Blanc de Sébastien Wojdan - Galopait cirque © Jean-Claude Leblanc

Spring 2022, un week-end inaugural sous le signe de l’éclectisme

À Cherbourg, après deux années d’interruption suite à la crise sanitaire, le Festival Spring prend son envol, en ce début mars.

À Cherbourg, après deux années d’interruption suite à la crise sanitaire, le Festival Spring prend son envol, en ce début mars. Festive, humaine, dense, construite autour de la thématique « Cirque et objets, objets de cirque », l’édition 2022 affiche pas moins de 16 créations et plus de 60 spectacles, un record qui donne le pouls des nouvelles formes circassiennes. Reportage. 

Le vent souffle sur le port de Cherbourg. Le cliquetis des mats de bateau fait un vacarme d’enfer. Par intermittence, une pluie froide, drue s’invite. C’est un véritable concert de mère nature qui envahit les rues de la cité célèbre pour ses fameux parapluies. Sur les hauteurs de la ville, le rouge des murs de la Brèche, Pôle national des Arts du Cirque de Basse-Normandie / Cherbourg-Octeville se détachent intensément du gris du ciel. Devant, les premiers festivaliers attendent l’ouverture des portes du chapiteau de bois, vestige du cirque du Docteur Paradi, et ainsi débuter leur marathon saturnin. Si le soleil n’est pas au rendez-vous, le public a bravé les éléments et répondu présent. C’est beau de voir une salle se remplir, cela réchauffe les cœurs des artistes, des directeurs de lieu. 

Spiritualité à chair de mots

Cosmos de la Compagnie la Main de l’Homme - Ashtar Muallem - Clément Dazin © Christophe Raynaud de Lage

Un immense tissu aérien blanc fend l’espace scénique. Au sol, sur un tapis laineux, Ashtar Muallem est allongée. De son regard noir, profond, pétillant, elle observe, curieuse les spectateurs qui s’installent. Sa voix chaude mâtinée d’un accent rauque rompt le silence. Palestinienne née à Jérusalem, elle remonte le fil de ses souvenirs d’enfant pour conter son histoire, son rapport à son pays, au corps, à la religion, à la spiritualité. Se contorsionnant avec aisance et grâce, la danseuse et acrobate évoque sa grand-mère tant aimée, les jours de marché, les rues de la cité au carrefour des trois religions monothéistes. Avec humour, elle se fait influenceuse, conseillère de vie, s’amuse des codes sociétaux, de la virtualité des réseaux sociaux. Conseillant, non sans une certaine ironie et avec une belle candeur, aux hommes d’éplucher des oignons pour pleurer et ainsi abandonner les armes, elle déboulonne les piliers du patriarcat, les origines des conflits. Résonnant étrangement avec l’actualité et rappelant que les autres zones de tension qui émaillent la surface de la terre, elle co-signe avec Clément DazinCosmos, un solo puissant où se conjugue ingénieusement légèreté et gravité. Un joli moment hors du temps !

Blanche déprime 

Blanc de Sébastien Wojdan - Galopait cirque © Jean-Claude Leblanc

À peine le temps de déguster une part de kouglof, de boire un café bien chaud, qu’une navette invite à rejoindre le Vox, une des salles du Trident – Scène nationale de Cherbourg-en-Cotentin. Il y a foule pour accueillir Sébastien Wojdan. Dans un décor blanc immaculé, fait de bric et de broc, l’homme arrive en courant. Il vient de faire un footing de 10 kilomètres. Obsédé par son corps, son poids, il invite le public à suivre son rituel post-jogging. Enlevant un à un ses vêtements, se mettant à nu pour se peser, mesurer la taille de son crâne, de son avant-bras, de son pouce, la force de sa voix, il détaille chaque partie de son anatomie. Chaque geste, même le plus anodin, faire un café, déplacer un objet, répond à une logique, un cérémonial nécessaire à son équilibre. Au bord du précipice, en pleine dépression, le circassien au regard clair teinté d’une tristesse insondable se raccroche à des habitudes pour ne pas sombrer. Perte d’un amour, touché par la disparition d’un ami, profondément marqué par le confinement, ce touche-à-tout éprouve les limites de son art, de son corps et tente dans un geste artistique presque désespéré de dompter ses peurs. Se mettant en danger, il livre une partition folle, aliénante qui secoue et ébranle. Méritant d’être un brin resserré, ce récit d’un quotidien abîmé révèle sensiblement les fêlures de l’âme, d’une humanité que les derniers mois ont fragilisé dans ses fondements. Au fil des intentions, Blanc prend la forme d’un journal intime déroutant, troublant ! 

