Depuis cinq ans, le MAIF Social Club accueille des expositions semestrielles mettant à l’honneur des créateurs contemporains du monde entier. Pensée par Jeanne Mercier, Prendre la tangente interroge les voyages, la façon dont ils sont pratiqués aujourd’hui et les problématiques qui s’y lient à travers les œuvres d’onze artistes internationaux.
Niché au fond d’une cour du IIIe arrondissement, le MAIF Social Club accueille deux fois par an une exposition gratuite en lien avec une thématique semestrielle. Accrochée jusqu’au 23 juillet, Prendre la tangente s’intéresse au voyage, ses enjeux et ses mutations contemporaines. À l’heure des grandes alertes climatiques, et a fortiori depuis que la pandémie a gelé les flux de voyageurs à l’international, les modalités de l’exploration touristique sont remises en cause avec une urgence grandissante. En proche ou en lointain, les œuvres exposées ici questionnent les voyages et leurs implications, par des voies souvent politiques et poétiques.
Voyager, aujourd’hui et demain
Dans un petit bureau couvert de photographies d’expéditions polaires, orné d’un drapeau mélangeant les couleurs du monde entier, Lucy et Jorge Orta invitent à rejoindre la communauté des Citoyens antarctiques internationaux, dans un projet situé au croisement de l’art et de l’humanitaire. En face, l’obsessionnel Monde nomade #1 de Marco Godinho se joue du temps qui passe avec une carte du monde découpée en 60 rouleaux qui se déploient tout au long de la journée. Kathleen Vance figure le voyage par une synecdoque, avec des paysages en résine contenus à l’intérieur de valises vintage. Plus loin, Laurent Perbos revendique l’héritage de Jeff Koons dans une sculpture composée de bouées gonflables détournées desquelles jaillit l’hédonisme consumériste d’une station balnéaire. Ceux qui le souhaiteront prendront la pose dans l’installation Arnakech Project de Laila Hida, un studio photo kitsch et orientalisant, critique amusée d’un tourisme marocain en toc.
Au fil du parcours, l’exposition se tourne vers des formes plus futuristes. La salle principale affiche en grand la série des Photo opportunities de Corinne Vionnet. Des monuments à la silhouette reconnaissable en un clin d’œil — la pyramide de Gizeh, le Taj Majal, la tour de Pise ou le Mont Saint-Michel — qui se fixent dans un tremblé étrange convoquant, sans le figurer directement, le mouvement frénétique des convois de touristes qui s’amassent chaque jour à leurs pieds. Une sorte de « found photography » composite, surimpression de photographies trouvées sur internet, qui évoque autant les images algorithmiques que le tourisme de masse. À côté, les Vodunauts d’Emo de Medeiros, casques de moto recouverts de cauris, sont les étranges artefacts d’un avenir hallucinatoire, où les arts traditionnels de différentes régions du monde se mêlent à des paysages virtuels en 3D. Au-dessus de nous, un puits de lumière éclaire le vitrail chatoyant et symboliste du plasticien lisboète AkaCorleone, qui dépeint côte à côte le voyage spatial et celui de l’esprit.
Une exposition immersive
Le MAIF Social Club refuse le white cube, et lui préfère des espaces ludiques, visant à rendre l’art plus accessible. La scénographie de Prendre la tangente, conçue par Isabelle Daëron, rappelle les intérieurs d’un paquebot, d’un TGV et d’un avion. Reproduction d’aquarelles pointillistes étirées en longueur évoquant la vitesse des transports, sa série Fenêtre ailleurs ponctue l’exposition de son invitation à l’abstraction. On fera une dernière escale dans le simulateur de vol A.V. Roes de Mounir Ayache, au croisement de l’art et de l’ingénierie geek et de l’esthétique SF orientale. Ultime étape d’un itinéraire qui cristallise, autour d’un même sujet de réflexion, un panorama foisonnant et multiculturel de la création contemporaine.
Samuel Gleyze-Esteban
Prendre la tangente : De nouvelles manières de s’évader
Jusqu’au 23 juillet 2022
MAIF Social Club
37 rue de Turenne
75003 Paris
Crédit photos © Jean-Louis Carli