Au Nouveau Théâtre de Montreuil du 31 mars au 9 avril 2022, Olivier Normand se glisse avec virtuosité dans la vertueuse et manipulatrice robe de la Reine Isabelle de France, femme d’Édouard II d’Angleterre, dans la très belle adaptation « dégenrée » de la pièce de Marlowe, signée Bruno Geslin et Jean-Michel Rabeux. Donnant la réplique à l’épatante Claude Degliame ou évoquant le travail de Derek Jarman dans Chroma, le danseur, chanteur, chorégraphe et comédien à ses heures perdues, fait feu de tout bois. Incandescent, burlesque, détonant ou Drama Queen, il impose un jeu tout en nuances et intensité. Présentant Vaslav, son spectacle cabaret-concert, à l’occasion de la dernière représentation du Feu, la fumée et le soufre, l’artiste n’a pas son pareil pour embarquer le public dans des ailleurs singuliers. Rencontre.
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
La cérémonie des JO’s d’Albertville chorégraphiée par Philippe Decouflé, vue à la télé. Les jours suivants j’essayais de retrouver la marche très particulière des danseurs dans la cour de récréation. Ça ne ressemblait pas à grand-chose, mais j’étais complètement obsédé. En 2007, j’ai rencontré un des danseurs de Decouflé qui a fini par m’apprendre ces pas merveilleusement élastiques que j’avais cherché à décoder dans la cour de récrée 15 ans plus tôt.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
J’ai fait des études de Lettres et d’Histoire de la danse avant de me lancer sur scène. À l’époque, je crois que ça correspondait naïvement au besoin de prendre la tête de vitesse en basculant de la page d’écriture au plateau de théâtre. Dans l’intensité de l’expérience physique de la scène, court-circuiter les mécanismes réflexifs issus de mes études.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être artiste de l’éphémère ?
Cet état de « crise cellulaire » dont parle Mark Tompkins, qui est le propre des expériences de scène.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Une reprise de rôle dans la pièce Tempo 76 de Mathilde Monnier, alors que j’avais très peu d’expérience en danse. Je me souviens m’être dit que si pour une raison qui à l’époque m’était assez mystérieuse, elle me faisait confiance, la moindre des politesses était de n’encombrer personne avec mon sentiment d’illégitimité. J’avais aussi senti que même dans une partition aussi technique et rigoureuse que celle de Tempo 76, on pouvait engager une infinité de nuances, que même dans cet infra-mince là, il y avait un horizon d’interprétation jubilatoire.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Un concert d’Anohni – Antony and the Johnsons – à la Maroquinerie.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Je garde encore l’empreinte très forte de mes collaborations avec Alain Buffard. Mais aussi celles de certains professeurs, Marie Gautheron en histoire de l’art, qui m’a appris à regarder les œuvres ; Mic Guillaumes en danse, qui m’a appris que le mouvement, c’était d‘abord de l’imaginaire ; Martina Catella, merveilleuse prof de chant qui m’a permis de trouver des accès à ma voix, au-delà de la technique lyrique. Je suis aussi très inspiré par mes camarades de la troupe du cabaret Madame Arthur, dont la vaillance et la spontanéité sont une leçon permanente. Et j’ai toujours été proche des costumier-e-s des différents projets dans lesquels je travaille. Il me semble qu’ils/elles ont toujours un point de vue extrêmement pertinent sur ce qu’on essaie de fabriquer sur scène. Hanna Sjödin, qui a créé mon costume pour le tour de chant Vaslav a été une rencontre magnifique.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
À mon déséquilibre plutôt. Si je ne faisais pas ce métier, je serais peut-être parfaitement heureux dans la quiétude d’une vie partagée entre le jardin et la bibliothèque ; d’un lopin, l’autre. Ce métier m’oblige à être avec les autres.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
La danse de Rémy Héritier, le chant de Lorraine Hunt, la vie et l’œuvre de Derek Jarman.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Chaque collaboration avec un metteur en scène ou un chorégraphe est l’occasion de m’avancer à la rencontre de zones de moi-même que je ne connaissais pas et auxquelles je n’aurais pas pu avoir accès sans ce regard, ce désir, ce défi. Ça engage aussi quelque chose d’assez vertical. J’avais un prof de chant qui disait : il faut traverser le narcissisme de la voix pour accéder à quelque chose de beaucoup plus grand : le mystère de la musique. Je pense aussi à Martha Graham : Keep the channel open et Janet Baker, Be sure to keep the glass clean. Ce sont aussi des injonctions mystiques.
À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
À mi-chemin du ventre et du cerveau : le cœur.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Pina Bausch.
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Un jardin composé par Piet Oudolf, aérien, divers, onirique, avec ses cycles de croissance, de déclin, de reverdie. Chez Oudolf les saisons dites mortes n’ont pas moins d’intérêt que les brillantes.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Le Feu, la fumée et le soufre d’après Édouard II de Christopher Marlowe
mise en scène de Bruno Geslin
Création à huis clos le 12 janvier 2021 au ThéâtredelaCité – CDN Toulouse Occitanie en partenariat avec le Théâtre Sorano
Durée 2h45 environ
Reprise
Du 31 mars au 9 avril 2022 au Nouveau Théâtre de Montreuil
Chroma de Derek Jarman
mise en scène de Bruno Geslin
Crédit portrait © Laurent Poleo-Garnier
Crédit photos © Gilles Vidal et © DR
Belle interview