À Naples, dans le magnifique théâtre Mercadante, Jean Bellorini s’attaque pour la première fois de sa carrière à l’œuvre de Molière et signe un Tartuffe « delizioso ». Avec sensibilité et justesse, il fait du faux dévot, non une âme noire, mais plutôt une sorte de Dom Camillo opportuniste, un être de comédie à mourir de rire.
Le soleil est à son zénith. Autour du théâtre à l’italienne, Naples bruit des sons de klaxons, des voix des napolitaines à l’accent chantant, des timbres graves des « ragazzi » au verbe haut. Fourmillante et animée, la perle de la Campanie semble vivre 24 heures sur 24. Rien ne semble arrêter le flux des voitures, des passants, qui traversent à l’arrache, vont d’un trottoir à un autre, d’un quartier à un autre. De la chapelle San Severo où git un sublime christ voilé au magnifique cloître de Santa Chiara en passant par la coupole du Duomo et des œuvres pompéiennes conservées au Musée d’Archéologie, il y a de quoi faire. Touristes et autochtones se croisent, s’entremêlent, se sourient parfois dans les rues étroites du quartier historique.
Un Tartuffe moliéresque
À deux pas de l’imposante muraille du Castel Nuovo qui domine le port, les spectateurs se pressent devant la belle façade refaite en 1893 par Pietro Pulli du Teatro Mercadante. Ce soir, c’est la première du Tartufo mis en scène par Jean Bellorini. Lancé alors qu’il était encore directeur du Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis, le projet voit enfin le jour en ce beau mois d’avril. S’appuyant sur la traduction volubile et mélodieuse du regretté Carlo Repetti, et sur la troupe du Théâtre national de Naples, il reprend la veine comique de l’œuvre originelle et fait du faux dévot, le plus célèbre de la littérature française, un personnage de fable, un homme de bonne chair, qui finit pris au piège de ses tentations.
L’Italie comme décor
S’imprégnant des mœurs, des coutumes napolitaines, Jean Bellorini invite à entrer chez Orgon par la petite porte. C’est dans la cuisine que l’action se déroule. Attablés, Elmire (lumineuse Teresa Saponangelo), la jeune épousée du maître de maison, son frère Cléante, ses beaux enfants, Mariane et Damis, l’impertinente Dorine, se font vertement sermonner par la prude Madame Pernelle (épatante Betti Pedrazzi), mère de monsieur. Totalement sous le charme de Tartuffe (détonnant Federico Vanni), sorte de Dom Camillo dont s’est entiché son fils, elle essaie de ramener un peu de poids dans les folles cervelles de tout ce petit monde, qui rêve de légèreté, de fête. De diatribes en remontrances, de moqueries en persiflages, les mots s’envolent, tourbillonnent et entraînent le public au cœur même d’une famille italienne dans ce qu’elle a de plus pétulant, de plus tonitruant, de plus baroque.
Petits effets pour grands éclats de rire
En cette année particulière qui célèbre le 400e anniversaire de la naissance de Molière, cette énième version de Tartuffe, de la saison est certainement la plus réussie, la plus fidèle à l’œuvre du dramaturge. Sans tenter d’en réinventer les contours, de la relire à travers le prisme d’autres auteurs, Jean Bellorini s’attache à en donner une version certes moderne mais profondément comique. Jouant sur quelques gimmicks – les petites avancées de Madame Pernelle en fauteuil roulant, le jeu de séduction pédestre de Tartuffe et Elmire, le Jésus vivant surplombant de son regard goguenard la scène, les musiques pop qui ponctuent chaque acte, etc. – il insuffle au texte humour et bel esprit. Rien n’est laissé au hasard, tout – particulièrement les lumières que le metteur en scène cisèle comme toujours avec ingéniosité et le sens du plateau – est pensé pour faire de la pièce une œuvre sarcastique autant que légère.
Une troupe cinq étoiles
Porté par une troupe de comédiens particulièrement virtuoses – Federico Vanni, Gigio Alberti, Teresa Saponangelo, Betti Pedrazzi, Ruggero Dondi, Daria D’Antonio, Angela De Matteo, Francesca De Nicolais, Luca Iervolino, Giampiero Schiano et Jules Garreau -, Il Tartufo fait feux de tout bois en revenant aux sources même de la comédie. Un petit bijou de drôlerie à déguster sans modération dans les prochains mois au TNP puis à Nanterre-Amandiers !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Naples
Il Tartufo de Molière
Théâtre National de Strasbourg
1 avenue. de la Marseillaise
67000 Strasbourg
Du 12 au 16 décembre 2023.
Du mardi au vendredi à 20h, samedi 16h.
Teatro di Napoli – Teatro Nazionale
Teatro Mercadante
Piazza Municipio
80133 Napoli
Jusqu’au 1er mai 2022
Durée 2h00 environ
Tournée
Du 12 au 15 Mai 2022 au TNP
du 20 au 27 mai 2022 au Théâtre de Nanterre-Amandiers
Traduction en italien Carlo Repetti
mise en scène Jean Bellorini
avec le Teatro di Napoli – Teatro Nazionale
avec la troupe du Teatro di Napoli – Teatro Nazionale Federico Vanni, Gigio Alberti, Teresa Saponangelo, Betti Pedrazzi, Ruggero Dondi, Daria D’Antonio, Angela De Matteo, Francesca De Nicolais, Luca Iervolino, Giampiero Schiano et Jules Garreau
collaboration artistique Mathieu Coblentz
costumes de Macha Makeïeff assistée d’Anna Verde
assistant à la scénographie – Francesco Esposito
surtitres Cécile Marroco
Crédit photos © Sonia Bergamasco