Le casse du siècle 

Play/Replay de The Rat Pack Cie © Zendel

Retour à la Brèche, où The Rat Pack Cie convie les spectateurs à traverser l’écran, à passer dans les coulisses d’un film d’action façon Haute Voltige de Jon Amiel. Avec beaucoup d’ingéniosité et de vitalité les six artistes – Ann-Katrin JornotJoséphine BerryGuillaume Juncar, Andrea CatozziXavier Lavabre et Denis Dulon – prennent un plaisir fou à investir l’espace. S’amusant des codes du genre, ils livrent un show délirant pour petits et grands. De pantomimes en pitreries, de mouvements accélérés en gestes ralentis, ils tissent avec la complicité de Jos Houben, à la mise en scène, un récit plein de rebondissements, de coups de foudre, d’aventures impossibles. Entre les Monty-Pythons et les pieds-nickelés, Play/Replay conclue la journée en un feu d’artifice qui n’a rien d’exceptionnel mais qui fait du bien, réchauffe les cœurs et les zygomatiques. Ce n’est pas si mal en cette période bien sombre. 

Un festival régional 

Jusqu’au 10 avril 2022, dans une soixantaine de lieux du territoire normand, Spring continue sa route et propose d’aller à la rencontre d’artistes incroyables, comme Inbal Ben HaimVimala PonsMarroussia Diaz VerbèkeYan RaballandNathan Roussel ou Olivier Le Tellier. Il y en a pour tous les publics, une jolie manière de rappeler ô combien le cirque est vivant, riche d’une créativité toujours renouvelée ! 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Cherbourg

Affiche Spring

Festival Spring – Édition 2022
La Brèche – Pôle national des Arts du Cirque de Basse-Normandie / Cherbourg-Octeville
Du 3 mars au 10 avril 2022 

Cosmos de la Compagnie la Main de l’Homme
Co-écriture et jeu d’Ashtar Muallem
Co-écriture et mise e scène de Clément Dazin
Création sonore de Grégory Adoir
Création lumière et régie de Tony Guérin 
Costumes de Fanny Veran

Blanc de Galapiat Cirque 
Création et interprétation de Sébastien Wojdan
Regards extérieurs sur la création –  Félicien Graugnard, Federico Robledo, Bauke Lievens
Construction de Sébastien Wojdan, Franck Beaumard, Lucile Bouju
Musique, son, lumière, projection et accessoires – Franck Beaumard et Lucile Bouju
Création visuelle de Lucile Bouju
En tournée à Saint-Barthélemy-d’Anjou (Maine-et-Loire), le 26 avril, et à Segré-en-Anjou (Maine-et-Loire), le 28 avril.

Play/Replay de The Rat Pack Cie
Création et interprétation d’Ann-Katrin Jornot, Joséphine Berry, Guillaume Juncar, Andrea Catozzi, Xavier Lavabre, Denis Dulon
Mise en scène de Jos Houben et The Rat Pack Cie
Création lumière :d’Elsa Revol, Cécile Hérault
Scénographie de Claire Jouë Pastré 
Costumes :dePierre-Yves Loup – Forest
Création musicale de Supa-Jay (BOLD, Scratch Bandits Crew)

Crédit photos © Jean-Claude Lebanc, © Christophe Raynaud de Lage et © Zendel

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Contact Form Powered By : XYZScripts.com