Au CDN de Normandie- Vire, le mois Mon frère féminin bat son plein. Initié par Lucie Berelowitsch et Sébastien Juilliard, respectivement directrice et co-directeur du lieu et inauguré par la troublante Estelle Meyer, ce temps fort au cœur du printemps s’inscrit dans une volonté de porter aux plateaux des projets de femmes, d’artistes qui ont à cœur de faire entendre d’autres voix, de montrer d’autres formes. Rencontre plurielle.
Avec Lucie Berelowitsch, vous avez découpé la saison en plusieurs périodes dont chacune est associée à une thématique bien précise. Pourquoi ?
Sébastien Juilliard : Depuis notre arrivée en 2019, nous avons fait le choix de donner des titres aux saisons, Nos origines, Par-delà les barrières et À nous le monde. Dans la même logique, nous avons souhaité découper la programmation annuelle en actes, pour imposer une rythmique, une scansion en fonction des saisons du calendrier. Les titres de ces actes sont puisés dans des poèmes, comme des incursions oniriques, relayés par une image que nous déployons dans le territoire. Cette année, ce sont des poèmes de Rimbaud, de Tsvetaieva et de Mandelstam. Quant à À nous le monde, il vient d’un poème de Maïakovsky. Notre présence au Préau s’inscrit dans un temps déterminé, et nous voulions que chaque saison, chaque acte, raconte une histoire.
Le mois de mars est associé au Frère Féminin. D’où vient cette idée, pourquoi ce nom et qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Sébastien Juilliard : Nous donnons une grande place dans notre projet aux artistes femmes, autrices, metteuses en scène et comédiennes. Nous nous sommes rendus compte en construisant la saison, qu’avec les différents reports et hasards du calendrier, que le mois de mars allait être essentiellement féminin. Nous avons eu envie de marquer cet engagement par la création d’un nouveau temps fort. Mon frère féminin est le titre d’un recueil de Marina Tsvetaieva, d’une rencontre d’amour entre l’autrice et une femme, comédienne. Je trouve ce titre magnifique, de ce qu’il est non excluant, il parle à la fois de la femme et de l’homme.
Quels sont les artistes associés à ce temps fort ?
Sébastien Juilliard : Nous accueillons notamment Tiphaine Raffier, artiste associée au Préau. Elle est invitée plusieurs fois sur la saison, avec La Chanson reboot, que nous avons programmé en décembre, pendant le festival Les Feux de Vire, puis pour le 20 du mois de mars, temps gratuit au bar du Préau, pour des rencontres et propositions artistiques impromptues, suivis d’une dégustation de vin naturel, puis avec La Réponse des Hommes, coproduction du Préau et report de la saison passée.
Nous avons aussi présenté le tour de chant d’Estelle Meyer, Sous ma robe mon cœur, concert – incantation – cérémonie, qui a eu un très grand succès, par sa qualité et sa générosité. Le public virois la retrouvait, car elle était venue jouer dans Plus belle La vire, feuilleton créé la saison passée.
Enfin, nous accueillons dans le cadre de notre partenariat avec SPRING 23 fragments de ces derniers jours, de l’artiste Maroussia Diaz Verbèke, création franco-brésilienne, et la compagnie régionale SPARKCie-Nadia Sahali, une adaptation jeune public du roman à New Dehli, Les Cerfs-volants.
Vous vous apprêtez à accueillir les Dakh Daughters Band. Vous avez été les premiers à réagir face à l’invasion russe et à vous être montrés solidaires avec les Ukrainiens. En quoi c’est important pour vous ?
Lucie Berelowitsch : Je travaille avec les Dakh Daughters depuis 2015, lors de la création franco-ukrainienne Antigone. Ce sont des artistes incroyables et mes amies. Nous nous apprêtons à répéter ma prochaine pièce, une adaptation des Géants de la Montagne de Pirandello.
Il m’a semblé évident, en tant que directrice de structure culturelle, en tant ? que citoyenne, ayant travaillé en Ukraine et d’origine russe, de me mobiliser pour marquer mon soutien, notre soutien, notre élan de solidarité. La mobilisation des structures culturelles, la mobilisation citoyenne, est très grande. On le ressent fortement ici, à Vire. Les Dakh Daughters ont pu grâce à cette mobilisation venir en Normandie avec leurs familles, ou elles vivent et travaillent actuellement, afin de reprendre leur concert dès la semaine prochaine. Il était essentiel pour elles de retravailler au plus vite, de prendre la parole pour l’Ukraine, de faire front avec leur art. Comme dit Ruslana, une des Dakh Daughters, « je n’ai pas le temps d’être triste. » La soirée du concert du 2 avril, prévu de longue date, revêt un caractère symbolique fort. Nous la pensons comme une soirée de soutien à L’Ukraine, la totalité des recettes sera reversée à la Croix Rouge, afin de continuer la mobilisation. Nous serons d’ailleurs ce lundi 21 mars à l’Odéon, pour une soirée pour l’Ukraine, les Dakh Daughters y joueront et nous lirons une pièce inédite de Natalia Vorojbyt, Mauvaises routes, pièce sur la guerre dans le Donbass, en présence de l’autrice.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Frère Féminin au Préau – CDN de Normandie – Vire
Crédit photos © Le Préau – CDN de Normandie – Vire, © Emmanuelle Jacobson Roques, © João Saenger, © Simon Gosselin & © Maxim DONDYUK