Lancées en 2021 en vis-à-vis de l’incontournable festival automnal des Francophonies, les Zébrures du Printemps ont tenu leur deuxième édition du 14 au 20 mars à Limoges. Le festival fait la part belle aux écritures dramatiques en langue française, avec un intérêt appuyé, cette année, pour des paroles négligées et oubliées.
À Limoges, l’espace Noriac s’agite et rappelle l’effusion du festival automnal. Les Zébrures du printemps se constituent, pour la deuxième année, comme l’autre volet, consacré aux écritures, de ce rendez-vous annuel. Sur un week-end, après une semaine d’événements hors les murs, avec les scolaires notamment, le festival investit ce bâtiment départemental du centre de Limoges, entre sa crypte et sa salle à l’étage. Fidèle au projet global mené par le directeur des Francophonies, l’enthousiaste Hassane Kassi Kouyaté, et Corinne Loisel, à la tête de sa Maison des auteurs, ce festival d’écritures dramatiques fait converger des artistes issus de nombreux pays de la francophonie, du Québec aux Comores, de la Belgique à la Guyane. Auteurs et interprètes se croisent ici durant une semaine consacrée à la découverte de textes pour beaucoup inédits.
Donner une voix aux disparues
Aux côtés de Hope Town de Pascale Renaud-Hébert, prix SACD 2021 de la dramaturgie francophone, en cette journée de clôture a lieu la lecture très attendue d’Opéra poussière, couronné en septembre du prix RFI théâtre et signé Jean d’Amérique, jeune plume bientôt incontournable de la littérature haïtienne. La pièce réanime Sanite Belair, figure méconnue de la résistance haïtienne exécutée au tout début du XIXe siècle. L’héroïne revient littéralement d’entre les morts pour faire face au présent, à sa mémoire commémorative dont les femmes sont exclues et à ses modalités de prise de parole. Belair parvient ainsi jusqu’au Champ de Mars, place centrale de Port-au-Prince, sorte de centre névralgique de la capitale sur laquelle veillent les effigies de quatre héros de la révolution. « Ça sert à quoi d’être une statue ? Ça sert à quoi si tout le monde s’en fout ? », tonne Belair, qui règle ses comptes avec un ordre historique qui lui aura valu double peine : en tant que révolutionnaire et en tant que femme. Dans le texte crépite la flamme lyrique de Jean d’Amérique, poète avant tout. Cette lecture renouvelle notre envie de le redécouvrir sous une forme théâtrale capable d’en épouser l’urgence.
Au texte de Jean d’Amérique fait écho, dans la crypte, la Bibliothèque sonore des femmes. Une installation aussi scénographique que littéraire, signée Julie Gilbert, qui tente elle aussi d’apporter une solution à l’oubli historique des femmes et de leurs subjectivités. Douze textes signés d’autrices contemporaines en vogue, qui réaniment ces personnalités marquantes de la littérature internationale — s’y mêlent Maya Angelou, Françoise Héritier, Sylvia Plath, Alejandra Pizarnik ou Marie-Vieux Chauvet. On écoute ces monologues originaux comme des secrets chuchotés par téléphone depuis l’au-delà, empreints de la subjectivité mêlée des disparues et des écrivaines qui les font revivre.
Action culturelle
Les Francophonies ne sont pas seulement un terrain de création, mais aussi le catalyseur d’une action culturelle constante en faveur de la francophonie. Si le festival bataille pour obtenir les soutiens dont il a besoin pour continuer à vivre et cherche encore où tenir l’intégralité de ses Zébrures d’automne, après la perte de la caserne Marceau qui les hébergeait jusqu’à l’année dernière, il continue à représenter un haut lieu de la culture francophone à l’international. En témoigne le regroupement d’acteurs de la francophonie comme la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon et la Cité internationale des arts de Paris, venus présenter à Limoges un dispositif d’atelier d’écriture en établissements de soin issu de la collaboration entre les trois pôles de création en langue française.
La jeunesse clôture le festival avec une restitution du projet « Un texte pour la Bastide » mené par l’écrivain français Gianni G. Fornet. Au gré d’une immersion, entre 2019 et 2021, au sein de la Bastide, quartier multiculturel du nord de la ville, l’auteur a donné une forme théâtrale au vécu et aux discours de ses habitants. Huit jeunes du quartier prêtent leur voix à ce texte critique, qui pointe du doigt le délitement du lien social caché dans des grands projets de rénovation urbaine. Cette lecture ne s’embarrasse pas de pudibonderies, et si le texte, écrit de concert avec les jeunes, résonne comme le constat d’échec des politiques d’urbanisme, ainsi soit-il : parole aura été faite, engagée et franche, par les jeunes habitants en leur nom propre. Cela grâce aux moyens du théâtre. Et le public se lève pour les applaudir.
Samuel Gleyze-Esteban, envoyé spécial à Limoges
Les Zébrures du Printemps
Du 14 au 20 mars 2021
Espace Noriac
10 rue Jules Noriac
87000 Limoges
Crédit photos © Christophe Péan © Astrid Uzai