Dans le cadre du dispositif de décentralisation de la scène conventionnée de Nevers Côté Jardins, Sylvère Lamotte présente dans un certain nombre de villes du département de la Nièvre sa dernière création, Tout ce fracas. Explorant les limites du corps, le chorégraphe grenoblois signe une œuvre délicate et charnelle autour du handicap, portée par un épatant quatuor d’artistes.
À quelques kilomètres de la Maison, immense paquebot de verre, de fer et de béton trônant en bord de Loire, en contrebas de la ville de Nevers, dans la salle des fêtes de Decize, les premiers spectateurs attentent sur le parvis. Dans quelques minutes, Carla Diego, Caroline Jaubert, Magali Saby et Stracho Temelkovski vont monter sur scène. Dans les loges, Les trois danseuses s’échauffent, se préparent, se coiffent l’une l’autre. Sur le plateau réaménagé, le musicien d’origine macédonienne, dont le premier album solo The Sound Braka est sorti en 2020, peaufine les derniers détails techniques.
La danse dans la peau
Fond de scène, deux danseuses sont installées sur un cube gris. Sans se soucier du public qui entre, telles des amies de longues dates, elles papotent, échangent quelques regards complices. À leur côté, le multi-instrumentaliste accorde une de ses guitares. Les premières notes de I’m so excited des Pointer Sisters résonnent. Sortie de nulle part, la dernière interprète se jette à corps perdu sur scène. Elle saute, virevolte comme si le rythme post-disco et soul du standard américain des années 1980 coulait dans ses veines, traversait ses membres. Elle prend entièrement possession du plateau, avant d’emporter avec elle les autres artistes. Folle farandole, transe exutoire, ce prologue pop gomme les différences, efface les tracas du quotidien, fait sauter les barrières de la pudeur, du handicap.
Au-delà des entraves du corps
Imperceptiblement, les sons baroques, arabo-andalous de Stratcho Temelkovski remplacent les nappes acidulées. Les corps s’enchevêtrent, se mélangent, se portent l’un l’autre. Avec une tendresse quasi charnelle, une complicité troublante, une main caressante vient soutenir une tête, un bras, un buste. Une jambe s’enroule sur une autre. On se prend à rêver. Les barrières, les traumatismes et les entraves ont fait longs feux. Il n’est plus question de maladies, de membres recroquevillés, d’équilibres précaires, mais tout simplement d’humanité, de bienveillance, d’égalité et de sororité.
Réhabiliter le mouvement
S’immergeant en milieu hospitalier de 2012 à 2019, Sylvère Lamotte s’imprègne des récits des corps et des patients. Il s’en nourrit sans pathos, ni voyeurisme, mais bien pour rendre compte d’un état, d’un dépassement de soi. Entravant les mouvements de ses interprètes, il esquisse un spectacle rare, profondément touchant où le handicap, qu’il soit visible ou non, disparait pour laisser place à la danse. Rampant au sol, tournoyant, se tenant bras dessous, bras dessus, elles insufflent la vie au plateau. Visages crispés par moment, très vite éclairés par des sourires radieux, la ténébreuse Carla Diego, l’irradiante Caroline Jaubert et la lumineuse Magali Saby font de leur histoire, mais aussi de celles des patients rencontrés en service hospitalier, une fête des corps, une ode à la tolérance.
Fragile par essence, Tout ce Fracas est une œuvre émouvante, toute en tension, en retenue, en vulnérabilité qui fait du bien à l’âme. Bougeant les lignes, les préjugés elle fait du handicap, un non sujet. Et ça fait un bien fou !
Olivier fregaville-Gratian d’Amore – envoyé spécial à Decize
Tout ce fracas de Sylvère Lamotte – Cie Lamento
Côté Jardins
La Maison de Nevers
2 Bd Pierre de Coubertin
58000 Nevers
Durée 1h10 environ
Tournée
Le 8 décembre 2022 à l’EVE Scène Universitaire au Mans
Le 07 février 2023 à Paris dans le cadre du Festival Faits d’Hiver / Micadanses
Le 18 mars 2023 à Étampes dans le cadre du Festival Essonne Danse
Conception et chorégraphie de Sylvère Lamotte assisté de Jérèmy Kouyoumdjian
Regard extérieur de Brigitte Livenais
Avec Carla Diego, Caroline Jaubert, Magali Saby et un musicien Stracho Temelkovski
Composition musicale de Stracho Temelkovski
Création lumières de Laurent schneegans
Costumes de Charlotte Jaubert
Crédit photos © Alexis Komenda