 1h10 environ
Conception, mise en scène et direction musicale de Nino Laisné
Conception et chorégraphie de François Chaignaud
Danse et chant de François Chaignaud
Bandonéon – Jean-Baptiste Henry
Violes de gambe – François Joubert-Caillet
Théorbe et guitare baroque – Daniel Zapico
Percussions historiques et traditionnelles – Pere Olivé
Création lumière et régie générale – Anthony Merlaud, Léo Fauche
Régisseur son – Charles-Alexandre Englebert
Habilleuse en tournée – Cara Ben Assayag
Création costumes – Carmen Anaya, Kevin Auger, Séverine Besson, María Ángel Buesa Pueyo, Caroline Dumoutiers, Pedro García, Carmen Granell, Manuel Guzmán, Isabel López, María Martinez, Tania Morillo Fernández, Helena Petit, Elena Santiago
Chef peintre – Marie Maresca
Peintre – Fanny Gaudreau
Retouches images – Remy Moulin, Marie B. Schneider
Construction – Christophe Charamond, Emanuel Coelho
Crédit photos © Nino Laisné
