En cette après-midi ensoleillée du week-end de Pâques, une troupe d’irréductibles spectateurs attend devant le Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis. Lycéens, aficionados du spectacle vivant ou curieux, tous sont venus découvrir la dernière création de l’extraordinaire conteur qu’est Lionel Gonzàlez, co-fondateur de la Compagnie Le Balagan’. Avec la complicité de Jeanne Candel et de Thibault Pierrard, chaque jour il donne vie au monologue d’un homme confronté au suicide de son épouse tant aimée.
De la Russie du XIXe siècle à nos jours
Traversant les époques, les siècles, les frontières, Lionel Gonzalèz se glisse dans la peau de cet ancien militaire démissionnaire de l’armée, qui n’a eu d’autres choix pour survivre que de devenir préteur sur gages, c’est-à-dire un moins que rien. Dévasté devant le corps inanimé de sa femme, l’homme remonte les fil s du temps et tente de comprendre ce geste désespéré. Entremêlant passé et présent, s’adressant autant à sa conscience qu’au public, témoin privilégié de son désarroi, de sa difficulté à être lucide, il bombe le torse pour se présenter sous son meilleur jour et lâcher la bride à ses pensées jusqu’à réaliser l’impensable. Serait-il à son corps défendant le seul et unique responsable du drame ?
De l’idylle à l’abîme
Beau parleur, hésitant parfois, pour donner plus de poids à son récit, l’homme croque le portrait d’un amour singulier. Il est usurier, elle est gageuse. Lui rêve de quitter la ville qui le regarde d’un mauvais œil, d’acheter une petite datcha en Crimée, de vivre enfin heureux. Orpheline à la charge de tantes qui n’ont que faire de cette bouche de trop à nourrir, elle n’a d’autres choix que d’accepter d’être vendu à un homme violent qui lui fait horreur ou de trouver au plus vite un travail. Troublé par la jeune femme, digne malgré la misère qui lui colle à la peau, l’usurier se voit en sauveur, en lui proposant le mariage. Tout commence comme une idyllique chanson d’amour. Très vite, les premiers accrocs, les premiers mensonges, les premiers reproches, viennent ternir le beau tableau. Plein de bonnes intentions, s’imaginant grand seigneur, il esquisse en creux la descente aux enfers d’une épouse, victime ordinaire de la tyrannie conjugale.
Dostoïevski, plus vrai que nature
De sa belle faconde, de sa présence sensible, Lionel Gonzàlez habite l’œuvre du dramaturge russe, qui s’inspire dans sa forme narrative du dernier jour d’un condamné de Victor Hugo. Refusant la littéralité du récit, il livre une version unique chaque soir. Improvisant, revisitant les grandes lignes, il invite à plonger dans la pensée de l’auteur autant que du personnage. Déroulant le cheminement réflectif d’un homme face à sa monstruosité passive, inconsciente, aidé par la présence fantomatique de Jeanne Candel et les notes justes effleurées par Thibault Perriard, il habite les magnifiques sous-sols du théâtre, leur donne vie. Un moment de théâtre qui donne à la malheureusement banale tragédie des violences conjugales, une puissance, une grâce qui touche au cœur !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
La nuit sera blanche d’après La Douce de Fédor Dostoïevski
Théâtre de L’Aquarium – Bruit, festival théâtre et musique
Cartoucherie – Route du Champs de Manœuvre
75012 Paris.
Du 18 au 27 janvier 2024.
Durée 2h.
Théâtre Gérard Philipe
59, boulevard Jules-Guesde
93 207 Saint-Denis Cedex
Jusqu’au 22 avril 2022.
Direction artistique de Lionel González
Traduction d’André Markowicz
Conception et jeu – Jeanne Candel, Lionel González, Thibault Perriard
Scénographie de Lisa Navarro
Lumière de Fabrice Ollivier
Costumes d’Élisabeth Cerqueira
collaboration artistique – Chloé Giraud